Service des Commissions

M. Alain Richard répond aux questions des sénateurs sur la structure et les missions du groupe de pelotons de sécurité (GPS) en corse et fait le point de l’évolution de la situation au kosovo

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, élargie aux membres de la conférence des Présidents, a entendu, le mercredi 5 mai 1999, M. Alain Richard, ministre de la défense.

Le ministre de la défense a tout d’abord abordé la situation née de la commission d’actes délictueux en Corse par des personnels de la gendarmerie. Ces actes à caractère criminel faisaient l’objet d’une enquête judiciaire conduite, a indiqué le ministre, sous l’autorité du magistrat instructeur, par des unités de gendarmerie. M. Alain Richard a par ailleurs précisé que, par delà les fautes à caractère pénal, des procédures disciplinaires pourraient être parallèlement engagées pour faute professionnelle.

Il convenait également, a rappelé le ministre, de vérifier si les procédures de contrôle concernant les activités du groupe de pelotons de sécurité (GPS) avaient correctement fonctionné. Une révision allait être engagée de l’ensemble des procédures de contrôle appliquées aux cas de " surcharge " de missions affectant certaines unités de gendarmerie. M. Alain Richard a rappelé que 1.500 gendarmes étaient présents en Corse. Une réflexion sera également conduite, a poursuivi le ministre, sur l’évolution des procédures de sélection et d’affectation des personnels candidats à des unités investies de missions particulièrement lourdes comme en Corse.

Un débat s’est ensuite instauré avec les commissaires.

M. Serge Vinçon a souligné que la gravité de la situation –qui avait conduit un préfet de région en garde à vue et dans laquelle six gendarmes étaient mis en cause– ne devait pour autant pas remettre en question la haute estime dans laquelle il convenait de tenir la gendarmerie, malgré ces défaillances ponctuelles. Il a demandé au ministre s’il avait donné son accord à la création du GPS, sous quelle autorité et sous quel contrôle cette formation était placée, ainsi que sa place dans la hiérarchie de la direction générale de la gendarmerie nationale.

M. Michel Pelchat a interrogé le ministre sur le degré d’autonomie dont bénéficiait le GPS, sur le contenu des missions qui lui avaient été confiées lors de sa création, et sur le texte qui avait précisé ces missions.

M. Christian de La Malène s’est étonné du nombre et de la nature des indices laissés sur place par les gendarmes lors de l’incendie du restaurant, autant d’éléments qui, a estimé le sénateur, choquaient le bon sens. Il s’est également étonné de la rapidité des conclusions tirées par le Procureur de la République.

M. Emmanuel Hamel a souligné l’importance du choc ressenti par l’opinion à la suite de cette affaire. Il a évoqué, par ailleurs, la gravité du traumatisme qui affectait les gendarmes et s’est interrogé sur les dispositions que comptait prendre le ministre de la défense pour cicatriser cette blessure.

M. Xavier de Villepin, président, après avoir à son tour souligné l’attachement de la commission sénatoriale à la gendarmerie, a demandé au ministre de la défense d’autoriser l’audition, devant elle, du directeur général de la gendarmerie nationale.

Le ministre, répondant aux questions des commissaires, a alors apporté les précisions suivantes :

- le GPS avait été créé par le gouvernement compte tenu des conditions particulières de service des forces de sécurité en Corse, à la suite notamment de l’assassinat du préfet Erignac. Il était naturel que le renforcement des moyens des forces de sécurité s’appuie sur la gendarmerie, compte tenu de sa présence déjà ancienne et importante dans l’île, où depuis longtemps, un escadron stationnait, de façon permanente, à Ajaccio. Il a donc été décidé de constituer cette formation particulière en lui donnant compétence pour agir sur les deux départements de la région Corse, ce qui avait justifié son rattachement à la légion de gendarmerie, au niveau régional, et non à chacun des deux groupements départementaux ;

- les missions du GPS étaient triples : la protection de personnalités, tout d’abord, qui serait désormais dévolue à une unité traditionnelle ; le soutien aux opérations d’arrestation ou d’interpellation, ensuite, mission qui serait désormais confiée à des formations du droit commun ayant en leur sein des personnels spécifiquement entraînés ; la surveillance et le renseignement enfin, complémentaires de la fonction d’enquête judiciaire de la gendarmerie. Ces missions, a précisé le ministre, étaient inscrites dans le texte créateur du GPS. Le directeur général de la gendarmerie nationale réaffectera les missions de l’unité dissoute à des formations habituelles de l’arme ;

- le GPS était placé sous l’autorité du colonel Mazères, commandant la légion de gendarmerie, assisté du capitaine Ambrosse, commandant le GPS. Cette structure, a précisé le ministre, était comparable à ce qui existe dans certains départements d’outre mer où la charge des missions est également très importante ;

- ce n’est pas le ministre de la défense qui, a rappelé M. Alain Richard, est responsable de l’ordre public et donc de l’emploi des moyens, qui sont fournis notamment par la gendarmerie nationale. Aucun ordre d’action n’est jamais donné à des formations de gendarmerie ni par le ministre de la défense ni par la direction générale de la gendarmerie nationale. Il revient en revanche à cette dernière d’assurer un contrôle a posteriori de l’emploi de ses unités pour vérifier s’il est conforme à leur vocation. Ce contrôle a été exercé en ce qui concerne le GPS, une réflexion étant conduite pour adapter ce mécanisme de contrôle à la spécificité de certaines unités ;

- les gendarmes du GPS étaient, à raison des deux tiers, soit environ 60 hommes, issus d’un escadron de gendarmerie mobile déjà présent antérieurement sur l’île et qui avait été dissous lors de la création du GPS ; les 30 autres personnels du GPS avaient été recrutés par la direction générale et sélectionnés sur la base de nombreux dossiers de candidature ; les officiers du GPS enfin avaient fait l’objet d’une sélection particulière fondée sur leur expérience dans l’action ;

- même s’il était, a indiqué le ministre, difficile d’évoquer un aspect du dossier faisant l’objet d’une enquête judiciaire, il a considéré que les indices saisis sur place par les gendarmes de la brigade territoriale semblaient montrer qu’il ne s’était pas agi d’une opération programmée effectuée par des agents entraînés à ce type de mission. Ce sont les gendarmes qui, après avoir relevé ces divers indices, ont eux-mêmes alerté le Parquet. Simultanément, a précisé le ministre, une enquête administrative avait été diligentée et confiée à l’Inspection technique de la gendarmerie. Celle-ci ayant été requise par l’autorité judiciaire, l’enquête relevait désormais du Général Capdepont, Inspecteur général des Armées ;

- il était du devoir du gouvernement de s’assurer que si des actes délictueux étaient commis, ils soient sanctionnés avec toute la rigueur de la loi et qu’ils n’entachent pas la probité du corps dans son ensemble ;

- compte tenu de la situation politique liée à cette affaire ainsi que de l’enquête judiciaire en cours, les circonstances n’étaient pas réunies pour que le directeur général de la gendarmerie nationale puisse s’exprimer sereinement devant une commission parlementaire ; le ministre lui-même se tenait en revanche à la disposition des sénateurs.

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Le ministre de la défense a ensuite évoqué l’évolution de la situation au Kosovo.

Il a d’abord indiqué qu’une phase d’intensification des frappes était en cours, dirigée contre les unités et les armements serbes déployés au Kosovo. Cette phase se traduisait par un accroissement des moyens aériens, atteignant désormais 800 aéronefs dont 400 appareils de combat. Cette augmentation du dispositif était due à la nécessité d’assurer une présence opérationnelle 24 heures sur 24 afin de pouvoir paralyser l’ensemble des unités militaires serbes et de procéder, chaque fois qu’elles étaient décelées, à leur destruction. Le ministre a précisé que cette phase d’intensification n’impliquait pas nécessairement un accroissement proportionnel du taux de réussite des frappes, compte tenu de l’immobilité et de la dissimulation des forces serbes. L’émotion ressentie à juste titre lors de bombardements ayant touché par erreur des populations civiles rappelait que la mission assignée consistait à détruire le système répressif et militaire serbe en tentant d’éviter le plus possible les erreurs de cette nature.

Sur le plan humanitaire, a poursuivi M. Alain Richard, on constatait la poursuite de l’éviction forcée de populations kosovares en dehors de leur province d’origine : le nombre de personnes ayant quitté le Kosovo était estimé à environ 800.000. Il était par ailleurs possible de disposer désormais d’un peu plus de renseignements sur la situation des quelque 500.000 à 600.000 personnes déplacées à l’intérieur du Kosovo. Elles étaient victimes d’exactions et se trouvaient dans une situation sanitaire et alimentaire particulièrement précaire. L’éventualité de largages de vivres continuait d’achopper sur le problème de la dispersion des groupes de réfugiés, d’une part, et sur la nécessité d’assurer la sécurité des vols, d’autre part.

Enfin, a conclu le ministre, l’un des impératifs de la communauté internationale était de ne pas compromettre la stabilité des pays voisins du Kosovo, à commencer par l’Albanie et la Macédoine. Il apparaissait en particulier que la situation de ces deux derniers pays restait précaire mais demeurait sous contrôle et que le renforcement du soutien qui leur était accordé leur permettait pour le moment d’assurer une meilleure maîtrise de leur territoire.

Un débat s’est ensuite engagé avec les sénateurs.

M. Michel Barnier a demandé des précisions sur les renseignements disponibles relatifs à la situation des réfugiés à l’intérieur même du Kosovo et sur les exactions commises par les forces serbes pouvant être d’ores et déjà signalées au tribunal pénal international. Il s’est demandé si l’Union européenne ne devrait pas tirer les enseignements des conséquences humanitaires du conflit en envisageant la création d’une force permanente d’intervention humanitaire européenne susceptible de réagir plus efficacement et de manière plus visible aux situations de crise. Enfin, il s’est demandé si ce conflit permettrait de faire avancer plus vite l’idée de l’instauration de capacités militaires propres de l’Union européenne, dans l’esprit du document franco-britannique de Saint-Malo.

M. Philippe Adnot a interrogé le ministre sur la teneur des informations parues dans la presse faisant état d’un volet secret des accords de Rambouillet.

MM. Robert Del Picchia et Claude Estier ont demandé des précisions sur les circonstances de la perte, à l’entraînement, d’hélicoptères de combat américains Apache.

M. Bertrand Delanoë s’est interrogé sur l’état d’esprit respectif et la convergence de vues des partenaires de la France au regard de la poursuite de l’action militaire entreprise et des perspectives diplomatiques. Constatant, sur le plan militaire, une certaine domination américaine, il a souhaité qu’en cas de règlement politique, la France et l’Europe s’investissent fortement dans la future force internationale de protection qui devrait être déployée au Kosovo.

M. Emmanuel Hamel a évoqué les conditions dans lesquelles étaient diffusées par les autorités françaises des informations relatives au conflit.

M. Pierre Mauroy a interrogé le ministre sur l’évolution des perspectives diplomatiques de règlement du conflit. En ce qui concerne l’assistance humanitaire, il a demandé des précisions sur les risques de détournement de l’aide. Enfin, il s’est demandé si, à l’issue du conflit, les pays des Balkans souhaiteraient " plus d’Europe " ou " plus d’Otan ".

M. Xavier de Villepin, président, a demandé comment étaient planifiées les relèves des forces françaises sur le terrain et si l’on envisageait de faire appel à des réservistes. Il a également demandé des précisions sur les charges financières supplémentaires entraînées pour la France par les actuelles opérations militaires.

En réponse à ces différentes questions, M. Alain Richard a apporté les précisions suivantes :

- la mise en œuvre de nombreux moyens techniques de renseignement, notamment l’écoute électromagnétique, l’observation aérienne, les drones de reconnaissance, ainsi que le recours au renseignement humain et aux informations fournies par l’UCK, ont permis de mieux appréhender la situation des réfugiés à l’intérieur du Kosovo, de mieux les localiser et de constater leur grande mobilité ;

- la France est bien entendu disposée à jouer un rôle actif dans le recueil de données sur les exactions commises par les forces serbes en vue de leur communication au tribunal pénal international, cette question devant être abordée lors de l’entretien prévu le jeudi 6 mai entre Mme Harbour et les ministres des affaires étrangères et de la défense ;

- l’Union européenne a certainement une vocation à développer l’action humanitaire d’urgence mais il faut être conscient de la spécificité des missions confiées aux forces militaires en action ;

- s’agissant du débat sur une future Europe de la défense, le défi consiste à proposer la substitution d’une organisation restant entièrement à construire à un outil militaire existant et faisant la preuve de son efficacité ; à la suite de la déclaration de Saint-Malo, la France et le Royaume Uni se sont tournés vers l’Allemagne ; s’il est encore trop tôt pour juger de la réceptivité des gouvernements, des parlements et des opinions publiques des Quinze aux suites qui pourront être données à cette initiative, on peut d’ores et déjà constater une prise de conscience en Europe de la dépendance vis-à-vis des Etats-Unis pour la conduite des opérations militaires et notamment l’accès à l’information ;

- le document des accords de Rambouillet n’a pas vocation à être communiqué ;

- la perte par les Américains d’hélicoptères de combat Apache est intervenue lors d’entraînements intensifs de nuit et en terrain accidenté non reconnu ;

- l’enjeu de la prochaine réunion du G8 consistera à tenter de conduire les Russes vers la préparation d’une solution politique impliquant nécessairement une résolution du Conseil de sécurité à caractère contraignant, prévoyant une force internationale de sécurité au Kosovo ;

- si une force d’interposition devait être mise en place, la France souhaite que son noyau central soit composé d’Européens, à savoir de Britanniques, de Français, d’Allemands et d’Italiens ; à cette fin, ces quatre pays ont déjà préparé un contingent d’environ 20 000 soldats dont l’essentiel était déjà prédéployé dans la région ; la France dispose déjà, pour sa part, de près de 3 000 hommes sur place et en maintient 2 000 autres en alerte courte ;

- la capacité des pouvoirs publics à assurer la sécurité des camps de réfugiés et l’acheminement de l’aide humanitaire est meilleure en Macédoine qu’en Albanie où le gouvernement a fait appel aux moyens de l’Otan ;

- tout en préservant le secret sur les préparatifs opérationnels, les autorités françaises n’entendent pas restreindre l’information sur l’action militaire en cours, la transparence en ce domaine étant nécessaire à l’adhésion de l’opinion publique dans les pays démocratiques ;

- la participation de la France aux opérations actuelles de l’Otan est loin de consommer la totalité de la ressource opérationnelle des forces françaises ; la relève des pilotes pourra être assurée tous les mois et celle des unités de l’armée de terre tous les quatre mois ; en ce qui concerne le porte-avions Foch, son potentiel d’usage se limite à quelques semaines supplémentaires, ce qui conduira à envisager un retour à Toulon ;

- le dispositif actuellement déployé représente pour le budget de la défense une charge financière mensuelle de 350 à 400 millions de francs, dont une part croissante porte sur le titre V pour la fourniture de pièces détachées et de munitions.

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