Question de M. LAURIOL Marc (Yvelines - RPR) publiée le 13/11/1986

M. Marc Lauriol attire l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice, sur l'émoi suscité chez beaucoup de citoyens par l'obligation, pénalement sanctionnée, du port obligatoire des ceintures de sécurité dans les automobiles, obligation dont la récente aggravation des sanctions rappelle l'existence déjà ancienne. Il ne s'agit pas de contester le caractère globalement et hautement désirable, en fait, du port de la ceinture. Mais une chose est de convaincre les automobilistes par des campagnes et incitations adaptées, autre chose de les contraindre. Trois considérations doivent, à cet égard, être retenues : 1° le fait de ne pas attacher sa ceinture ne fait courir aucun risque à autrui, le sort de l'automobiliste étant seul en cause ; 2° la législation française ne sanctionne pénalement ni le suicide ni sa tentative suivie d'un début d'exécution, quelles que soient les situations familiale, sociale ou autres des intéressés. Cette " neutralité " pénale du suicide repose, dans notre démocratie, sur l'absence, essentielle et évidente, de droit éminent de la collectivité sur la personne physique des citoyens dès lors que l'intérêt d'autrui n'est pas en cause ; 3° si le bouclage de la ceinture réduit statistiquement le nombre total des morts par accident, son efficacité est loin d'être homogène selon les risques encourus. Ainsi, il peut, dans certains cas limites, aggraver le sort des intéressés jusqu'à constituer une cause spéciale de mort. De plus, certains automobilistes ne cachent pas qu'ils appréhendent plus de se trouver conscients et bloqués par leur ceinture coincée que d'être assommés. Cette considération doit être particulièrement retenue en cas de choc latéral où l'efficacité de la ceinture est fort limitée alors que le risque de blocage dans la voiture accidentée reste le même qu'en cas de choc frontal. De sorte que, par l'obligation du port de la ceinture, l'Etat interdit à l'automobiliste de choisir le risque qu'il entend principalement conjurer. En conséquence, il lui demande si dans le droit français contemporain l'Etat, au nom de l'intérêt collectif (taux de mortalité, sécurité sociale, etc.), est en train ou non de s'arroger un droit éminent sur la personne physique des citoyens. Si oui, comment justifier que le suicide ne soit pas pénalement sanctionné. Et envisage-t-il de demander au Parlement de le faire ne serait-ce que par cohérence législative. Si non, comment justifier en droit, en politique et en morale la sanction pénale de l'absence de port de la ceinture, cette sanction pénale étant, au surplus, l'oeuvre du pouvoir réglementaire alors que la question soulevée est de la compétence législative et même constitutionnelle puisqu'il s'agit, en réalité, de fixer la place de l'individu dans la société et de savoir si son sort personnel lui appartient ou est remis à l'Etat.

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Réponse du ministère : Justice publiée le 26/02/1987

Réponse. -Le caractère obligatoire en toutes circonstances du port de la ceinture de sécurité résulte d'une réglementation déjà ancienne - puisqu'elle date de 1970 - dont l'efficacité, reconnue même parmi les opposants à cette obligation, a été rappelée à plusieurs reprises à l'opinion par des campagnes d'information. La délégation interministérielle à la sécurité routière a récemment souligné que les gains potentiels liés à l'augmentation du taux de port de la ceinture de sécurité sont considérables : on estime que de 1 000 à 1 500 vies humaines pourraient être épargnées chaque année en France si le taux de port était porté à 95 p. 100. Le cas de la République fédérale d'Allemagne est à cet égard exemplaire : le taux de port est passé de 60 p. 100 en 1983 à 95 p. 100 en 1985 et le nombre des tués a diminué dans la même période d'environ 2 000, dont la moitié peut, selon le ministère chargé de la sécurité routière dans ce pays, être imputée à l'accroissement dudit taux. L'argument selon lequel il s'agit d'une atteinte à la liberté individuelle ne semble pas devoir être retenu. La Cour de cassation et le Conseil d'Etat ont en effet souligné qu'il est bien de la responsabilité de l'Etat d'assurer la sécurité sur l'espace public que constitue le réseau routier dans la mesure où la conservation des droits naturels, au nombre desquels figure la sûreté, est une des obligations que la Constitution, par sa référence expresse à la Déclaration des droits de l'homme, met à la charge des pouvoirs publics. Une grande partie du droit du travail est au demeurant fondée sur ce principe : port du casque sur les chantiers, port de gants protecteurs pour certains travaux manuels... Le port de la ceinture de sécurité, comme d'ailleurs le port du casque pour les motocyclistes, s'analyse comme une mesure de protection de même nature : l'utilisation d'un engin potentiellement dangereux implique que son usage soit subordonné àdes précautions particulières. Il convient enfin de noter que dans tous les pays occidentaux, et notamment en R.F.A., en Belgique, en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis, en Italie, au Luxembourg et dans les pays scandinaves, le port de la ceinture est obligatoire et très sévèrement contrôlé par les forces de police. Aussi le garde des sceaux entend-il, dans la limite de ses attributions, contribuer à l'application de la réglementation en vigueur.

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