Question de M. LEDERMAN Charles (Val-de-Marne - C) publiée le 07/07/1988

M. Charles Lederman attire l'attention de M. le ministre d'Etat, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports sur le fait que de nombreux enseignants sont amenés, dans le cadre de leur service ou à l'occasion d'activités complémentaires, à effectuer des productions qui ont le caractère d'une oeuvre de l'esprit au regard de la loi n° 57-298 du 11 mars 1957 modifiée par la loi n° 85-660 du 3 juillet 1985 (films, cassettes, montages théâtraux, ouvrages pédagogiques utilisés ensuite par l'administration - par exemple au centre national d'enseignement à distance -, fabrication de meubles ou d'objets d'art dans les écoles d'arts appliqués, etc.). La loi ne semble pas prévoir d'abandon automatique des droits qu'elle reconnaît aux auteurs et créateurs et prévoit, par contre, que tout renoncement à ces droits doit être écrit, notamment lors de la conclusion d'un contrat. Or les enseignants, qui sont des fonctionnaires, sont dans une situation légale et réglementaire. En conséquence, il lui demande dans quelle mesure ces personnels bénéficient de la protection reconnue à leurs oeuvres produites dans le cadre de leur service ou de leurs activités complémentaires ; dans quelle mesure leur sont reconnus les droits moraux des auteurs ; dans quelle mesure ils bénéficient du droit de repentir reconnu aux auteurs ; dans quelles conditions ile peuvent prétendre à des droits pécuniaires dès lors que leur production aurait évidemment le caractère d'une oeuvre originale et que cette production excéderait manifestement la prestation normale qui s'attache à l'exécution du service ; quelles sont les dispositions législatives et réglementaires applicables en la matière.

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Réponse du ministère : Éducation publiée le 15/09/1988

Réponse. - La question des droits que les enseignants peuvent éventuellement détenir sur les oeuvres de l'esprit qu'ils réalisent doit actuellement s'apprécier tant par rapport à la loi n° 57-298 du 11 mars 1957 modifiée que par référence aux dispositions statutaires applicables aux agents de l'Etat, notamment le décret du 29 octobre 1936 relatif aux cumuls d'emploi. Par principe, en effet, la puissance publique jouit de prérogatives exorbitantes du droit commun, et une célèbre jurisprudence du tribunal des conflits (T.C. 8 février 1873, Blanco) a posé le principe suivant lequel les dispositions du code civil ne sont pas directement transposables aux relations entre l'Etat et les particuliers. Dans ces conditions, il est juridiquement correct de considérer que si un agent de l'Etat fait oeuvre de l'esprit dans le cadre de la mission du service dans lequel il exerce ses fonctions, cette oeuvre ne saurait en être détachée, en tout cas sous la forme qu'elle a prise en son sein et pour son propre fonctionnement. Il est à noter que, même dans le cadre de relations de droit privé, des clauses d'exclusivité existent au bénéfice de l'employeur dont un agent salarié a réalisé une oeuvre de l'esprit. C'est ainsi, pour ne prendre qu'un exemple, que l'article 45 de la loi n° 85-660 du 3 juillet 1985 relative aux droits d'auteur dispose que, " sauf stipulation contraire, le logiciel créé par un ou plusieurs employés dans l'exercice de leurs fonctions appartient à l'employeur auquel sont dévolus tous les droits reconnus aux auteurs ". Par ailleurs, en application du décret du 29 octobre 1936 susmentionné, le fonctionnaire ou l'agent concerné demeure libre de proposer à une personne privée la publication ou l'édition de cette oeuvre, collaboration qui devra, elle, respecter les termes de la loi relative à la propriété littéraire et artistique. C'est ainsi que les professeurs qui dispensent des enseignements oraux ont toujours pu faire éditer leurs cours et jouir en conséquence des droits réservés à l'auteur sur son oeuvre. Il n'est pas possible d'envisager qu'une administration publique, qui a recruté des enseignants et les a affectés à des tâches définies par le statut de leur corps pour accomplir une mission de service public, puisse ensuite être tenue de passer un contrat avec chacun d'eux pour réserver des droits que ces derniers n'ont acquis que grâce aux moyens du service, et alors qu'ils demeurent libres de les monnayer de surcroît auprès de personnes privées. Le fait qu'un enseignant puisse voir son patronyme figurer sur l'oeuvre qu'il a produite pour les besoins de son service ne relève juridiquement pas du droit au nom posé par l'article 6 de la loi du 11 mars 1957 précitée mais de l'obligation qui s'impose à tout fonctionnaire responsable de signer les actes qu'il prend dans l'exercice de ses compétences. Telles sont, en l'état actuel du statut des fonctionnaires, les limites dans lesquelles les oeuvres que les enseignants peuvent produire ouvrent droit à l'application de la loi du 11 mars 1957 modifiée.

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