Question de M. TRÉGOUËT René (Rhône - RPR) publiée le 07/02/1991

M. René Trégouët appelle l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice, sur le grave problème lié à l'inadaptation de notre législation en matière de paiement par chèque. Un récent arrêté d'un tribunal correctionnel a fait évoluer notre jurisprudence dans le sens d'une dangereuse mansuétude à l'égard des auteurs de chèques sans provision. Cet arrêt s'appuie sur la loi du 3 janvier 1975 qui dispose que, pour condamner un auteur de chèque sans provision, la justice doit préalablement démontrer qu'il y a bien eu intention délictueuse, ce qui est bien entendu impossible dans un grand nombre de cas. Si cet arrêt fait jurisprudence, la plupart des auteurs de chèques sans provision ne risqueront donc plus une sanction pénale, ce qui ouvre la porte à tous les abus, la dissuasion pénale jouant, en la matière, un rôle irremplaçable. Si cette situation nouvelle perdurait, cela pourrait affecter gravement les activités économiques et commerciales dans notre pays, car les commerçants seraient alors en droit de se prémunir contre la recrudescence des chèques sans provision, en imposant à leurs clients des conditions très restrictives d'utilisation de ce mode de paiement. M. Trégouët demande donc à M. le garde des sceaux quelles sont les mesures que le Gouvernement envisage pour que soit respecté le principe fondamental de notre droit selon lequel " Nul n'est censé ignorer la loi " et pour que les auteurs de chèques sans provision restent accessibles aux sanctions pénales prévues pour ce délit. Par ailleurs, M. Trégouët demande à M. le garde des sceaux quelles sont les mesures envisagées par le Gouvernement pour que les établissements financiers et bancaires refusent systématiquement toute ouverture de compte bancaire à toute personne sous le coup d'une interdiction de chéquier par la Banque de France ou à toute personne ne pouvant présenter simultanément les preuves juridiquement reconnues d'identité, de domicile et de revenus.

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Réponse du ministère : Justice publiée le 03/10/1991

Réponse. - Le garde des sceaux a l'honneur d'indiquer tout d'abord à l'honorable parlementaire qu'à la suite des décisions qu'il évoque, la vigilance des parquets a été appelée sur la nécessité de relever appel des jugements de relaxe paraissant injustifiés. Il convient d'observer toutefois, à cet égard, que, pour revêtir un caractère pénal, l'émission d'un chèque sans provision suppose que soit rapportée la preuve de l'intention de porter atteinte aux droits d'autrui ; or, ainsi que l'a rappelé encore tout récemment la Cour de cassation, l'existence de cet élément intentionnel ne se déduit pas de la seule connaissance qu'avait l'émetteur de l'absence ou de l'insuffisance de la provision figurant sur son compte. Il tient par ailleurs à faire connaître à l'honorable parlementaire qu'il partage ses préoccupations touchant au nombre élevé, en constante augmentation, des chèques impayés sur l'ensemble du territoire national, et aux conséquences qui s'y rattachent. Force est, en effet, de constater qu'en dépit de plusieurs réformes visant à enrayer ce phénomène l'état de notre droit ne permet pas de garantir de manière satisfaisante la sécurité du chèque, dont l'usage généralisé paraît au demeurant se maintenir en dépit du développement de nouveaux moyens de paiement. Le comité des usagers des services bancaires du Conseil national du crédit a naguère constaté à ce propos que la répression pénale s'est avérée largement inadaptée à l'ampleur et à la nature du problème, tout en soulignant par ailleurs la coexistence de régimes juridiques radicalement différents s'appliquant au chèque et à la carte de paiement : l'émetteur d'un chèque sans provision encourt en effet les peines de l'escroquerie, alors que l'utilisateur d'une carte, en cas d'absence de paiement, risque seulement des sanctions de nature contractuelle. Ces considérations, parmi d'autres, ont conduit la chancellerie à étudier les axes d'une refonte de la législation en lamatière, en vue de développer autant que possible les moyens de prévention et de sanction dont dispose le système bancaire à l'égard des émetteurs de chèques impayés, et de renforcer de manière significative les garanties accordées à leurs victimes, tout en réservant l'intervention du juge pénal aux cas réellement frauduleux. Telles sont les orientations retenues dans le projet de loi relatif à la sécurité des chèques et cartes de paiement adopté par le Gouvernement et déposé sur le bureau du Sénat en vue de son examen à l'automne prochain.

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