Question de M. COURTEAU Roland (Aude - SOC) publiée le 17/12/1992

M. Roland Courteau expose à M. le Premier ministre que le comité des ministres du Conseil de l'Europe a adopté le 24 juin dernier la charte européenne des langues régionales ou minoritaires sous forme d'une convention. Cette nouvelle convention, qui offre de véritables garanties aux langues régionales, éléments du patrimoine culturel européen, a été officiellement ouverte à la signature des Etats membres le 5 novembre 1992. Il lui indique que la protection et la promotion des langues régionales ou minoritaires dans les différents pays et régions d'Europe représentent une contribution importante à la construction d'une Europe fondée sur les principes de la démocratie et de la diversité culturelle, dans le cadre de la souveraineté nationale et de l'intégrité territoriale. Il lui rappelle enfin la valeur de l'interculturel et du plurilinguisme et le prie de considérer que rien ne s'oppose à l'adhésion de la France à cette convention européenne sur les langues régionales. C'est pourquoi, tout en insistant sur le fait qu'il serait dommageable qu'il y ait, dans ce domaine, une Europe à deux vitesses entre les pays signataires et les autres, et une France en retrait sur une question touchant aux droits de l'homme, il lui demande s'il entend prendre toutes dispositions conduisant à la signature par la France de cette charte européenne des langues régionales ou minoritaires.

- page 2754


Réponse du ministère : Premier ministre publiée le 28/01/1993

Réponse. - Vous m'interrogez à propos de la charte européenne des langues régionales ou minoritaires du Conseil de l'Europe qui a été adoptée le 26 juin dernier par les délégués des ministres et qui a été ouverte à la signature des Etats membres le 5 novembre 1992. Vous souhaitez en effet connaître la position de la France à l'égard de ce texte. Il faut sur cette question rappeler au préalable que le Gouvernement français depuis plusieurs années s'est préoccupé du développement de l'emploi des langues régionales ou minoritaires. Il en est ainsi tout particulièrement en matière d'éducation : au niveau de l'enseignement primaire est reconnue officiellement la possibilité d'avoir deux heures par semaine d'enseignement de langues régionales dans les écoles publiques. Par ailleurs, l'éducation nationale soutient la principale école privée bretonne où l'enseignement se fait pour l'essentiel en breton par la mise à disposition d'une dizaine d'instituteurs. Des exemples analogues peuvent être donnés à propos du basque, du catalan ou de l'occitan puisqu'une sensibilisation à celui-ci est faite dans six cents classes du Tarn. Il existe aussi dans l'académie d'Aix-Marseille des cours de provençal en école primaire. Dans la même académie, existe dans bon nombre de lycées et collèges la possibilité d'une option de provençal. Au niveau de l'enseignement supérieur, je rappelerai l'existence de chaires de breton, de catalan, de corse et de basque, la mise en place de CAPES de breton, de basque et de corse ainsi que la création depuis 1991 d'un DEUG de lettres modernes, mention Occitan, à l'université de Pau. Les médias fournissent également un effort important en ce domaine : la chaîne France 3 diffuse des émissions en langues régionales et de nombreuses radios locales en langues régionales existent. S'agissant maintenant de la charte du Conseil de l'Europe, il faut ici dissiper les malentendus : la France ne s'oppose pas à l'ouverture de la signature de cette convention. Au demeurant, nombre de dispositions de ce texte sont d'ores et déjà applicables ou appliquées dans notre pays. Elle a simplement indiqué à ce stade qu'elle souhaitait se donner le temps de la réflexion avant de signer elle-même éventuellement. Pourquoi ce délai ? La charte européenne n'est pas seulement un texte qui énonce des principes généraux : elle prévoit un certain nombre d'engagements contraignants et détaillés puisque son article 2 exige en particulier que les Etats signataires s'engagent à appliquer un minimum de trente-cinq dispositions de ce texte. Or un tel engagement pose deux catégories de problèmes : des problèmes juridiques ; des problèmes liés aux conséquences financières des mesures à prendre. Sur le premier point, la charte contient en effet des dispositions qui soulèvent des difficultés par rapport à notre législation pour ce qui concerne l'emploi des langues régionales dans les services publics et dans la vie économique et sociale. Ainsi l'emploi des langues régionales dans les organes juridictionnels serait en opposition avec le principe de l'utilisation de la langue française par les juridictions (ordonnance d'août 1539 dite de Villers-Cotteret). Autre exemple : les dispositions de la charte relative à l'emploi de langues régionales dans les contrats de travail sont en désaccord avec le code du travail qui exclut même l'emploi d'un terme étranger. En ce qui concerne les aspects financiers, il faut voir que de tels engagements supposent de la part des services publics des réaménagements qui risquent d'entraîner une augmentation du coût des prestations publiques et de rendre celles-ci moins accessibles alors même qu'un des objectifs de la charte est de faciliter l'accès de tous à ces services. Ainsi, par exemple, la charte propose que les Etats s'engagent à rendre accessibles dans les langues régionales les textes législatifs les plus importants ; le risque est alors d'accroître les délais et d'alourdir les coûts. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement français, comme d'autres Etats membres du Conseil de l'Europe, a souhaité un délai de réflexion. Il entend le mettre à profit en demandant à l'ensemble des administrations concernées de procéder à un examen détaillé des dispositions de la charte afin de voir, pour chacune d'entre elles, si nous pouvons les mettre en oeuvre ou non et afin d'établir un bilan complet des dispositions qui sont acceptables et de celles qui sont actuellement incompatibles avec nos règles en vigueur. Cet examen est en cours. Et c'est à la lumière des résultats de ce travail que le Gouvernement se déterminera. Soyez assuré que le Gouvernement le fera en gardant à l'esprit en permanence sa volonté d'assurer la promotion des langues régionales ou minoritaires. ; prestations publiques et de rendre celles-ci moins accessibles alors même qu'un des objectifs de la charte est de faciliter l'accès de tous à ces services. Ainsi, par exemple, la charte propose que les Etats s'engagent à rendre accessibles dans les langues régionales les textes législatifs les plus importants ; le risque est alors d'accroître les délais et d'alourdir les coûts. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement français, comme d'autres Etats membres du Conseil de l'Europe, a souhaité un délai de réflexion. Il entend le mettre à profit en demandant à l'ensemble des administrations concernées de procéder à un examen détaillé des dispositions de la charte afin de voir, pour chacune d'entre elles, si nous pouvons les mettre en oeuvre ou non et afin d'établir un bilan complet des dispositions qui sont acceptables et de celles qui sont actuellement incompatibles avec nos règles en vigueur. Cet examen est en cours. Et c'est à la lumière des résultats de ce travail que le Gouvernement se déterminera. Soyez assuré que le Gouvernement le fera en gardant à l'esprit en permanence sa volonté d'assurer la promotion des langues régionales ou minoritaires.

- page 135

Page mise à jour le