Question de M. FRANÇOIS-PONCET Jean (Lot-et-Garonne - R.D.E.) publiée le 29/07/1993

M. Jean François-Poncet appelle l'attention de Mme le ministre d'Etat, ministre des affaires sociales, de la santé et de la ville sur les problèmes suscités par les règles de mise en jeu de l'obligation alimentaire en matière d'aide sociale. En effet, lorsqu'une personne entre en maison de retraite, il n'est pas rare, étant donné la difficulté de constitution des dossiers concernant ce type d'aide sociale (enquêtes sur le patrimoine du demandeur, sur les débiteurs d'aliments) que la décision de la commission d'admission n'intervienne que plusieurs mois après la date d'entrée en établissement. Durant cette période, la collectivité publique est conduite à faire l'avance de l'intégralité des frais d'hébergement, soit parce qu'il y a eu une admission d'urgence, soit pour ne pas destabiliser le budget de l'établissement. Lorsque le dossier est enfin soumis à la commission d'admission, celle-ci ne peut, en application de l'article 144 du code de la famille et de l'aide sociale, que fixer la proportion de l'aide incombant à la collectivité publique. Celle-ci devant payer un prix de journée brut à l'établissement, la décision revient en fait à évaluer forfaitairement le montant de l'aide des débiteurs d'aliments. La collectivité fait ensuite une proposition de répartition de ce montant entre les différents obligés alimentaires. En cas de désaccord des personnes concernées, la collectivité ne peut saisir le juge d'instance, seul compétent en matière d'obligation alimentaire que lorsque ce désaccord lui est notifié. Or la Cour de cassation, dans un arrêt du 18 janvier 1989 (président du Conseil général des Yvelines) a réaffirmé le principe selon lequel " aliments ne s'arréragent pas ". Il en résulte que la dette d'aliments ne court qu'à compter de la date de saisine du juge civil. Cette procédure, au demeurant contraire à la circulaire du ministère de la population et de l'entraide, en date du 31 mai 1958, qui prévoyait les recours dans l'intérêt de la collectivité, encourage en pratique les débiteurs d'aliments à rester inactifs, d'autant plus que tout titre émis à leur encontre par la collectivité, sans décision du juge, est non exécutoire (Cour de cassation, 1er décembre 1987). Le même problème se retrouve au niveau des établissements médicaux ou médico-sociaux qui poursuivent les obligés alimentaires en application de l'article L. 708 du code de la santé, lorsque l'aide sociale n'est pas accordée, et se voient opposer le même refus de rétroactivité motivé par la règle " aliments ne s'arréragent pas ". Dans ces conditions, on voit mal comment les collectivités en charge de l'aide sociale vont appliquer la loi du 29 juillet 1992 réformant l'aide médicale, qui prévoit une mise en jeu de l'obligation alimentaire a posteriori. Enfin, il ressort de la jurisprudence du Conseil d'Etat, de la Cour de cassation et du tribunal des conflits que la fixation et la répartition de la dette d'aliments relève des juridictions judiciaires et le contentieux du recouvrement des titres de recettes émis sur la base de l'obligation alimentaire des juridictions administratives de l'aide sociale, ce qui peut aboutir à des contradictions de jugements inextricables et rend difficile la démarche des usagers souhaitant faire appel. Les collectivités pourraient, par conséquent, être tentées de saisir systématiquement le juge judiciaire, dès le dépôt de la demande d'aide sociale, pour chaque personne entrant en maison de retraite ou devant se faire hospitaliser. Mais, une telle procédure, outre qu'elle aggraverait ; n cours, en réponse aux nombreuses questions posées sur ce sujet par des parlementaires (Charles-Henri de Cossé-Brissac : 19 janvier 1989, Jean-Pierre Balligant : 16 juillet 1990, Henri Torre : 22 novembre 1990, etc.). En conséquence, il lui demande si une solution législative va enfin être apportée à ce problème qui concerne aussi bien l'Etat et l'ensemble des départements français, que les bénéficiaires de l'aide sociale et leur famille et si, en particulier, il ne pourrait être envisagé de confier le contentieux de l'obligation alimentaire en matière d'aide sociale à un ordre de juridiction unique (les juridictions de l'aide sociale) et de prévoir un droit direct pour les collectivités et les hôpitaux leur permettant de recouvrer auprès des débiteurs d'aliments les arrérages échus dans l'année précédant la demande d'aide sociale ?

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Réponse du ministère : Affaires sociales publiée le 28/10/1993

Réponse. - Sous la réserve de dispositions législatives excluant expressément la référence à l'obligation alimentaire, l'aide sociale est attribuée par les commissions d'admission en tenant compte, notamment, des possibilités contributives des obligés alimentaires. Ainsi que l'observe l'honorable parlementaire, la Cour de cassation a constamment rappelé le principe selon lequel l'action exercée contre un débiteur d'aliments a toujours pour fondement les dispositions du code civil régissant la dette d'aliments et, par voie de conséquence, le caractère illicite du titre exécutoire émis contre un débiteur d'aliments par une collectivité publique d'aide sociale lorsque ce titre n'est fondé ni sur un accord exprès du débiteur sur le montant de sa contribution, ni, à défaut, sur un jugement du juge judiciaire. Cette jurisprudence a pour effet dans le cas d'une contestation du débiteur d'aliments sur le principe ou le montant de sa participation : d'exiger de la collectivité de saisir le juge judiciaire en vue de la fixation de la dette alimentaire ; de lui opposer le principe civiliste selon lequel le débiteur d'aliments n'est redevable que de sa seule obligation d'aliments et non d'une dette du créancier d'aliments ; enfin, de ne pas conférer à la collectivité plus de droit que le créancier d'aliments en vertu de l'adage selon lequel " les aliments ne s'arréragent pas ". La jurisprudence du tribunal des conflits et du Conseil d'Etat n'est pas, dans ce domaine, contradictoire avec celle de la Cour de cassation, alors même que, dans un arrêt du 1er décembre 1989 (Mme Gillet), le Conseil d'Etat a reconnu que toute contestation portant sur le recouvrement opéré par un département en exécution d'une décision prise par les juridictions d'aide sociale relevait de la compétence de ces dernières. La Haute Assemblée a, en effet, dans l'arrêt précité expressément réservé " les questions préjudicielles relevant de la compétence de l'autorité judiciaire pouvant tenir à l'obligation alimentaire ". Le Gouvernement est conscient, cependant, des difficultés auxquelles sont confrontées, de ce fait, les collectivités publiques d'aide sociale qui, tenues d'apporter leur concours à des personnes démunies en raison notamment de la carence des obligés alimentaires, ainsi que leur en fait obligation la loi, revendiquent à juste titre d'avoir la possibilité juridique de recouvrer leurs créances sur ceux-ci. Il est également très sensible à la complexité d'un dispositif, dont la finalité n'est pas contestable, mais qui peut conduire, en raison même de la dualité des ordres juridictionnels appelés à se prononcer sur ces questions, à des situations inextricables et peu cohérentes pour les usagers. Le recours des collectivités publiques aux solidarités familiales, notamment entre parents et enfants, ne peut en l'état du droit avoir d'autre fondement que l'obligation alimentaire organisée par le code civil, avec toutes les conséquences de droit mises en évidence par la Cour de cassation. Dans ce cadre juridique, la proposition de l'honorable parlementaire de rechercher les voies d'une unicité des voies contentieuses ne peut pas aboutir au dessaisissement du juge judiciaire. Si le principe du recours aux solidarités familiales doit être préservé, des aménagements devront être apportés aux dispositions actuelles en vue de faire échec à une application inéquitable de l'adage selon lequel " les aliments ne s'arréragent pas ", lorsque la mise ne cause des obligés alimentaires est le fait d'une collectivité publique au titre de l'aide sociale. La préservation des intérêts des collectivités publiques chargées de l'aide sociale ne pouvant, en tout état de cause, conduire à réclamer aux débiteurs d'aliments plus que ce dont ils sont redevables par leur fortune, l'aménagement nécessaire pourrait consister à reconnaître légalement dans la demande d'aide sociale la manifestation du besoin d'aliments qui conditionne l'application de l'article 205 du code civil et à donner, en conséquence, aux collectivités publiques le droit de recouvrer rétroactivement, dans les conditions fixées par le juge, plusieurs mois d'arrérages échus avant la date de saisine du tribunal, lorsque la part contributive des débiteurs d'aliments, telle que l'a évaluée la commission d'admission à l'aide sociale, est contestée par ceux-ci. ; préservation des intérêts des collectivités publiques chargées de l'aide sociale ne pouvant, en tout état de cause, conduire à réclamer aux débiteurs d'aliments plus que ce dont ils sont redevables par leur fortune, l'aménagement nécessaire pourrait consister à reconnaître légalement dans la demande d'aide sociale la manifestation du besoin d'aliments qui conditionne l'application de l'article 205 du code civil et à donner, en conséquence, aux collectivités publiques le droit de recouvrer rétroactivement, dans les conditions fixées par le juge, plusieurs mois d'arrérages échus avant la date de saisine du tribunal, lorsque la part contributive des débiteurs d'aliments, telle que l'a évaluée la commission d'admission à l'aide sociale, est contestée par ceux-ci.

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