Question de M. VALLET André (Bouches-du-Rhône - RDSE) publiée le 05/10/1995

M. André Vallet attire l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice, sur les conséquences qu'emporte une évolution récente de la jurisprudence relative à l'inaptitude d'origine non professionnelle comme cause de rupture de contrat de travail. En effet, jusqu'en 1988, l'inaptitude d'origine non professionnelle était considérée comme un cas de force majeure. L'employeur était par conséquent dispensé du versement d'une quelconque indemnité de licenciement. Après plusieurs revirements, la jurisprudence a assimilé à un licenciement la rupture d'un contrat de travail consécutive à une inaptitude d'origine non professionnelle. L'employeur est donc désormais obligé de verser une indemnité - légale ou conventionnelle - de licenciement. Ce profond changement a des conséquences très importantes pour les entreprises. Dans ce domaine, en effet, la prescription est trentenaire. Par suite, tout salarié ayant quitté l'entreprise, depuis trente ans, en raison d'une inaptitude d'origine non professionnelle, peut demander à bénéficier de cette évolution juridique et obtenir le paiement d'une indemnité de licenciement. L'effet rétroactif sur trente ans de l'assimilation à un licenciement d'une rupture du contrat de travail dans les conditions évoquées ne peut que provoquer des charges financières insupportables pour les entreprises. Ainsi, en 1995, une entreprise française vient d'être condamnée par une cour d'appel à payer un montant total de 1,7 million de francs d'indemnités de licenciement et d'intérêts légaux à quatre anciens salariés ayant quitté leur emploi entre 1983 et 1987. Si cette nouvelle jurisprudence continuait à être appliquée, la même entreprise aurait à verser 7,4 millions de francs pour la période 1972-1993. Aussi, il lui saurait gré de bien vouloir lui faire connaître les intentions de son ministère afin que, par une intervention législative, le principe de la rétroactivité de l'admission soit exceptionnellement limité.

- page 1886

Transmise au ministère : Travail


Réponse du ministère : Travail publiée le 11/01/1996

Réponse. - La Cour de cassation a longtemps considéré que la rupture du contrat de travail d'un salarié pour inaptitude physique n'était pas imputable à l'employeur (Cass. Soc., 9 avril 1987) ou que ce dernier n'en était pas responsable (Cass. Soc., 31 octobre 1989) et que par là même le salarié ne pouvait prétendre aux indemnités de licenciement. Or par un arrêt du 29 novembre 1990 la chambre sociale de la Cour de cassation a modifié sa jurisprudence en affirmant que la résiliation par l'employeur du contrat de travail du salarié atteint d'une invalidité le rendant inapte à exercer toute activité dans l'entreprise s'analyse en un licenciement qui ouvre droit à l'indemnité légale de licenciement ou, si elle est plus favorable au salarié, et si les clauses de la convention collective ne l'excluent pas, à l'indemnité conventionnelle. Il s'ensuit qu'un salarié dont le contrat a été rompu pour inaptitude physique sans indemnités de licenciement peut en toute légitimité intenter une action en paiement de ces indemnités auprès du conseil de prud'hommes, dès lors que le délai de prescription, trente ans en l'espèce, n'est pas écoulé (Cass. Soc., 20 octobre 1988). Le ministre du travail et des affaires sociales est sensible aux charges financières qu'est susceptible de faire peser sur les entreprises une telle modification de la jurisprudence. Toutefois il n'est de son ressort ni de réduire un délai de prescription d'ordre public, prévu à l'article 2262 du code civil, ni, en vertu du principe constitutionnel de séparation des pouvoirs, d'intervenir auprès des tribunaux afin de limiter la portée d'un revirement de jurisprudence. [REP2] Réponse. - Le garde des sceaux a le plaisir d'informer l'honorable parlementaire que la loi no 92-1446 du 31 décembre 1992, modifiant l'article L. 122-24-4 du code du travail, a généralisé l'obligation de reclassement par l'employeur de tout salarié qui, à l'issue d'une période de suspension de son contrat de travail consécutive à une maladie ou à un accident, est déclaré par le médecin du travail inapte à reprendre son précédent emploi. Le salarié est assuré de percevoir sa rémunération à l'expiration d'un délai d'un mois permettant à l'employeur de le reclasser conformément aux propositions du médecin du travail ou, en cas d'impossibilité de donner suite à ces propositions, de le licencier. Si cette loi est d'application immédiate, elle ne peut en vertu de l'article 2 du code civil - qui précise que " la loi ne dispose que pour l'avenir ; elle n'a point d'effet rétroactif " - et dans la mesure où le législateur n'en a pas autrement ordonné, porter préjudice à des situations juridiques antérieurement établies. Les nouvelles dispositions de l'article L. 122-24-4 du code du travail ne sont donc pas de nature à remettre en cause les ruptures de contrats de travail intervenues sous l'empire de la loi ancienne et régulièrement fondées sur le critère antérieur de la force majeure. Le texte relevant du droit commun de la non-rétroactivité ne requiert aucune modification législative. S'agissant de l'espèce particulière évoquée par l'auteur de la question, l'absence d'éléments d'information ne permet pas d'apprécier si le problème posé a été tranché au regard des dispositions de l'article L. 122-24-4 du code du travail. Il ne pourrait donc être répondu à ce sujet à l'honorable parlementaire - dans le strict respect de l'appréciation souveraine des juridictions - que si celui-ci estimait devoir en saisir la Chancellerie par courrier.

- page 70

Réponse du ministère : Justice publiée le 21/03/1996

Le texte de cette réponse n'est pas disponible en format numérique.

Page mise à jour le