Question de M. DELANOË Bertrand (Paris - SOC) publiée le 07/06/1996

Question posée en séance publique le 06/06/1996

M. le président. La parole est à M. Delanoë.
M. Bertrand Delanoë. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question
s'adresse à M. le garde des sceaux.
Le dossier des HLM de Paris (Exclamations sur les travées du RPR) domine de nouveau l'actualité.
La presse a notamment fait état de travaux luxueux, pour un montant de 1,5 millions de francs, qui auraient été effectués
par l'OPAC à la demande de son président, M. Tibéri, dans l'appartement de son fils.
Dans des entretiens accordés respectivement au Monde et au Parisien, l'ancien directeur-adjoint de l'office public
d'HLM décrit l'organisation d'un véritable système de fraude mis en place pour la passation de marchés publics au sein
même de l'OPAC. Ce système aurait, selon lui, donné lieu à des commissions occultes versés au RPR.
Ces accusations très graves ont d'ailleurs motivé une perquisition effectuée avant-hier au siège de l'OPAC. Elles n'ont pu,
monsieur le garde des sceaux, vous laisser insensible en tant qu'ancien secrétaire général du RPR et actuel adjoint au
maire de Paris.
Mais ma question s'adresse au garde des sceaux. Chacun se souvient en effet que trois demandes précédentes de
réquisitoires supplétifs, formulées par le juge saisi de cette affaire, ont déjà été refusées. Deux étaient liées au dossier
Casetta, la troisième, qui a d'ailleurs été classée, concernait un permanent du RPR de Corrèze salarié de la ville de Paris.
De classements sans suite en dessaisissements, s'est installé dans l'opinion le sentiment que Paris devenait peu à peu une
zone de non-droit, où certains élus pouvaient échapper au cours normal de la justice.
Cette réalité nuit non seulement à l'honneur de Paris, mais atteint la sérénité même du débat démocratique dans notre ville.
Ma question abordera donc deux points étroitement liés.
Premièrement, si le juge saisi de ce dossier était amené à solliciter du parquet l'autorisation de poursuivre ses
investigations, pouvez-vous nous assurer que, cette fois, aucune volonté politique ne viendrait s'y opposer ? Il est clair à
nos yeux que toute subtilité procédurière - refuser cette demande, mais aussi transférer à un autre parquet ou confier
l'instruction à un autre magistrat - ne pourrait être interprétée que comme la volonté délibérée d'enterrer cette affaire.
Deuxièmement, en tant que garde des sceaux, vous êtes également chef du parquet. Conformément aux principes
d'ouverture, de transparence et d'efficacité que vous aviez proclamés publiquement, vous engagez-vous à user de votre
pouvoir afin que soient apportés à cette affaire particulièrement trouble tous les éclaircissements attendus ? (Très bien ! et
applaudissements sur les travées socialistes.)

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Réponse du ministère : Justice publiée le 07/06/1996

Réponse apportée en séance publique le 06/06/1996

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Jacques Toubon, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur, nous sommes collègues sur les
bancs du conseil de Paris et j'apprécie vivement que vous ayiez le souci de défendre l'honneur de la capitale !
M. René Rouquet. Il faut bien que quelqu'un s'en charge !
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Je pense, monsieur Delanoë, que vous pourriez trouver de meilleurs terrains
pour donner l'exemple...
M. Jacques Mahéas. Qu'est-ce qu'il est gêné !
M. Jacques Toubon, garde des sceaux ... et comme l'ont fait les électeurs au mois de juin 1995, faire confiance à celui
qui est le maire de Paris. Jusqu'à preuve du contraire, les électeurs de Paris, s'exprimant voilà moins d'un an, n'ont pas
voulu de vous comme maire de Paris et ont préféré élire Jean Tibéri ! Le peuple s'est prononcé, monsieur Delanoë !
(Vives protestations sur les travées socialistes.)
M. Claude Estier. Cela n'a rien à voir avec la question !
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Je tenais à le rappeler car, mesdames, messieurs les sénateurs du groupe
socialiste, il ne vous a pas échappé que M. Delanoë se soucie peu des travaux du Sénat ; ce qui l'intéresse, c'est l'hôtel de
ville de Paris ! (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Monsieur le sénateur, rien ne vous autorise dans cette affaire, comme vous le faites et comme d'autres sénateurs ou
députés de votre groupe l'ont fait avant vous, à donner des leçons. (Nouvelles protestations sur les travées
socialistes.)
En effet, je n'ai jamais empêché une poursuite...
M. Jacques Mahéas. Et Pandraud, et Cabana !
M. René Rouquet. Répondez à la question !
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. ... alors que vous, monsieur Delanoë, et tous vos collègues socialistes avez
soutenu violemment et vigoureusement - cela vous en a d'ailleurs coûté en termes électoraux - des gouvernements qui, a
plusieurs reprises, ont interrompu des poursuites dans certaines affaires soit par un classement sans suite, soit par
l'amnistie ! (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Jacques Mahéas. Citez des noms !
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Monsieur Delanoë, soyons raisonnables : vous êtes mal placé pour donner des
leçons ni vous poser en exemple !
M. Alain Richard. Vous ne répondez pas à la question !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous avez préparé une loi d'amnistie vous-même !
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. S'agissant des faits que vous évoquez, il faut être très clair. Chacun l'a vu, il
s'agit d'articles de presse qui divulguent les éléments d'une enquête...
M. Claude Estier. Et la perquisition ?
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Monsieur Estier, vous tombez bien mal ; en tant que président de groupe, vous
devriez être plus circonspect ! (Protestations sur les travées socialistes. - Rires sur les travées du RPR.)
En tant que responsable politique, monsieur Delanoë, je constate simplement qu'il s'agit d'une campagne politique
partisane qui rebondit une fois de plus. Ce que vous tenez pour parole d'évangile ou pour faits avérés ne l'est absolument
pas.
Je trouve, en outre, tout à fait étonnant que des parlementaires veuillent se substituer aux juges ; cela me paraît poser un
léger problème de séparation des pouvoirs.(Applaudissements sur les travées du RPR. - Protestations sur les travées
socialistes.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est pour cela que l'on vous interroge !
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Monsieur Delanoë, en tant que garde des sceaux, je n'ai rien à dire sur cette
affaire car, moi, je ne cherche pas à me substituer à la justice !
Monsieur Estier, je vous précise qu'il n'y a pas eu de perquisition mardi après-midi au siège de l'OPAC. (Rires sur les
travées du RPR.)
M. Alain Gournac. Mauvaise lecture !
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Le juge en charge de cette affaire, et qui a reçu les divulgations qui ont été
publiées par la presse, a demandé d'aller prendre des renseignements dans les bureaux de cet office sur deux points.
M. Claude Estier. Tout de même !
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. La police est simplement allée quérir ces renseignements.
Il n'y a donc pas eu perquisition pour la bonne raison que, comme nous ne sommes pas dans le cadre d'une information,
la perquisition, procédure coercitive, n'aurait pas été permise au juge d'instruction. Cela résulte d'ailleurs, monsieur Estier,
monsieur Dreyfus-Schmidt, vous qui êtes un spécialiste de ces questions, de l'application du code de procédure pénale...
M. Jacques Mahéas. C'est un beau scandale !
M. Charles Descours. Bravo Le Monde !
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. ... mais aussi de deux décisions de principe de la Cour de cassation, celle du 6
février et celle qui a été rendue, voilà quelques jours, dans le dossier Alcatel.
En tant que garde des sceaux, je ne veux qu'une seule chose : faire en sorte que soient respectés la loi et le code de
procédure pénale. C'est une de mes missions. Depuis un an, le principe qui guide ma conduite - et la façon dont j'applique
l'article 36 du code de procédure pénale en témoigne - est de ne jamais empêcher une poursuite : la justice doit s'exercer
conformément à la législation en vigueur...
M. le président. Pourriez-vous conclure, monsieur le garde des sceaux ?...
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. ... mais, monsieur Delanoë, pas sur la place publique et pas pour être ce que
vous souhaiteriez qu'elle soit, une justice politique ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - Vives protestations sur les travées
socialistes.)

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