Question de M. HÉRISSON Pierre (Haute-Savoie - UC) publiée le 20/06/1997

M. Pierre Hérisson appelle l'attention de Mme le ministre de l'emploi et de la solidarité sur l'assujettissement des travailleurs frontaliers à la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS). En application de l'article 7, alinéa 1, de la convention franco-suisse du 3 juillet 1975, les frontaliers travaillant en Suisse sont obligatoirement couverts par le régime suisse de sécurité sociale. Après avoir décidé de suspendre l'assujettissement des frontaliers à la contribution sociale généralisée (CSG), le Gouvernement les a assujettis, par ordonnance du 25 janvier 1996, à une nouvelle contribution sociale, la CRDS. La Commission européenne, ayant été saisie sur ce point, a confirmé qu'il s'agissait là encore d'une " véritable cotisation sociale ", qui ne pouvait en aucun cas être applicable aux frontaliers des pays tiers. La CRDS a été créée dans l'unique but de combler le déficit de la sécurité sociale, ce qui lui confère indéniablement son caractère de cotisation sociale, quand bien même cette dernière serait affectée à un organisme ne redistribuant pas directement de prestations sociales. En conséquence, il lui demande quelles mesures le Gouvernement entend rapidement prendre pour corriger cette erreur manifeste, car il n'est pas raisonnable de demander aux frontaliers de participer solidairement au remboursement d'un déficit auquel ils n'ont, en fait ou en droit, jamais participé.

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Réponse du ministère : Emploi publiée le 15/10/1997

Réponse apportée en séance publique le 14/10/1997

M. Pierre Hérisson. Madame le ministre, en application de la convention franco-suisse de sécurité sociale du 3 juillet
1975, notamment son article 7, alinéa 1, les frontaliers travaillant en Suisse ne sont aucunement assujettis au régime de
sécurité sociale française ; bien au contraire, ils restent couverts par le régime suisse de sécurité sociale.
Par ordonnance du 25 janvier 1996, le Gouvernement a décidé d'assujettir à la contribution pour le remboursement de la
dette sociale - CRDS - les revenus d'activités et de remplacement de source étrangère - soit principalement les salaires
des frontaliers - perçus entre le 1er février 1996 et le 31 janvier 2009, voire un peu plus tard, et soumis à l'impôt sur le
revenu. Ce prélèvement interviendrait donc dès cette année.
Je rappelle que, à la suite de plusieurs interventions de parlementaires et eu égard aux droits des frontaliers en matière de
protection sociale, le Gouvernement a retiré du projet de loi de financement de la sécurité sociale l'article 6 qui prévoyait
l'assujettissement des revenus de source étrangère à la contribution sociale généralisée, la CSG, et en confiait le
recouvrement à l'administration fiscale. Cette contribution était notamment incompatible avec la réglementation
communautaire.
Par un courrier du 31 octobre 1996, M. Jacques Santer, président de la Commission européenne, confirmait la position
de la Commission qui, après examen des caractéristiques de cette nouvelle contribution, considère la CRDS comme une
véritable « cotisation sociale » entrant dans le champ d'application du règlement CEE n° 1408/71, relatif à l'application
des régimes de sécurité sociale aux travailleurs frontaliers et leurs familles qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté.
Il semble dès lors évident que cela rend impossible son prélèvement sur les revenus des personnes travaillant dans un pays
non membre de la Communauté européenne et demeurant soumis aux conventions internationales de sécurité sociale,
comme c'est le cas pour la Suisse.
La France fera vraisemblement l'objet, à très court terme, d'une mise en demeure, voire d'un avis motivé de la
Commission en application de l'article 169 du traité communautaire.
Comment le Gouvernement peut-il raisonnablement soutenir la thèse selon laquelle la CRDS serait non pas une cotisation
sociale, mais plutôt un impôt étalé sur près de treize ans, au simple motif que cette contribution est affectée à un organisme
qui ne redistribue pas de prestations, mais dont on ne peut nier que le seul but est bel et bien de financer le déficit de la
sécurité sociale, et par là même la sécurité sociale elle-même ?
Comment le Gouvernement peut-il demander à des frontaliers, qui ne peuvent prétendre en France aux mêmes droits que
leurs compatriotes assujettis au régime général de sécurité sociale et se retrouvent trop souvent dans des situations
désespérées, résultats d'inégalités flagrantes eu égard au régime de sécurité sociale leur étant applicable en cas de
chômage - un frontalier chômeur n'a notamment pas droit aux indemnités journalières en cas de maladie - de participer
solidairement au remboursement d'un déficit auquel ils n'ont jamais participé ?
Des dizaines de milliers de frontaliers sont concernés et attendent votre réponse, madame le ministre.
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Monsieur le sénateur, vous contestez l'assujettissement
des travailleurs frontaliers à la contribution pour le remboursement de la dette sociale, la CRDS, au motif que celle-ci
présenterait le caractère d'une cotisation sociale et non d'un impôt.
Vous fondez votre analyse sur une position de la Commission européenne, qui estime en effet que la CRDS a le caractère
d'une cotisation sociale au sens du règlement communautaire n° 1408/71 relatif à l'application des régimes de sécurité
sociale aux travailleurs qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté.
Le Gouvernement français ne partage pas cette analyse.
La CRDS, qui a été instituée par l'ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996 relative au remboursement de la dette
sociale, est due par les personnes fiscalement domiciliées en France, quelle que soit leur situation à l'égard des régimes
sociaux français, sur l'ensemble de leurs revenus, qu'il s'agisse des revenus d'activité et de remplacement, des revenus du
patrimoine, des produits de placements ou des ventes d'objets précieux, ainsi que des jeux.
Le produit de la CRDS - et c'est ce qui est important - est affecté non à des régimes de sécurité sociale, mais à la
CADES, la Caisse d'amortissement de la dette sociale, établissement public de l'Etat institué pour une durée limitée.
Cette caisse est chargée d'apurer la dette du régime général de la sécurité sociale auprès de la caisse des dépôts et
consignation ; nous venons de rouvrir cette caisse afin de prendre en compte les déficits des deux dernières années.
La CADES est également chargée d'effectuer des versements annuels au budget de l'Etat ainsi que, pour l'année 1996, à
la CANAM, la Caisse nationale d'assurance maladie maternité des travailleurs non salariés des professions non agricoles.
Il faut noter que la CADES bénéficie d'autres ressources que la CRDS - recours à l'emprunt, affectation du produit de la
vente du patrimoine locatif des caisses nationales, créances sur organismes sociaux étrangers - et n'effectue le versement
d'aucune prestation. C'est donc bien un instrument de redressement des finances publiques dans leur ensemble ; il n'y a
aucune contrepartie pour l'assujetti en termes de prestation sociale d'aucune sorte.
S'agissant des travailleurs frontaliers, seules les personnes fiscalement domiciliées en France sont assujetties à la CRDS.
Le Gouvernement français a fait connaître à la Commission européenne sa position, soulignant notamment que les
modalités de recouvrement de la CRDS ont été adaptées au cas particulier des travailleurs frontaliers, dans des conditions
cohérentes avec l'objet et la nature de la contribution : elle est prélevée par l'administration fiscale selon les règles
applicables à l'impôt sur le revenu.
Aussi, il n'est nullement envisagé de suspendre le recouvrement de la CRDS sur les revenus d'activité des travailleurs
frontaliers ni, plus généralement, d'en limiter le champ d'application aux personnes relevant d'un régime français de
sécurité sociale. Au demeurant, une telle limitation introduirait entre résidents fiscaux - puisqu'il s'agit bien d'un impôt - une
inégalité de traitement selon le lieu de leur activité professionnelle.
Cette réponse, à l'évidence, ne répond pas à vos souhaits ni à votre attente. Cependant, elle correspond à la fois à
l'analyse juridique et aux objectifs de fond de la CADES telle qu'elle a été créée par le précédent gouvernement et qui
vient d'être rouverte pour prendre en compte le déficit récent de la sécurité sociale.
M. Pierre Hérisson. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Hérisson.
M. Pierre Hérisson. Madame le ministre, je vous remercie de votre réponse, qui ne me satisfait pas.
Aux termes de la législation communautaire, ces travailleurs frontaliers ne devraient pas payer de cotisation. Ce
prélèvement que vous considérez comme un impôt est, selon moi, une cotisation.
Les travailleurs frontaliers viennent d'apprendre, comme nous tous, que le prélèvement, qui avait été prévu jusqu'en 2009,
sera prolongé de cinq ans. Derrière cette prolongation, se profile le caractère permanent du prélèvement. En effet, il
suffira de prolonger le prélèvement à chaque fois pour une durée déterminée, par exemple cinq ans, et ainsi ce que vous
considérez comme un impôt aura un caractère permanent.
Je maintiens ma position. Je serai bien sûr attentif à tout ce que dira ou fera la Commission européenne pour tenter d'aller
vers une plus grande justice sur ce point.

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