Question de M. BOYER Jean (Isère - RI) publiée le 14/11/1997

Question posée en séance publique le 13/11/1997

M. le président. La parole est à M. Jean Boyer.
M. Jean Boyer. Ma question s'adresse à M. le Premier ministre.
Au début de cette semaine, dans un entretien à un grand quotidien régional, vous vous êtes à nouveau félicité, monsieur le
Premier ministre, de votre méthode de travail, en soulignant notamment que votre gouvernement « écoute avant de
décider ».
M. Jacques Mahéas. Eh oui !
M. Jean Boyer. L'arrêt de Super Phénix, dans mon département de l'Isère, est, hélas ! la preuve du contraire. Six mille
emplois directs et indirects sont menacés dans toute la région.
Cette décision a été prise sans aucun débat organisé au Parlement, sans aucune visite de responsables ministériels pour
dialoguer avec les élus et les forces vives sur le terrain. Et vous voudriez que nous ayons foi en vos propos sur la
concertation ?
En dépit des appels constants des salariés de la centrale de Creys-Malville et des représentants des activités économiques
locales, en dépit de l'opposition des collectivités territoriales - conseil régional de la région Rhône-Alpes, conseil général
de l'Isère, parmi lesquels les représentants de votre camp - ...
M. René-Pierre Signé. Son président M. Carignon !
M. Charles Descours. Cela n'a rien à voir !
M. Jean Boyer. ... en dépit des prises de position hostiles de la majorité des sénateurs et des recommandations du
groupe des Républicains et Indépendants dans son rapport aux termes duquel l'option la plus sage serait de laisser «
brûler » les deux coeurs du réacteur existants et - j'y insiste - déjà payés, vous préférez satisfaire les exigences des Verts
et de Mme Voynet.
M. Josselin de Rohan. Voilà !
M. Jean Boyer. Ma question est triple.
Tout d'abord, quels sont les axes sur lesquels vous travaillez pour la reconversion du site, et s'agira-t-il, comme le cabinet
de Mme Voynet l'a indiqué, de transformer Creys-Malville en une centrale thermique à gaz ?
Ensuite, si l'arrêt de Super Phénix est confirmé le 15 décembre prochain, à la suite du rapport de M. Jean-Pierre Aubert,
où seront transférées les recherches sur les déchets radioactifs prévues dans ce réacteur et dont les résultats sont attendus
par le Parlement en 2006 ?
Enfin, accepterez-vous l'organisation d'un débat au Parlement sur l'avenir de la politique énergétique de la France ? Nous
le souhaitons, alors que M. le secrétaire d'Etat à l'industrie confirme l'engagement de notre pays dans la filière
électronucléaire et que, pour la « frange dure » des organisations écologistes, arrêter Super Phénix est le premier pas pour
« sortir du nucléaire ». (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste.)

- page 3445


Réponse du ministère : Économie publiée le 14/11/1997

Réponse apportée en séance publique le 13/11/1997

M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Avant de répondre au point
précis que vous avez évoqué dans votre question, monsieur le sénateur, je voudrais noter que, lorsqu'une majorité a un
programme, que les électeurs l'approuvent et qu'elle le met en oeuvre, il est tout de même délicat de dire qu'elle ne tient
compte de l'avis de personne. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
Mme Anne Heinis. Ce n'est pas cela la démocratie !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Vous êtes un élu, comme nous
tous ici, et vous n'êtes pas de ceux qui souhaitez que, lorsqu'une proposition a été présentée aux électeurs et qu'ils l'ont
approuvée, on ne la mette pas en oeuvre.
M. Gérard Fayolle. Vilvorde !
M. René-Pierre Signé. Ils n'ont pas encore intégré leur défaite !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Néanmoins, vous avez raison :
dans les modalités de mise en oeuvre, il convient de consulter. Telle est la raison pour laquelle, comme vous le rappeliez
vous-même, ce rapport a été confié à M. Jean-Pierre Aubert, qui contacte beaucoup de monde : des salariés, des
dirigeants d'Electricité de France ou d'autres sociétés impliquées dans ce domaine, des élus de la région, et je pense
d'ailleurs que vous avez dû le rencontrer, monsieur le sénateur. M. Jean Boyer. Pas encore !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Dans ces conditions, vous ne
pouvez pas dire, me semble-t-il, que la consultation, la méthode que vous attribuiez gentiment au Premier ministre n'est
pas mise en oeuvre.
Venons-en au fond. Lors de sa déclaration de politique générale, au mois de juin, M. le Premier ministre a annoncé que le
Gouvernement entendait en effet arrêter l'exploitation de Super Phénix.
A cela, il y a de nombreuses raisons. La principale est que l'électricité produite par ce réacteur est, à l'évidence, hors de
coût par rapport aux normes internationales.
A l'origine, sans doute, quand on pensait qu'il pourrait y avoir une pénurie de combustible un jour, le calcul n'était pas
idiot. Aujourd'hui, on s'aperçoit que cette tension est très loin d'exister. Au contraire, le prix de l'uranium est plutôt
décroissant, et l'on voit bien, par conséquent, que la capacité de Super Phénix à produire de l'électricité de façon
compétitive est hors de toute perspective temporelle raisonnable. Il a donc été décidé d'arrêter Super Phénix.
Si j'insiste sur ce point, c'est pour bien faire remarquer à votre assemblée que ce ne sont pas des raisons de sûreté ou des
craintes quant à la surêté qui conduiraient à vouloir arrêter Super Phénix, c'est simplement le fait que, aujourd'hui, cette
filière à neutrons rapides n'a pas d'avenir commercial raisonnable.
Bien entendu, l'arrêt technique suppose que des études assez approfondies soient réalisées sur ce que deviendront les
coeurs.
M. Charles Descours. Et le rapport Curien ?
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. J'en dirai un mot dans un
instant, monsieur le sénateur.
Cela suppose aussi que de telles études soient réalisées sur les aspects juridiques - ils sont complexes - sur les aspects
financiers et sur la reconversion, que vous avez bien entendu évoquée.
La première remarque que je voudrais faire, c'est que tout cela n'entraînera pas de coût pour EDF, car l'arrêt de Super
Phénix a été depuis longtemps provisionné dans les comptes de l'entreprise.
Ma deuxième remarque, c'est que beaucoup reste à faire en matière de reconversion, et vous comprendrez donc que le
Gouvernement attende que le missionnaire qu'il a mandaté rende son rapport pour faire des propositions. Cela étant, nous
sommes bien conscients du fait que l'arrêt de Super Phénix pose, à l'évidence, des problèmes dans le nord de l'Isère, et
que des efforts sont à fournir en matière de réindustrialisation.
Ma troisième remarque, c'est que l'un des objectifs était, grâce à Super Phénix - et c'est le rapport Curien - de brûler un
certain nombre d'actinides et, par là même, de faire partie de l'éventail des méthodes prévues par la loi du 30 décembre
1991. Celle-ci, comme vous le savez, a prévu, d'un côté, la création de laboratoires souterrains, de l'autre, du stockage.
Elle a prévu aussi la transmutation par des réacteurs à neutrons rapides.
Je pense que la recherche doit être poursuivie dans cette filière. Le Gouvernement fera donc sans doute des propositions
pour que cela soit possible en dehors de Superphénix.
Enfin, l'engagement de la France en matière d'électronucléaire n'est, à l'évidence, en rien remis en cause, par l'abandon
d'une filière dont tout donne aujourd'hui à croire qu'elle n'apporte pas les résultats commerciaux que l'on pouvait espérer.
Notre engagement est tel que, aujourd'hui, 80 % de l'électricité française est produite par la filière électronucléaire. C'est
sans doute une très bonne chose, à la fois pour la compétitivité de nos entreprises, car cela permet de leur fournir de
l'électricité peu chère, et pour les particuliers. C'est également une très bonne chose parce que, comme vous le savez,
nous sommes, en Europe et hors de l'Europe, le pays qui, par tonne d'énergie produite, diffuse dans l'atmosphère le moins
de CO2 et donc de carbone, soit 1,8 tonne par Français contre 5,4 tonnes en Allemagne et encore davantage aux
Etats-Unis. (Merci ! sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
Je suppose que ces remerciements qui émanent de vos travées s'adressent non pas à mes commentaires, mais au fait que
la France soit dotée de cette politique électronucléaire. Celle-ci a été partagée par tous les gouvernements depuis
plusieurs décennies et je me réjouis qu'elle continue à recueillir votre assentiment. (Applaudissements sur les travées
socialistes.)

- page 3446

Page mise à jour le