Question de M. PASTOR Jean-Marc (Tarn - SOC) publiée le 14/01/1998

M. Jean-Marc Pastor attire l'attention de M. le secrétaire d'Etat à la santé sur l'application de la législation relative aux prélèvements d'organes et, en particulier, sur ceux qui sont réalisés post mortem. Une loi no 76-1181 du 22 décembre 1976, dite loi Cavaillet, a défini les modalités du principe qui prévaut depuis en France : celui du consentement présumé. Cela signifie que toute personne qui, de son vivant, n'a pas fait connaître son opposition au prélèvement d'organes est considérée comme un donneur potentiel. De ce fait, le prélèvement peut être effectué sans recueillir l'autorisation de quiconque, sauf s'il s'agit du cadavre d'un mineur ou d'un incapable : dans ce cas très précis, l'autorisation du représentant légal est requise. Sans remettre en cause le principe, sont intervenues en 1994 les lois nos 94-653 et 94-954 dites de bioéthique, lesquelles prévoyaient de faciliter l'expression du refus en créant un registre national informatisé. L'Etablissement français des greffes a d'ailleurs lancé début novembre 1997 une campagne d'information sur la mise en place de ce registre. Ces lois s'inscrivaient dans un contexte de pénurie croissante de greffons, due pour une grande partie à l'opposition des familles. Toutefois, on peut légitimement se poser la question de l'utilité d'un tel registre ; en effet, si le nom du défunt ne figure pas dans le registre, l'équipe médicale pourra continer, comme par le passé, à demander l'accord de la famille et devra respecter sa décision. En conséquence, il souhaiterait que lui soit précisée sa position sur ce sujet ; par ailleurs, considérant, d'une part, la pénurie de greffons et le nombre croissant de receveurs en attente, et, d'autre part, les difficultés psychologiques qui incombent aux familles confrontées à l'urgence des décisions à prendre, il lui demande s'il n'est pas possible d'envisager le lancement d'une vaste campagne d'information sur la législation en vigueur.

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Réponse du ministère : Santé publiée le 21/01/1998

Réponse apportée en séance publique le 20/01/1998

M. Jean-Marc Pastor. Monsieur le secrétaire d'Etat, ma question concerne la législation relative aux prélèvements
d'organes et, plus particulièrement, aux prélèvements post mortem.
Je rappelle que la loi du 22 décembre 1976, dite « loi Caillavet », a défini les modalités du principe du consentement
résumé, qui, depuis, prévaut dans notre pays. Cela signifie que toute personne qui, de son vivant, n'a pas fait connaître
son opposition au prélèvement d'organes est considérée comme un donneur potentiel. De ce fait, le prélèvement peut être
effectué sans qu'on ait à recueillir l'autorisation de quiconque, sauf s'il s'agit du cadavre d'un mineur ou d'un incapable ;
dans ce cas très précis, l'autorisation du représentant légal est requise.
Notre système diffère de celui dit du « consentement explicite », qui s'applique notamment en Grande-Bretagne et selon
lequel toute personne doit, de son vivant, exprimer son accord concernant des prélèvements.
Sans remettre en cause le principe qui prévaut en France, les lois sur la bioéthique, qui ont été adoptées en 1994 et sont
intervenues dans un contexte de pénurie croissante de greffons, due pour une grande part à l'opposition des familles, ont,
en conséquence, prévu la création d'un registre national informatisé des refus.
Ce n'est qu'au début de novembre 1997 que l'Etablissement français des greffes a lancé une campagne d'information sur
la mise en place de ce registre.
Toutefois, on peut légitimement se poser la question de l'utilité d'un tel registre. En effet, si le nom du défunt ne figure pas
dans le registre, l'équipe médicale pourra continuer, comme par le passé, à demander l'accord de la famille et devra
respecter sa décision. Je souhaite, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous nous précisiez votre position sur ce sujet.
Par ailleurs, considérant, d'une part, la pénurie de greffons et le nombre croissant de receveurs en attente, et, d'autre part,
les difficultés psychologiques que connaissent les familles confrontées à l'urgence des décisions à prendre, le lancement
d'une vaste campagne d'information et de sensibilisation sur la législation en vigueur me paraît actuellement plus que
souhaitable.
Pourriez-vous, monsieur le secrétaire d'Etat, nous faire connaître vos intentions à cet égard ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé. Monsieur le sénateur, vous avez raison de souligner combien
cette question est délicate.
Ainsi que vous l'avez rappelé, la loi de bioéthique du 29 juillet 1994 a adopté le principe du consentement présumé. Ainsi,
toute personne est considérée comme consentant au don d'éléments de son corps après sa mort, en vue de greffe, si elle
n'a pas manifesté son opposiiton de son vivant. La loi donne donc le droit de décider personnellement en la matière, sauf
en ce qui concerne les mineurs et les majeurs protégés, pour lesquels le consentement écrit de chacun des titulaires de
l'autorité parentale ou du représentant légal est requis.
En conséquence, si une personne veut, de son vivant, s'opposer à un tel prélèvement, elle peut le manifester de trois
manières : soit par inscription sur le registre national des refus, dont la création est prévue par cette même loi et qui devrait
être mis en oeuvre en juin 1998 - une campagne sera lancée auparavant - par l'Etablissement français des greffes ; soit
par volonté exprimée par écrit, sur papier libre, sur une carte ou tout autre support ; soit par information orale donnée à
sa famille, et l'on perçoit immédiatement les problèmes que cela soulève.
La loi prévoit cependant également que le médecin est tenu de s'efforcer de recueillir le témoignage - et non la décision -
de la famille. Mais vous savez dans quelles conditions la famille est généralement amenée à répondre : à l'hôpital, souvent
après un accident, alors qu'elle est sous le choc et au comble du chagrin.
Monsieur le sénateur, vous avez également évoqué la pénurie de greffons et il est vrai qu'environ 350 personnes décèdent
chaque année en France en attente d'une greffe.
Toutefois, il convient de souligner que, depuis deux ans, la liste d'attente ne s'accroît pas ; nous avons même le sentiment
que, petit à petit, elle a tendance à s'amenuiser. Bref, la situation est en train de changer.
A titre d'information, je vous signale que, en 1996, il a été procédé à environ 3 000 transplantations : 408 ont concerné le
coeur, 22 le coeur et les poumons, 81 les poumons seuls, 646 le foie, 1 644 les reins et 55 le pancréas. En 1997, on a
enregistré environ 40 transplantations supplémentaires.
Si l'on veut bien se souvenir des événements dramatiques qui, en 1992, ont conduit à une chute inquiétante des dons
d'organe, on conviendra que cet acte fondamentalement noble du don d'organe doit reposer sur la confiance : confiance
de l'ensemble des Français vis-à-vis de nos équipes médicales et de notre système de greffe, qui est excellent.
C'est parce qu'on n'avait pas pris le temps d'écouter une famille - je fais allusion à l'affaire Damien - que l'émotion avait
saisi notre pays. A l'époque, j'étais ministre de la santé et je me suis souvent posé la question de savoir si j'avais eu raison
ou non de recommander dans la loi de bioéthique, qui était alors en discussion, une révision de notre dispositif
d'information et de consentement.
Plusieurs faits militaient en faveur d'une révision.
Tout d'abord, dans d'autres pays, le système de l'inscription sur un registre, soit pour accepter, soit pour refuser le
prélèvement, était bien enraciné et fonctionnait parfaitement.
Par ailleurs, le nombre de patients en attente de greffe augmentait sensiblement ; s'agissant de la greffe de cornée, la chute
des dons était spectaculaire.
A cela s'ajoutait l'absence de contrôle de sécurité sanitaire. Alors même que certains virus nous causaient les plus graves
préoccupations, dans la pratique, des prélèvements étaient réalisés sans qu'on ait procédé à d'élémentaires contrôles
virologiques.
Par-dessus tout, l'affaire Damien avait soulevé une profonde émotion dans notre pays : la famille avait protesté contre un
prélèvement excessif et, de manière tout à fait scandaleuse, elle s'était vu adresser la facture du prélèvement !
Dans un domaine aussi sensible, la plus grande attention est requise. C'est pourquoi la mise en place du registre national
des refus me paraît extrêmement importante. Ce registre permettra à ceux qui le souhaitent - une petite fraction de la
population - d'exprimer clairement son opposition, ce qui est tout à fait respectable. Ainsi, tout sera parfaitement clair. En
outre, l'installation du registre va fournir l'occasion d'apporter à chacun une information en dehors de tout contexte
dramatique.
Voilà pourquoi je pense qu'il faut maintenir le registre national des refus.
Je vous rappelle que, avant l'été, dans toutes les pharmacies, sera présenté un document très précis et très clair sur les
dons et les greffes d'organes. Des informations complémentaires pourront être recueillies auprès du pharmacien.
Dans chaque pharmacie française, des fiches seront mises à disposition. Celles qui auront été remplies seront centralisées
à l'Etablissement français des greffes, et, grâce à une transmission électronique, les hôpitaux pourront savoir si telle ou telle
personne est inscrite sur le registre, dans le respect, bien sûr, de la confidentialité.
L'Etablissement français des greffes a développé un plan triennal d'éducation sanitaire. La campagne a débuté en 1996
par les établissements de santé publics et privés avec une information ciblée sur les professionnels hospitaliers que nous
avons voulu viser en premier. Cette campagne s'est poursuivie en 1997 dans le secteur des professionnels de la santé
libérale. En 1998 enfin, une grande action nationale destinée au grand public est prévue. Trois cas de refus seront
possibles : le refus du don, le refus des prélèvements scientifiques et le refus des autopsies. Il n'y aura envoi d'une fiche à
l'Etablissement français des greffes qu'en cas de refus.
L'attention du secrétaire d'Etat à la santé avait également été attirée sur la diminution du nombre des autopsies, et sur la
position très particulière qu'avait prise le professeur Claude Got. Nous en avons donc tenu compte. Le Conseil d'Etat
avait d'ailleurs demandé que ces trois cas de refus, don, prélèvement scientifique et autopsie, soient explicitement
précisés.
Votre légitime préoccupation, monsieur Pastor, est donc aussi celle du Gouvernement, qui soutient financièrement la
campagne d'information. Je prendrai d'ailleurs la parole sur ce sujet lors du lancement de cette campagne dans le public.
Enfin, et l'essentiel est peut-être là, si la campagne se révèle insuffisante et que le fichier des refus ne fonctionne pas de
manière satisfaisante, il nous sera possible d'en tenir largement compte lors de la révision de la loi sur la bioéthique que
nous allons entreprendre en 1999 et à laquelle, bien entendu, la représentation nationale sera associée.
M. Jean-Marc Pastor. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Pastor.
M. Jean-Marc Pastor. Monsieur le secrétaire d'Etat, je tiens à vous remercier de vos propos, car ils apportent une
réponse rassurante à cette délicate question.
La campagne d'information, qui ne fait que commencer, revêt une importance toute particulière, notamment à l'école où
j'espère que, comme la campagne d'information sur le sida, elle sensibilisera les enfants et les convaincra de la nécessité
de cet acte de solidarité qu'est le don d'organes. Ce pourrait être le début d'un vaste mouvement humanitaire.
Reste pour les équipes médicales - qui interviennent, vous l'avez rappelé à juste titre, à des moments particulièrement
critiques et très sensibles pour les familles - la difficulté de faire ou non le choix de prélever un organe.
Certes, le registre de l'Etablissement français des greffes devrait les aider mais sa consultation sera-t-elle suffisamment
rapide ?
Je me demande s'il ne faudrait pas que chacun de nous porte, par exemple sur sa carte d'identité, un signe distinctif afin de
permettre aux équipes médicales d'intervenir immédiatement, sans faire de recherches.

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