Question de M. LANIER Lucien (Val-de-Marne - RPR) publiée le 25/03/1998

M. Lucien Lanier rappelle à Mme le ministre de l'emploi et de la solidarité que la loi no 97-940 du 16 octobre 1997 relative au développement d'activité pour l'emploi des jeunes prévoit la création d'emplois dits " accompagnateurs de personnes dépendantes ". Leur mission est même définie : " faciliter la réinsertion lors de la sortie de l'hôpital en préparant le retour du patient à domicile, en l'aidant dans la réalisation de ses problèmes d'appareillage, de transports, etc... ". Il précise que cela correspond exactement à la définition des actes professionnels des ergothérapeutes dont la formation BAC p 3 comprend un enseignement pratique, technique et clinique de haut niveau. Or, il souligne que les jeunes ergothérapeutes diplômés trouvent actuellement difficilement un emploi correspondant à leurs capacités, comme à leur formation. Aussi, la création d'emplois-jeunes dans cette discipline soulève plusieurs problèmes : la qualité de l'aide apportée à des personnes dépendantes par des jeunes sans aucune formation adéquate pour un secteur de soins particulièrement sensible ; le risque pour ces emplois d'être passibles de sanctions pénales pour exercice illégal de l'ergothérapie, dont la pratique qui exige un diplôme approprié ; le risque de concurrence illicite entre ces emplois-jeunes, certes louables, mais au rabais, et les diplômés qui ont déjà de la peine à exercer la profession qu'ils ont choisie ; l'avenir de ces emplois-jeunes après cinq ans. En conséquence, il lui demande quelles mesures elle entend prendre pour garantir la profession d'ergothérapeute, et sa spécificité, la qualité des soins aux malades, et assurer la cohérence du plan emplois-jeunes avec le bon fonctionnement et la sécurité des soins hospitaliers et extra-hospitaliers.

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Réponse du ministère : Santé publiée le 01/04/1998

Réponse apportée en séance publique le 31/03/1998

M. Lucien Lanier. La loi n° 97-940 du 16 octobre 1997 relative au développement d'activités pour l'emploi des jeunes
prévoit, entre autres, la création d'emplois dits d'« accompagnateurs de personnes dépendantes ». Leur mission est même
définie : « faciliter la réinsertion lors de la sortie de l'hôpital en préparant le retour du patient à domicile, en l'aidant dans la
réalisation de ses problèmes d'appareillage, de transports, etc. »
Cette mission ainsi définie correspond à peu près exactement à celle des actes professionnels des ergothérapeutes. Or la
formation de ces derniers, bac + 3, comprend un enseignement pratique, un enseignement technique et un enseignement
clinique de haut niveau, sanctionnés par un diplôme.
Actuellement, les jeunes ergothérapeutes diplômés trouvent avec difficulté un emploi correspondant à leurs capacités
comme à leur formation. La création d'emplois-jeunes dans cette discipline soulève donc plusieurs problèmes.
Le premier est relatif à la qualité de l'aide apportée à des personnes dépendantes par des jeunes qui n'auraient pas la
formation requise dans un secteur de soins particulièrement sensible.
Le deuxième est le risque éventuel, pour les titulaires de ces emplois-jeunes, d'être passibles de sanctions pénales pour
exercice illégal de l'ergothérapie, exercice qui exige, je viens de le rappeler, un diplôme approprié.
Le troisième est le risque de concurrence illicite entre les titulaires de ces emplois-jeunes - emplois dont le principe est
certes louable - et les diplômés, qui rencontrent déjà des difficultés à trouver place dans la profession qu'ils ont choisie et
qu'ils ont mérité d'exercer.
Enfin, quel sera l'avenir de ces emplois-jeunes au bout de cinq années ?
En conséquence, monsieur le secrétaire d'Etat, puis-je me permettre de vous demander quelles mesures sont envisagées,
d'abord pour garantir, avec les ergothérapeutes professionnels, la qualité des soins aux malades, ensuite pour assurer une
certaine cohérence entre le plan emploi-jeunes et le bon fonctionnement et la sécurité des soins hospitaliers et
extra-hospitaliers.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé. Monsieur le sénateur, j'ai écouté votre question avec beaucoup
d'attention. Vous l'avez posée à propos des ergothérapeutes, mais elle recoupe nombre de préoccupations qui sont
également les miennes.
Vous avez appelé l'attention de Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité sur les conséquences du programme «
nouveaux services - nouveaux emplois » sur les activités de certains professionnels déjà en place, notamment les
ergothérapeutes.
D'abord, permettez-moi de vous rappeller que nous avons indiqué avec force, dans la circulaire du 24 octobre 1997
relative à la mise en oeuvre du programme, que les emplois créés ne devaient en aucun cas se substituer à des emplois
existants dans le secteur public ou le secteur privé. C'est un point sur lequel nous avons demandé aux préfets d'être
particulièrement vigilants, car la question que vous soulevez est en effet tout à fait pertinente.
Cette exigence de non-substitution aux emplois existants, notamment aux emplois relevant des professions réglementées, a
été rappelée, s'agissant des professions médicales et sociales, dans une autre circulaire du 12 février 1998, relative à la
mise en place du programme « nouveaux services - nouveaux emplois » dans ces secteurs particuliers.
Le principe étant rappelé, j'en viens plus précisément, monsieur le sénateur, au cas que vous évoquez et qui concerne
l'accompagnement de personnes dépendantes.
Je voudrais tout d'abord rappeler qu'il n'y a pas de liste officielle de métiers qui bénéficieraient de l'aide de l'Etat dans le
cadre du dispositif emplois-jeunes. Les vingt-deux métiers repris au mois d'août par un quotidien du soir, Le Monde, pour
ne pas le nommer, n'avaient de valeur que d'exemple.
L'objectif est bien de répondre aux vrais besoins de nos concitoyens, là où ils s'expriment. Parfois, ces besoins sont pris
en compte ; parfois, ils ne le sont pas. Il appartiendra donc aux préfets, dans le cadre des instructions qui leur sont
données, de valider les projets.
L'activité en question vise à répondre aux besoins importants d'accompagnement des personnes dépendantes, notamment
après une hospitalisation. Il s'agit d'organiser leur retour dans de bonnes conditions, de préparer leur domicile, de prendre
des rendez-vous avec des professionnels qualifiés, de prendre en compte les besoins de transports, enfin de résoudre des
problèmes matériels, administratifs et sociaux.
Dans notre esprit, cette activité est donc complémentaire du travail social, elle n'interfère pas avec des professions de
santé réglementées, comme celle d'ergothérapeute, qui exigent pour leur exercice la possession d'un diplôme approprié,
comme vous l'avez d'ailleurs souligné.
Il n'y a donc, pour ces emplois qui se situent bien dans l'esprit du programme - à notre avis, mais cela peut être démenti
par les faits - aucun risque de concurrence illicite. Ce serait d'ailleurs tout à fait dommageable.
Je suis, pour ma part, tout à fait confiant quant à l'avenir de ces emplois. Qu'en sera-t-il dans cinq ans, me
demandez-vous ? Si ces emplois satisfont de réels besoins d'utilité sociale, non pris en compte à ce jour, le confort ainsi
procuré devra se traduire par une prise en charge différente qui, évidemment, ne sera pas celle de l'Etat. Ce sera, en
quelque sorte, la loi du marché - même si celui de l'utilité sociale est un marché un peu particulier - qui prévaudra : c'est à
la demande précise de personnes plus ou moins dépendantes que nous devrons la pérennité de ces emplois.
Quoi qu'il en soit, ce programme a déjà permis l'embauche de 50 000 jeunes, contribuant ainsi fortement à l'amélioration
de la qualité de vie des personnes aidées, malgré, je vous l'accorde, des chevauchements dont il nous faudra naturellement
tenir compte.
M. Lucien Lanier. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Lanier.
M. Lucien Lanier. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le secrétaire d'Etat. Vous étiez d'ailleurs probablement
le mieux à même de me répondre, car vous êtes par nature, par essence et de par vos responsabilités, le défenseur de
certaines professions, dont celle d'ergothérapeute.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Bien sûr !
M. Lucien Lanier. Vous avez reconnu que les ergothérapeutes sont titulaires d'un diplôme et que, en conséquence, leur
profession est réglementée et mérite d'être protégée.
En réalité, ce n'est pas le corporatisme que vous devez protéger, mais bien les malades eux-mêmes, et c'est sur ce point
que votre réponse me laisse un peu sur ma faim, dans la mesure où vous laissez au temps le soin de juger des délimitations
respectives de l'emploi des jeunes, d'une part, et de la profession d'ergothérapeute, d'autre part.
Une telle situation n'est pas satisfaisante, d'abord pour les jeunes à qui l'on confiera un emploi : vous avez dit que les
préfets seront juges, mais comment voulez-vous qu'un préfet - je connais le métier, puisque je l'ai pratiqué - puisse savoir
si tel jeune, à qui l'on demandera d'aider un vieillard ou une personne handicapée en poussant sa chaise ou en préparant
ses repas n'ira pas jusqu'à lui donner en même temps les soins nécessaires, prenant ainsi la place d'un ergothérapeute
diplômé ?
Vous devrez étudier la question de près avec votre collègue chargée de l'emploi, car de deux choses l'une : soit il n'y aura
pas d'emplois-jeunes dans ce secteur - c'est un peu secrètement ce que vous souhaiteriez pour simplifier le problème,
mais je ne veux pas vous le faire dire - soit les emplois-jeunes ainsi créés provoqueront une concurrence illicite entre des
gens qui ont travaillé pour être ergothérapeute et des jeunes dont, au bout de cinq ans, on ne saura pas très bien quoi
faire. Et je ne veux pas évoquer ici l'exercice illégal de la profession !
Tout cela mérite, monsieur le secrétaire d'Etat, reconnaissez-le, que la question vous soit reposée, dans six mois par
exemple, pour savoir si vous être parvenu à quelque conclusion.

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