Question de M. WEBER Henri (Seine-Maritime - SOC) publiée le 18/12/1998

Question posée en séance publique le 17/12/1998

M. le président. La parole est à M. Weber.
M. Henri Weber. Ma question s'adresse à M. le ministre des affaires étrangères et porte, ce qui ne le surprendra qu'à
moitié, sur la position du Gouvernement au sujet de l'action militaire engagée cette nuit par les Etats-Unis et la
Grande-Bretagne en Irak.
A de nombreuses reprises, notre diplomatie a exprimé son souhait de voir le Conseil de sécurité de l'ONU donner
explicitement son aval à toute opération militaire. On peut donc s'interroger aujourd'hui sur la légitimité de l'intervention
anglo-américaine.
Evaluant sans doute les conséquences politiques possibles de ces frappes sur le monde arabo-musulman et sur l'avenir
même de l'UNSCOM, le secrétaire général des Nations unies, M. Kofi Annan, a déclaré : « C'est un triste jour pour les
Nations unies et pour le monde. »
Certes, l'intransigeance criminelle de Saddam Hussein et son non-respect des résolutions du Conseil de sécurité de
l'ONU constituent des obstacles majeurs à une solution diplomatique. Mais la solution militaire choisie par les
Etats-Unis peut-elle contribuer efficacement au règlement du conflit et à l'établissement d'une paix juste, équilibrée et
durable au Moyen-Orient ? Peut-on laisser ainsi la première puissance mondiale décider seule de la légitimité ou non
d'une action militaire lourde de conséquences ? (Applaudissements sur les travées socialistes et sur plusieurs travées
du RPR et de l'Union centriste. - M. Trucy applaudit également.)

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Réponse du ministère : Affaires étrangères publiée le 18/12/1998

Réponse apportée en séance publique le 17/12/1998

M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères. Monsieur le sénateur, dès le début des actions militaires
entreprises cette nuit par les Etats-Unis, les autorités françaises ont fait savoir à quel point elles déploraient l'engrenage
qui a conduit à ces frappes contre l'Irak et qu'elles regrettaient par avance les graves conséquences humaines que
celles-ci pourraient avoir pour la population irakienne.
La France a des raisons toutes particulières de déplorer que l'on en soit parvenu à la situation actuelle, car elle n'a
jamais ménagé ses efforts pour que, dans le strict et complet respect des résolutions du Conseil de sécurité, une
solution raisonnable soit trouvée, permettant de sortir enfin des conséquences de la guerre du Golfe et de mettre un
terme aux contrôles qui avaient dû être mis en place, à l'époque, avec notre plein accord, pour vérifier quel était l'état
des programmes d'armes de destruction massive élaborés par l'Irak. On aurait pu ensuite passer à une autre phase
visant à redonner à ce pays, et surtout à son peuple, des perspectives d'avenir.
Pour cela, il fallait achever les opérations de contrôle et passer à la phase que nous avons élaborée et préparée, et qui
porte le nom de contrôle continu.
C'est pour cette raison que nous regrettons profondément que les autorités irakiennes - ce qui est une façon de
désigner le président irakien, qui est seul à prendre les décisions - n'aient pas su faire preuve, notamment après les
deux grandes crises de cette année, de l'esprit de complète coopération qui était tout à fait indispensable à la mise en
oeuvre du mémorandum du 23 février dernier négocié entre MM. Kofi Annan et Tarek Aziz.
En décidant de suspendre sa coopération avec l'UNSCOM le 5 août, en décidant de la rompre complètement le 31
octobre, le gouvernement irakien n'a pas respecté l'engagement qu'il avait pris en février. Il porte, à l'évidence, l'entière,
ou en tout cas la première responsabilité dans l'engrenage qui a conduit à ce recours à la force. Il a accumulé toutes
les erreurs, encore récemment, alors même que nous avions obtenu, nous, la France, au sein du Conseil de sécurité,
que l'on définisse les règles de ce qui s'appelle l'examen d'ensemble et qui permettait peut-être, je le répète, de tourner
la page.
La non-coopération avec l'UNSCOM exposait l'Irak à une action militaire du fait de ses dirigeants. Les autorités de
Bagdad en étaient parfaitement averties, puisque toutes les résolutions du Conseil de sécurité, qui indiquaient que les
violations exposaient l'Irak à de très graves conséquences, étaient très claires sur ce point.
Toutefois, la France ne peut pas ne pas regretter la façon dont le Conseil de sécurité a été privé de la possibilité de
débattre normalement du rapport de l'UNSCOM et de son responsable, M. Butler, et qui aurait dû avoir lieu précisément
au moment où les actions militaires ont été engagées, d'autant plus que le dernier rapport de l'Agence internationale de
l'énergie atomique, comme le précédent, était satisfaisant. Sur 130 inspections organisées depuis la mi-novembre,
seuls cinq ou six incidents, peut-être importants mais il faut les rapporter à l'action générale des contrôles, avaient été
enregistrés. Nous pensions que cette question, comme les précédentes, ces conflits, ces impossibilités auraient pu
être surmontés par un travail politique et diplomatique.
Vous savez que la France a toujours privilégié la solution politique, et donc diplomatique, dans cette affaire. Deux fois
cette année, nous avons obtenu des résultats. Nous ne sommes toujours pas convaincus, nous ne pouvons qu'être
sceptiques quant à l'efficacité des frappes militaires au regard de l'objectif de la communauté internationale tout entière,
à savoir comment maintenir un contrôle réel pour s'assurer que ce pays, en tout cas ses dirigeants, je le redis, ne
redeviennent pas dangereux pour la région, puisque l'objectif est clair : il s'agit de contribuer à bâtir un Moyen-Orient
pacifique dans lequel l'ensemble des pays puissent cohabiter dans des conditions convenables.
A ce stade, je ne peux que vous dire que la France continuera à oeuvrer en faveur de cet objectif. (Applaudissements
sur les travées socialistes et sur plusieurs travées de l'Union centriste.)

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