Question de M. de RICHEMONT Henri (Charente - RPR) publiée le 08/04/1999

M. Henri de Richemont demande à M. le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale de bien vouloir lui préciser ses intentions à l'égard des propositions remises au Premier ministre par la présidente de la mission interministérielle de la lutte contre la drogue et la toxicomanie, qui tendent à assimiler officiellement les vins, les bières, les cidres et les spiritueux à des drogues au même titre que les stupéfiants illicites.

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Réponse du ministère : Santé publiée le 19/05/1999

Réponse apportée en séance publique le 18/05/1999

M. Henri de Richemont. Monsieur le secrétaire d'Etat, le rapport de M. Roques, que vous avez commandé, fait un
amalgame entre les drogues dures et l'alcool, sans distinguer l'usage et l'abus alors que tout abus est répréhensible,
quel que soit le produit consommé.
Au mois de janvier dernier, M. le Premier ministre a ajouté aux missions traditionnelles dévolues à Mme la présidente
de la mission interministérielle contre la drogue et la toxicomanie les drogues licites, tel l'alcool.
Classer les vins et les spiritueux dans la catégorie des drogues dures mettrait globalement à mal trois millions
d'emplois dans notre pays et aurait des conséquences désastreuses pour l'économie du cognac, aujourd'hui gravement
en crise, puisqu'il s'ensuivrait une dévalorisation de l'appellation « cognac ».
Vous comprendrez également que les professionnels du cognac, qu'ils soient viticulteurs ou négociants, refusent d'être
assimilés à des dealers.
Il ressort d'articles de presse que le Gouvernement a décidé de geler toute décision jusqu'aux prochaines élections
européennes.
Je vous demande donc, monsieur le secrétaire d'Etat, non seulement de bien vouloir me confirmer cette information,
mais aussi de me dire si le Gouvernement a abandonné toute assimilation des vins et spiritueux aux drogues dures.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale. Monsieur le sénateur, vous confondez, hélas !
les effets et les causes. Il n'est pas question de déclassifier ou de classifier quoi que ce soit.
Permettez-moi de vous dire que, pour un responsable de la santé publique, comme pour n'importe quel médecin - et ils
sont nombreux dans notre pays - ce sont les causes qui comptent et, dans le rapport Roques auquel vous avez fait
allusion, il est question non pas de stigmatiser ou de classifier, mais de décrire, avec une compétence
internationalement reconnue, les effets des diverses substances - je dis « substances » pour ne pas les ranger dans
une catégorie ou une autre - sur le corps humain, en particulier ce que l'on appelle la neurotoxicité, c'est-à-dire la
toxicité qui concerne le système nerveux.
En cela - hélas ! trois fois hélas ! - les consommations abusives ne concernent pas, bien entendu, l'observateur
scientifique : il a essayé, et il a réussi à montrer - et c'est internationalement reconnu non seulement, d'ailleurs, depuis
ce travail dont vous avez parlé, mais bien avant - que cette neurotoxicité, que le phénomène de dépendance, la voie que
l'on appelle « dopaminergique », est actionnée par diverses substances, les unes étaient licites et les autres illicites.
Voilà ce que nous avons dit, car ce sont ces conséquences sur la santé publique qui sont à considérer.
A côté de l'héroïnomanie, dont divers indicateurs nous font estimer qu'elle est en décroissance dans notre pays - ce
dont nous nous félicitons - on assiste au développement d'autres types de toxicomanies, et surtout de
polytoxicomanies, c'est-à-dire au mélange de substances licites et illicites. Des substances médicamenteuses et
alcooliques viennent se mêler aux substances illicites et, dans une moindre mesure, à de nouveaux produits comme
les drogues de synthèse, ce qui nous pose des problèmes considérables de santé publique.
Le responsable de santé publique que je suis doit constater ce phénomène et lutter contre l'ensemble. Si l'on absorbe
plusieurs produits à la fois, que ces produits se renforcent et même, comme l'on dit, se potentialisent, il nous faut bien
tenir compte des effets de cette absorption sur la santé des hommes.
Nous avons donc le souci, dans ce domaine, bien entendu de combattre, mais aussi de donner une information
objective ; je partage votre sentiment. C'est pourquoi je précise que, contrairement à ce que certains veulent faire croire
- vous faites allusion à des articles de presse, mais ils ne sont pas parole d'évangile -, il n'a jamais été question de
modifier le statut juridique de l'alcool ni de l'assimiler à une drogue dure, notion qui d'ailleurs n'existe pas dans le droit
français.
Ce sont des toxiques ; les uns sont légaux, les autres sont illégaux. Je me souviens d'ailleurs d'un débat fort
intéressant qui a eu lieu ici ; nous étions tous d'accord, en tout cas sur le plan des effets.
La réflexion actuellement menée dans le prolongement des différents rapports consacrés à cette question ne vise
nullement à créer un amalgame entre l'alcool et les drogues illicites. En effet, il ne faut pas nier que la consommation
de vin, d'alcool - en particulier de cognac - fait partie du patrimoine culturel et social de la France. Elle est associée à
un certain art de vivre, et elle s'inscrit, pour l'immense majorité de nos concitoyens, dans la modération.
Hélas ! il ne faut pas oublier pour autant que l'abus d'alcool existe, même s'il est combattu. Le responsable de la santé
publique que je suis ne peut que constater que l'abus est fréquent, et même dommageable. Il occasionne un nombre de
décès considérables, de rixes, de comportements violents ou pervers à l'intérieur et à l'extérieur de la famille, dont 70
%, monsieur le sénateur, sont liés à la consommation alcoolique. De plus, une part de la mortalité est imputable à
l'alcool : de 40 000 à 50 000 morts par an, dont la moitié est due à des causes indirectes. Par ailleurs, 20 % des
personnes hospitalisées, quelle qu'en soit la cause, consomment de l'alcool en quantité excessive.
Bien sûr, l'immense majorité de nos concitoyens consomme de l'alcool de façon modérée, mais une grande partie
d'entre eux en consomment de manière immodérée.
A cela s'ajoute le fait que, chez les jeunes, la consommation d'alcool a doublé entre 1991 et 1995 et que cette
tendance, malheureusement, se poursuit. Il suffit, pour s'en convaincre, de constater les débordements qui se
produisent après certaines manifestations publiques, débordements très souvent liés à la consommation d'alcool.
Les enquêtes épidémiologiques les plus récentes mettent en évidence de nouveaux modes de consommation des
jeunes, qui associent drogues illicites, tabac, alcool et médicaments.
En qualité de responsable de la santé et de médecin, je considère que les médicaments nous sont utiles, mais je
dénonce leur consommation excessive.
L'ensemble de ces éléments nous conduit à construire - difficilement, d'ailleurs - une politique de prévention fondée sur
le comportement du consommateur, ses motivations à consommer, les facteurs de risque et de protection pour la
santé.
Cette approche, aujourd'hui mise en oeuvre dans la plupart des pays européens, a pour objectif d'éviter le passage d'un
usage occasionnel, souvent très précoce et au début sans danger, à un usage nocif pour la santé des personnes ou
pour leur entourage.
Il m'apparaît d'ailleurs important de relever que cette distinction entre usage, usage nocif, abus et dépendance, n'est
pas en contradiction avec le message de modération développé par la filière viticole depuis plusieurs années.
C'est dans ce cadre que s'inscrivent les propositions de la mission interministérielle de lutte contre la drogue et la
toxicomanie, la MILDT - vous l'avez rappelé - et j'ai d'ailleurs pu constater que, dans de nombreux départements, ces
nouvelles orientations, qui étaient attendues des spécialistes, commençaient à être mises en oeuvre.
Mais nous sommes néanmoins inquiets, en termes de santé publique, face à ces consommations multiples, face à ces
fréquents mélanges.
M. Henri de Richemont. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. de Richemont.
M. Henri de Richemont. Monsieur le secrétaire d'Etat, je comprends bien votre action. Il est normal que le
Gouvernement lutte contre l'abus d'alcool, de drogue et de médicaments.
Je m'inquiète toutefois parce que, si vous avez eu la gentillesse de bien vouloir rappeler que le cognac participe d'un art
de vivre, je ne peux que constater qu'on n'en consomme pas assez en France. En effet, 98 % du cognac est exporté.
Nous luttons pour reconquérir le marché français. Nous espérons que les Français en consommeront beaucoup... mais
modérément. (Sourires.)
Ce qui crée une confusion, c'est que les missions confiées à Mme la présidente de la mission interministérielle de la
lutte contre la drogue et la toxicomanie incluent maintenant les drogues licites telles que l'alcool. Cet amalgame peut
nuire gravement aux vins spiritueux, plus particulièrement au cognac.

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