Question de M. BRAYE Dominique (Yvelines - RPR) publiée le 21/10/1999

M. Dominique Braye appelle l'attention de Mme le garde des sceaux, ministre de la justice, sur la définition juridique du curriculum vitae (CV), sur son éventuel caractère de confidentialité et sur la protection juridique dont il peut bénéficier. Pour les personnes en recherche d'emploi, c'est devenu une pratique courante d'adresser aux recruteurs, que ce soit des entreprises, des administrations ou des collectivités locales, un CV qui retrace leur formation et leur expérience professionnelle, et précisant également leurs coordonnées personnelles et quelques données d'ordre privé, comme le statut marital ou le nombre d'enfants. On peut donc considérer que le CV est une fiche nominative contenant des données personnelles très détaillées qui présentent un caractère de confidentialité que son auteur souhaite préserver. Pendant longtemps, l'usage voulait que l'entreprise, l'administration ou la collectivité locale, retourne son CV au candidat non retenu. La situation actuelle du marché du travail fait que les entreprises, les administrations mais aussi les collectivités locales se trouvent aujourd'hui destinataires d'une masse considérable de CV qu'elles ne peuvent tous archiver. Cela implique en tout cas une gestion très lourde et problématique. On peut donc supposer que la plupart d'entre elles ne les conservent pas et les détruisent au fur et à mesure. Le cas peut néanmoins se poser, en particulier lors d'un déménagement, que des dossiers de recrutement, non détruits, soient évacués et se retrouvent mis sur la voie publique, pour enlèvement par le service de collecte des déchets. En conséquence, il lui demande, dans un premier temps, de préciser le statut d'un CV au regard de la législation sur la protection des données personnelles. Enfin il lui demande de quoi cet abandon de documents nominatifs serait passible du point de vue du droit pénal. Il lui pose également la question du point de vue du droit civil, dans le cas où une personne dont les coordonnées personnelles se trouveraient mises sur la voie publique et à la disposition du premier passant venu peut-être malveillant, souhaiterait poursuivre l'entreprise, l'administration ou la collectivité locale responsable.

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Réponse du ministère : Justice publiée le 20/04/2000

Réponse. - Le garde des sceaux, ministre de la justice, fait connaître à l'honorable parlementaire que l'applicabilité à un document des dispositions de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés suppose que soient réunies les deux conditions de l'existence d'informations nominatives et de la présence d'un traitement automatisé ou d'un fichier. Sous réserve de l'appréciation par les juridictions des circonstances de l'espèce, et alors même qu'un curriculum vitae est un document contenant des données nominatives dont certaines présentent un caractère de confidentialité, le simple fait d'accumuler et de conserver sans les restituer à leurs auteurs des documents de cette nature, en l'absence de tout critère d'organisation et de structuration de ceux-ci, n'apparaît pas constitutif par lui seul de l'existence d'un fichier. C'est seulement dans la mesure où cette existence pourrait être préalablement établie qu'un certain nombre de droits fondamentaux énoncés par la loi susvisée du 6 janvier 1978 deviendraient applicables, en vertu de l'article 45 de celle-ci. Il en irait ainsi de l'article 29 de cette loi selon leque " Toute personne ordonnant ou effectuant un traitement d'informations nominatives s'engage de ce fait, vis-à-vis des personnes concernées, à prendre toutes précautions utiles afin de préserver la sécurité des informations et notamment d'empêcher qu'elles ne soient déformées, endommagées ou communiquées à des tiers non autorisés. " Les articles 226-17 et 226-23 du code pénal prévoient et répriment d'une peine de cinq années d'emprisonnement et d'une amende de deux millions de francs le manquement à cette obligation. Ainsi, l'abandon sur la voie publique des documents susmentionnés pourrait-il constituer, sous réserve de l'appréciation des juges du fond, un tel manquement, toutes les précautions utiles n'ayant pas été prises pour empêcher que les données nominatives qu'ils contiennent ne soient rendues accessibles à des tiers non autorisés. En outre, en vertu des dispositions de l'article 226-24 du code pénal, une personne morale peut être déclarée responsable de l'infraction précitée. Sur un plan civil et que que soit le statut des documents considérés au regard de la législation de protection des données, l'abandon sans protection par leur détenteur de documents présentant un caractère confidentiel à l'égard de la vie privée des personnes que ceux-ci concernent peut, sous réserve de l'appréciation par les juridictions des circonstances d'un tel abandon et des risques de divulgation auxquels il expose les intéressés, s'avérer constitutif d'une atteinte au droit de toute personne au respect de sa vie privée, édicté par l'article 9 du code civil, et être sanctionné, en conséquence, tant par des mesures susceptibles d'être ordonnées en référé par le juge, afin d'empêcher ou de faire cesser une telle atteinte, que par la mise en uvre des règles de la responsabilité civile prévues par les articles 1382 et 1383 du code civil.

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