Question de Mme BEAUDEAU Marie-Claude (Val-d'Oise - CRC) publiée le 30/11/1999

Mme Marie-Claude Beaudeau attire l'attention de M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie sur le projet de la Caisse des dépôts et consignations de créer un établissement de crédit privé regroupant en fait l'ensemble des activités financières concurrentielles de la Caisse, que celles-ci soient filialisées ou non. Elle lui demande de lui préciser les objectifs, l'origine et le montant du capital, les moyens en personnels de cette société privée qui ne pourront que provenir de la CDC, donc des fonds et des personnels de la République. Elle lui demande de lui préciser si un tel projet ne menace pas l'avenir de l'établissement public qu'est la CDC, de ses missions d'utilité publique, sociale et de ses emplois. Elle lui demande également si ce projet CDC Finance ne s'oppose pas aux engagements du Premier ministre de ne pas poursuivre le mouvement de démantèlement du secteur public économique et financier dont la Caisse des dépôts demeure un des derniers représentants et qui par son efficacité conserve la confiance des élus locaux. Elle lui demande si une loi n'est pas devenue nécessaire rejetant toute véritable séparation entre activités d'intérêt général et activités financières concurrentielles, assurant une transparence et un contrôle démocratique de la CDC par les citoyens et le Parlement, conservant l'ensemble des personnels et leur statut.

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Erratum : JO du 23/12/1999 p.4236


Réponse du ministère : Petites et moyennes entreprises publiée le 19/01/2000

Réponse apportée en séance publique le 18/01/2000

Mme Marie-Claude Beaudeau. Madame la secrétaire d'Etat, je souhaite, avec ma question orale, obtenir des
réponses claires à propos d'un projet de création d'un établissement de crédit privé regroupant, en fait, l'ensemble des
activités concurrentielles de la Caisse des dépôts et consignations, la CDC, que celles-ci soient filialisées ou non. Il ne
s'agirait pas d'une grande première, et c'est bien ce qui m'inquiète. Ne s'agit-il pas, en effet, d'un long cheminement ?
Le Crédit local de France-Dexia est aujourd'hui passé sous contrôle de capitaux belges. La création de CDC-Marchés
et l'ouverture du capital de la Caisse nationale de prévoyance s'inscrivent dans cette évolution.
Le projet auquel je fais référence est une étape qualitativement nouvelle et importante. Il s'agirait d'une banque
d'investissement comprenant 2 800 personnes, dont 850 fonctionnaires et salariés provenant de l'établissement public
Caisse des dépôts et consignations. Le capital serait de 32 milliards de francs, issus de la CDC - soit presque la moitié
- et donc de 32 milliards de francs d'argent public.
Confirmez-vous ces objectifs et ces intentions ?
Cette situation, si elle se confirmait, serait extrêmement grave. En effet, le démantèlement de la CDC serait
programmé, donc organisé. Ses missions d'utilité publique et sociale seraient remises en cause à un moment où la
France en a pourtant besoin pour tous ses grands projets urbains de fond, soustraits à toutes les spéculations. De
nombreux emplois seraient supprimés. La CDC compte plus de 400 filiales correspondant à un bassin d'emploi dans
lequel on pourrait privatiser puisqu'il ne représente aucune réalité juridique reconnue.
Cette analyse est notamment celle de l'intersyndicale Caisse des dépôts constituée de la CGT, de la CFDT, de la CGC
et de la CFTC.
L'attachement des personnels à la CDC n'est pas seulement lié à l'emploi. Il s'agit d'une pratique et d'une technicité de
gérants des fonds publics qui vivent au quotidien toutes les tentations de privatisations.
Aujourd'hui, que reste-t-il du secteur public économique et financier ? La Caisse constitue le dernier élément, et M. le
Premier ministre s'était engagé à stopper le démantèlement.
C'est d'ailleurs la constitution de fonds de réserve qui inquiète les salariés : 3 milliards de francs pour les futurs fonds de
réserve pour les retraites et 3 milliards de francs pour les travaux de renouvellement urbain.
Cette décision n'exprime-t-elle pas une hâte de préservation de fonds publics avant la débâcle, livrant aux marchés
financiers les activités de la CDC ?
Je voudrais insister, madame la secrétaire d'Etat, sur l'importance des fonds publics concernés. L'aisance des finances
publiques ne résulte-t-elle pas aussi des résultats prospères de certaines sociétés, en particulier des entreprises dont
l'Etat est principal ou unique actionnaire ? Combien l'Etat a-t-il récupéré en 1999 ? Une bonne vingtaine de milliards de
francs, nous dit-on. Autant sont prévus au budget de l'Etat pour l'an 2000.
M. le secrétaire d'Etat au budget reconnaissait cette prospérité en affirmant que les « versements réalisés au cours du
premier semestre font apparaître une hausse sensible par rapport aux prévisions de la loi de finances ». La CDC
n'a-t-elle pas enregistré une hausse de 47 % de son bénéfice au cours du premier semestre, hausse due
essentiellement aux plus-values de 2 milliards de francs dégagées lors de la fusion Sanofi-Synthélabo, dont elle est
actionnaire ?
Combien la CDC aura-t-elle encaissé de plus-values lors de la fusion Elf-Total ? Combien aura-t-elle encaissé lors de
l'opération BNP-Paribas ?
Les habitants des banlieues de l'ouest et du sud-ouest de Londres seraient sans doute bien étonnés d'apprendre que
leur ligne de bus habituelle appartient à la CDC, que celle-ci s'occupe des soixante-dix kilomètres du nouveau tramway
de Porto, du premier tramway irlandais à Dublin, qu'elle participe à la cinquième ligne du métro de São Paulo - 800 000
voyageurs par jour - qu'elle pilote la modernisation du métro de Londres, de l'ensemble du réseau du Luxembourg, et de
celui de New York. L'Etat français, via la CDC, a-t-il vocation à organiser les transports en commun de la planète ?
L'importance des fonds concernés fait de la CDC un investisseur de premier plan. Cette mission rémunérée lui a permis
d'accumuler 70 milliards de francs de fonds propres, qu'il faut évidemment gérer et investir. La gestion des stations
skiables fait de la CDC le leader mondial des remontées mécaniques ; mais il y a aussi l'assainissement de l'eau, le
traitement des déchets, le chauffage urbain, les projets de chemin de fer, d'autoroutes, de constructions d'aéroports, de
ports, de pipe-lines... Nous sommes en plein coeur de l'investissement capitaliste !
Mes questions sont claires : voulez-vous livrer les capitaux français, le savoir-faire, les personnels à l'investissement
d'un pôle capitaliste agissant au profit exclusif des puissances d'argent sur le plan mondial ? Pourquoi refusez-vous
d'envisager la création d'un pôle français tourné vers les investissements dont la vie sociale et économique de notre
pays a pourtant grandement besoin, et que le Gouvernement n'avait pas rejetée dans son principe il y a plusieurs mois
?
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Marylise Lebranchu, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à l'artisanat.
L'action menée par le Gouvernement depuis juin 1997 à l'égard du secteur financier vise à remettre celui-ci au service de
la croissance et de l'emploi, par une action convergente dans trois domaines.
Tout d'abord, la modernisation du secteur financier public a été engagée, dans l'intérêt de l'Etat et du contribuable
comme dans celui des entreprises et de leurs salariés, afin de permettre à ces entreprises de participer avec ambition
aux évolutions futures. C'est cette stratégie qui a, par exemple, imposé le maintien de la Caisse nationale de
prévoyance, la CNP, dans le secteur public.
Par ailleurs, est menée une action structurelle pour améliorer les conditions de fonctionnement de notre secteur
financier dans le cadre du marché de l'euro, action dont témoigne notamment la réforme des taux réglementés qui
permet de concilier protection de l'épargne populaire et financement du logement social, puisque nous perdions une
grande partie de nos financements.
Enfin, est engagée une stratégie de croissance favorisant le risque et l'innovation aux dépens de la rente, à travers la
mise en place des « contrats en actions », de mesures en faveur de la création d'entreprises, des dispositions sur la
modernisation du secteur financier de la loi du 2 juillet 1998 portant diverses mesures d'ordre économique et financier...
C'est dans ce cadre général que s'inscrit l'action du Gouvernement à l'égard de la Caisse des dépôts et consignations.
Depuis sa création en 1816, la Caisse des dépôts et consignations a su constamment évoluer pour se mettre en
position d'accomplir au mieux les missions que lui ont confiées les pouvoirs publics. Elle est aujourd'hui un acteur
majeur de l'économie française. Elle est présente dans de nombreux secteurs d'activité : services bancaires et
financiers, gestion des caisses de retraite, assurance de personnes, ingénierie et services aux collectivités locales.
Au-delà de cette diversité s'impose un objectif : servir l'intérêt général, qu'il s'agisse de venir directement en appui aux
politiques publiques ou de participer à la stabilité et au développement de l'économie.
Cette dualité, qui est au coeur même de la vocation de la Caisse des dépôts et consignations, doit cependant s'exercer
dans des conditions de complète transparence et dans le respect des règles de concurrence.
L'objectif est double.
Il s'agit, d'une part, de consolider et de renforcer ses missions d'intérêt général : gestion des fonds d'épargne,
développement local, aide à la modernisation des collectivités locales, lutte contre les exclusions, en particulier avec
les caisses d'épargne, l'environnement et le développement durable, autant de missions importantes.
Il s'agit, d'autre part, de veiller à la viabilité et au développement de ses métiers financiers, dont il faut aujourd'hui
assurer la réussite en leur fournissant les moyens nécessaires à leur développement.
C'est dans ce contexte que le directeur général de l'établissement a récemment présenté un projet visant à clarifier
l'organisation du groupe Caisse des dépôts. L'appréciation du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, M.
Christian Sautter, sera guidée par deux préoccupations : toute évolution devra avoir pour objectif premier de renforcer la
légitimité et l'efficacité de la Caisse des dépôts et consignations au service de la collectivité et de l'intérêt général ;
l'unité et la cohérence du groupe devront être consolidées, en particulier sur le plan social. La Caisse des dépôts doit
donc faire évoluer son organisation. Bien entendu, cela ne pourra se fairequ'après une concertation approfondie.
Je souhaiterais conclure en soulignant que ce projet doit renforcer le pôle financier public mis en place par Dominique
Strauss-Kahn dans la loi relative à l'épargne et à la sécurité financière, sur l'initiative du groupe communiste. Le secteur
public doit en effet s'appuyer sur un pôle puissant, structuré autour de la Caisse des dépôts et consignations avec,
notamment, la Caisse nationale de prévoyance, La Poste, la Banque de développement des petites et moyennes
entreprises, la BDPME, et les caisses d'épargne.
Fondé sur deux grands réseaux populaires, eux-mêmes appuyés par l'expertise de la Caisse des dépôts, de la CNP et
de la BDPME, ce pôle a vocation à animer une forme importante du service public de l'épargne, au service de l'emploi et
de la formation.
Il faut rappeler aux collectivités locales et aux entreprises l'existence de ces outils si efficaces, qui sont parfois oubliés.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Madame la secrétaire d'Etat, je tiens à vous remercier de votre réponse, même si
cette dernière ne me satisfait pas complètement. Il serait bon que le Parlement revienne sur notre proposition de
création d'un pôle financier public qui définirait, au-delà des grandes orientations, la possibilité d'atteindre rapidement
les missions de service public définitives.
Bien entendu, je partage totalement le point de vue que vous avez rappelé ce matin sur la transparence. Vous faites
état d'un projet de M. le directeur général de la Caisse des dépôts et consignations. Evidemment, ce projet doit être
maintenant discuté avec toutes les parties. Par ailleurs, il serait bon de discuter rapidement la proposition de
l'intersyndicale de la Caisse des dépôts et consignations qui tend à rejeter une séparation entre les activités d'intérêt
général et les activités financières concurrentielles. En effet, cette solution permettrait, à notre avis, un contrôle
démocratique qui assurerait une transparence totale, tout en préservant l'ensemble des personnels de la caisse et leur
statut.
Je pense que le Gouvernement tient compte du fait que le Parlement est l'autorité de tutelle de la Caisse,
conformément à l'ordonnance que vous venez de rappeler. A ce seul titre, le Parlement doit être consulté sur ce projet
de constitution d'un établissement privé qui s'appellerait CDC finances et sur les conditions de gestion des fonds
propres. Il doit, à notre avis, porter un jugement sur l'utilisation de l'argent public et en assurer le contrôle. Madame la
secrétaire d'Etat, vous avez rappelé toutes les missions de la CDC, qui concernent évidemment beaucoup de Français :
les locataires, les épargnants, les assurés, les retraités, les élus locaux et les créateurs d'entreprise. Le débat amorcé
ce matin devra se poursuivre.

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