Question de M. BRAYE Dominique (Yvelines - RPR) publiée le 07/12/2001

Question posée en séance publique le 06/12/2001

M. Dominique Braye. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s'adressait à Mme la ministre de la justice, qui est absente. Je vais donc la poser à M. le ministre chargé des relations avec le Parlement, à moins que M. le Premier ministre ne souhaite me répondre personnellement ! (Exclamations sur les travées socialistes. - Rires sur les travées du RPR.)
Il y a presque un an, Jean-Claude Bonnal, dit le Chinois, responsable de six morts, dont deux policiers, était remis en liberté par la chambre d'accusation de la cour d'appel de Paris. (Oh ! sur les travées socialistes.)
M. Henri Weber. C'est du réchauffé !
M. Dominique Braye. Jeudi dernier, un trafiquant de drogue congolais arrêté en possession d'un kilo d'héroïne et ayant avoué de nombreux convoyages du même genre était libéré sur décision d'un juge des libertés et de la détention de Versailles.
Ce jour encore, deux jeunes Israéliennes en provenance de Bogota, arrêtées en possession de neuf kilos de cocaïne, étaient remises en liberté par un juge d'instruction de Bobigny, après 48 heures de garde à vue. (Protestations sur les travées socialistes.)
M. René-Pierre Signé. Et tous ceux qui sont arrêtés ?
M. Dominique Braye. Dans le premier cas, la décision judiciaire a eu pour conséquence des morts d'hommes et, dans les deux autres cas, les trafiquants de drogue se sont volatilisés dans la nature.
Ces fautes judiciaires se sont, hélas ! multipliées au cours des derniers mois. Monsieur le ministre, les forces de l'ordre sont abasourdies en voyant ainsi leur long et dangereux travail réduit à néant en une seconde par des décisions aberrantes.
M. Gérard Larcher. Il n'y a pas que les forces de l'ordre qui sont abasourdies, les citoyens le sont également !
M. Dominique Braye. En tout cas, pour décourager et inquiéter nos concitoyens, on ne peut pas mieux faire !
Le Président de la République lui-même s'est ému à juste titre (Exclamations et rires sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen)...
M. René-Pierre Signé. Bravo !
M. Dominique Braye. ... de ces dysfonctionnements graves et répétés de notre justice.
Mais les juges sont-ils les seuls en cause ? La loi sur la présomption d'innocence, dans certains cas, est aussi responsable de ces bavures judiciaires.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ce n'est pas vrai !
Mme Nicole Borvo. Vous l'avez votée.
M. Dominique Braye. Il faut donc, de toute urgence, en réviser les dispositions néfastes. Mais cela ne suffira pas : il faut également donner à la justice les moyens d'appliquer correctement les lois que nous votons. (Brouhaha persistant sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
Monsieur le ministre, il est grand temps que vous entendiez le désarroi des forces de l'ordre devant ces dysfonctionnements judiciaires qui incitent les criminels et les délinquants à poursuivre leurs exactions en toute impunité.
M. Jean-François Picheral. Caricature !
M. Dominique Braye. La sécurité est le premier souci des Français et la première de leurs libertés.
M. René-Pierre Signé. La question !
M. Dominique Braye. Si je n'avais pas été interrompu, mon intervention aurait duré moins longtemps !
Mais, ce qui est le plus grave, c'est que ces aberrations judiciaires sont en train de briser la foi et l'engagement qui caractérisent les forces de l'ordre.
M. Robert Bret. Démagogie !
M. Dominique Braye. Voilà pourquoi les policiers, et maintenant les gendarmes sont dans la rue ! Voilà pourquoi les Français n'ont plus confiance dans leur justice !
Alors, monsieur le ministre, que comptez-vous faire concrètement, et surtout rapidement, ...
M. Roland Muzeau. Ce que vous n'avez pas fait !
M. Dominique Braye. ... pour rétablir enfin l'efficacité de notre justice et redonner espoir et foi dans leur mission aux forces de l'ordre ?
M. Gérard Larcher. Très bien !
M. Dominique Braye. Que comptez-vous faire concrètement, et surtout rapidement, pour que la justice protège enfin plus les honnêtes gens et les victimes que les truands et les voyous ?

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Réponse du ministère : Premier ministre publiée le 07/12/2001

Réponse apportée en séance publique le 06/12/2001

M. Lionel Jospin, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je ne porte évidemment pas de jugement sur le mérite des sénateurs qui posent des questions. En revanche, je peux apprécier l'importance des questions soulevées, et ce quel que soit le ton polémique utilisé.
A l'évidence, il n'y a pas eu de multiples dysfonctionnements dans les décisions des juges car, si cela avait été le cas, et compte tenu de votre état d'esprit, monsieur le sénateur, à propos duquel je reviendrai à la fin de ma réponse, vous n'auriez pas manqué de les citer tous. Si vous n'en avez cité que trois, c'est sans doute que vous n'aviez pas d'autres éléments à votre disposition pour nourrir...
M. Dominique Braye. C'est parce que nous n'avons que deux minutes et demie pour poser notre question.
M. le président. Mon cher collègue, je vous prie d'écouter M. le Premier ministre.
M. Lionel Jospin, Premier ministre. Vous ne pouvez pas, monsieur le sénateur, à la fois solliciter une réponse de ma part et m'interrompre, comme vous le faites, au cours de mon propos. (Applaudissements sur les travées socialistes.) Si vous le voulez bien, j'aimerais pouvoir vous répondre tranquillement sur ce sujet d'importance.
M. Hilaire Flandre. En disant la vérité !
M. Lionel Jospin, Premier ministre. Il n'y a donc pas eu de multiples dysfonctionnements. Les exemples que vous avez cités évoquaient des décisions de magistrats du siège, c'est-à-dire de magistrats totalement indépendants du parquet, bien sûr, mais également du ministre de la justice, ce qui ne signifie pas que nous n'entendrons pas agir. (Ah ! sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Je dirai, après le ministre de l'intérieur, qui s'est exprimé au nom de Mme la garde des sceaux, que les magistrats de notre pays font leur travail de façon scrupuleuse, en respectant la loi, en veillant à ne pas faciliter l'action des criminels. Ils méritent, de ce point de vue, que cesse cette offensive générale menée contre eux, qui n'est pas bonne pour nos institutions. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
S'agissant des deux premiers cas que vous avez évoqués - nous venons de prendre connaissance du dernier et Mme la garde des sceaux s'en préoccupe certainement - nous ne sommes pas restés inactifs.
Le président de la formation judiciaire qui a mis en liberté M. Bonnal, dit le chinois, accusé d'avoir tué quatre personnes dans un restaurant, puis deux policiers, devait recevoir, le mercredi suivant, en conseil des ministres, une promotion sur une proposition qui n'émanait - je vous le précise puisque vous polémiquez - ni du Premier ministre ni du garde des sceaux. Il m'a semblé alors impossible que cette promotion lui soit accordée. C'est pourquoi j'ai demandé au Président de la République que son nom soit retiré du mouvement prévu pour la nomination de procureurs généraux.
M. Dominique Braye. Heureusement !
M. Lionel Jospin, Premier ministre. Je crois qu'en l'occurrence j'ai agi ; c'est bien clair ! (Applaudissements sur les travées socialistes.).
S'agissant de la personne qui avait sur elle un kilo d'héroïne, la ministre de la justice a immédiatement demandé qu'une enquête disciplinaire de l'inspection soit diligentée. Au vu des conclusions de cette enquête, elle décidera si elle doit engager ou non une procédure disciplinaire. Le Président de la République n'a pas évoqué autre chose quand il s'est exprimé sur ce sujet ; j'espère d'ailleurs que son propos se limitait à ces cas de dysfonctionnement.
Nous verrons ce que nous aurons à faire pour les autres cas qui pourraient nous être signalés.
En ce qui concerne les moyens de la justice, je tiens à rappeler que, dans le budget de 1997, tel que nous l'avons trouvé - mais nous l'avons modifié - il était prévu de créer trente postes de magistrat et les crédits de la justice ne devaient augmenter que de 1,7 % par rapport à 1996. Or, au cours des quatre dernières années, il a été créé plus de postes de magistrats que pendant les dix-sept années précédentes et le budget de la justice à progressé de 30 %. Nous accordons donc bien, nous, des moyens supplémentaires à la justice. (Vifs applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
Quant à la loi sur la présomption d'innocence, je vous le rappelle, monsieur le sénateur, elle a été adoptée après qu'une commission mixte paritaire se fut réunie et eut abouti à un texte commun. Autrement dit, cette loi résulte bien de votes identiques de l'Assemblée nationale et du Sénat. Vous ne pouvez pas à la fois vous plaindre de ce que telle ou telle formation syndicale de magistrats proclame ne pas vouloir appliquer la loi et, au premier mouvement de protestation, demander qu'elle soit changée alors que vous l'avez vous-même votée il y a moins de deux ans !
Cela étant, j'ai demandé à un député - mais d'autres parlementaires peuvent parfaitement s'associer à son travail - de conduire une mission pour examiner ce qui, dans les procédures, est effectivement susceptible de compliquer la tâche de la police. Nous en tirerons des conclusions pratiques de manière que rien ne puisse, au nom de la présomption d'innocence, favoriser les délinquants ou les criminels.
Enfin, en ce qui concerne les forces de police ou de gendarmerie, là aussi, les créations de poste ont été massives. Là aussi, la sécurité a été affirmée comme une priorité essentielle du Gouvernement. Là aussi, nous avons accordé des avantages indemnitaires qui, dans le passé, n'avaient jamais été accordés à nos forces de l'ordre. D'ailleurs, ces dernières savent que nous nous occupons d'elles, même si certains mouvements ont pu se produire et se produisent encore. Au demeurant, il est souhaitable que l'expression des aspirations ou des mécontentements, s'agissant notamment de la gendarmerie, demeure dans le cadre habituel qui est celui de l'armée.
Je ne peux que vous inviter très sincèrement, mesdames, messieurs les sénateurs, à essayer de travailler avec nous sur ces questions de sécurité qui inquiètent tous nos concitoyens. Ne les exploitez pas politiquement : ce n'est l'intérêt de personne, pas plus le vôtre que celui de quiconque.

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