Question de M. OUDIN Jacques (Vendée - RPR) publiée le 21/12/2001

M. Jacques Oudin attire l'attention de M. le ministre de l'agriculture et de la pêche sur la crise de la filière agricole due à l'emploi d'insecticides systémiques. L'utilisation du Gaucho et du Régent entraîne des phénomènes de disparitions massives d'abeilles. En réponse à M. Charles Descours le 5 avril dernier, il déclarait que " les nombreuses études n'ont pas permis de confirmer ou d'infirmer l'éventuelle responsabilité du produit incriminé ". Néanmoins, il apparaît clairement que ces phénomènes ne se produisent pas dans les zones de culture non traitées et qu'ils cessent dès la fin de la floraison des cultures traitées. De surcroît, les multiples contrôles effectués par les services vétérinaires départementaux (Deux-Sèvres, Indre, Vendée) n'ont jamais permis d'expliquer ce phénomène autrement que par une intoxication due aux produits phytosanitaires insecticides. En premier lieu, compte tenu des conclusions de multiples rapports scientifiques français et étrangers qui attestent de l'extrême toxicité du Gaucho, même à très faible dose, vis-à-vis de l'entomofaune et de l'environnement, il lui demande s'il compte enfin interdire l'emploi d'imidaclopride sur toutes les cultures traitées par ce produit. En application du principe de précaution, il lui demande s'il compte également interdire l'usage du Régent lors du traitement des semences de tournesol, et cela sur tout le territoire français. L'ensemble de la filière apicole a rejeté le projet d'une éventuelle étude multifactorielle dont les conclusions ne pourraient être pertinentes qu'en l'absence totale de cultures traitées Gaucho ou Régent et qu'après disparition totale des effets dus à la persistance du produit dans le sol. Toutefois, comme l'a manifesté le Parlement européen de façon unanime, le 13 décembre dernier, en votant le rapport du député Dominique Souchet, les apiculteurs ne demandent pas la multiplication des études, ni la mise en place d'un quelconque Institut technique, mais avant tout le retrait définitif et immédiat de toutes les formes d'imidacloprides sur toutes les cultures. Et au-delà du rôle essentiel joué par les abeilles dans le maintien de la biodiversité, c'est la sauvegarde de l'apiculture française qui est en jeu. Enfin, considérant l'urgence de la situation pour le monde apicole, il lui demande quelle aide financière il entend mettre en place en faveur des apiculteurs qui subissent chaque été depuis plusieurs années des pertes de cheptel et de récoltes graves.

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Réponse du ministère : Agriculture publiée le 20/02/2002

Réponse apportée en séance publique le 19/02/2002

M. Jacques Oudin. Monsieur le ministre, je veux attirer votre attention sur la crise de la filière apicole due à l'emploi d'insecticides systémiques. Je dresserai tout d'abord un constat.
L'utilisation de deux insecticides appelés le Gaucho et le Régent entraîne, depuis plusieurs années, des phénomènes de disparitions massives d'abeilles, tant en France qu'à l'étranger.
En réponse à notre ancien collègue Charles Descours, le 5 avril 2001, vous déclariez que « les nombreuses études n'ont pas permis de confirmer ou d'infirmer l'éventuelle responsabilité du produit incriminé ». Néanmoins, contrairement à ce que vous affirmiez, il apparaît clairement, d'abord, que ces phénomènes ne se produisent pas dans les zones de culture non traitées, ensuite, qu'ils cessent dès la fin de la floraison des cultures traitées.
De surcroît, les multiples contrôles effectués par les services vétérinaires départementaux, que ce soit dans les Deux-Sèvres, dans l'Indre ou dans mon département, en Vendée, n'ont jamais permis d'expliquer ce phénomène autrement que par une intoxication due aux produits phytosanitaires insecticides. Partant de là, je poserai deux questions.
En premier lieu, compte tenu des conclusions de multiples rapports scientifiques français et étrangers qui attestent de l'extrême toxicité du Gaucho, même à très faible dose, vis-à-vis de l'entomofaune et de l'environnement, comptez-vous enfin interdire, monsieur le ministre, l'emploi d'imidaclopride sur toutes les cultures traitées par ce produit ?
En second lieu, en application du principe de précaution, je souhaiterais savoir si vous pensez également interdire l'usage du Régent, dont l'agent actif est le Fipronil, lors du traitement des semences de tournesol, et ce sur le territoire français.
L'ensemble de la filière apicole a rejeté le projet d'une éventuelle étude multifactorielle qui lui était proposée, dont les conclusions ne pourraient être pertinentes qu'en l'absence totale de cultures traitées par le Gaucho ou par le Régent et qu'après disparition complète des effets dus à la persistance de ces produits dans le sol.
Comme l'a manifesté le Parlement européen de façon unanime, le 13 décembre dernier, en votant le rapport du député Dominique Souchet, les apiculteurs demandent non pas la multiplication des études ou la mise en place d'un quelconque institut technique, mais avant tout le retrait définitif et immédiat de toutes les formes d'imidaclopride sur l'ensemble des cultures.
Au-delà du rôle essentiel joué par les abeilles dans le maintien de la biodiversité - je rappelle que 20 000 espèces végétales doivent leur survie à la pollinisation des abeilles - c'est la sauvegarde de l'apiculture française qui est en jeu.
Enfin, considérant l'urgence de la situation pour le monde apicole, quelle aide financière entendez-vous mettre en place, monsieur le ministre, en faveur des apiculteurs, qui subissent chaque été, depuis plusieurs années, des pertes considérables de cheptel et de récoltes ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Monsieur le sénateur, vous m'interrogez sur la situation de la filière apicole, en particulier sur les conséquences de l'utilisation en agriculture d'insecticides tels que le Gaucho ou le Régent.
Je rappelle que j'ai décidé en janvier 1999, en vertu du principe de précaution que vous évoquez à juste titre, monsieur Oudin, et compte tenu de la responsabilité supposée du Gaucho dans les troubles observés dans les ruchers, de suspendre pour deux ans l'utilisation de cet insecticide dans le traitement du tournesol. J'ai été le seul en Europe à aller dans ce sens.
Vous savez que les résultats des différentes études conduites depuis lors n'ont pas apporté d'éléments véritablement nouveaux. Par conséquent, j'ai décidé, au début de l'année 2001, de reconduire pour deux années supplémentaires la suspension du Gaucho sur le tournesol.
L'étude multifactorielle que vous citez, monsieur le sénateur, me paraît tout à fait indispensable pour faire enfin toute la lumière sur ce dossier et obtenir, je l'espère, les certitudes scientifiques qui font cruellement défaut aujourd'hui. Cette étude est multifactorielle, car les insecticides ne sont peut-être pas seuls en cause dans les dépopulations des ruchers et les baisses de miellées. D'autres facteurs, notamment sanitaires et environnementaux, peuvent intervenir.
Par ailleurs, nous avons besoin de la collaboration des apiculteurs pour que cette étude se déroule dans les meilleures conditions. Il faut bien comprendre, monsieur le sénateur, que, dans un Etat de droit comme la France - et, m'adressant au législateur, je sais que je suis écouté - un ministre ne peut, ainsi, « au doigt mouillé », décider d'interdire tel ou tel produit. Seule la rigueur scientifique nous permettra de prendre les mesures de gestion du risque les plus adaptées.
Vous me dites que les apiculteurs en ont assez des études et qu'ils réclament dorénavant l'interdiction. Mais pourquoi aller au-delà des mesures que j'ai déjà prises, c'est-à-dire la suspension du Gaucho pour quatre ans au total, si la décision prise sans fondement scientifique risque d'être annulée par le premier tribunal saisi ? Car c'est bien de cela qu'il s'agit ici : l'entreprise industrielle concernée nous menace de recours - je suis en négociation permanente avec elle - et je suis donc dans la nécessité de pouvoir prouver que ma décision est fondée scientifiquement, le cas échéant devant un tribunal.
C'est pourquoi j'appelle vraiment à la sagesse sur cette affaire. Je suis très sensible au problème posé, mais la rigueur scientifique s'impose pour que notre décision politique ne puisse faire l'objet d'un quelconque recours.
Vous citez aussi, monsieur le sénateur, la résolution adoptée par le Parlement européen le 13 décembre 2001. A cet égard, le rapporteur n'était pas Dominique Souchet, comme vous l'avez indiqué, mais la Luxembourgeoise Astrid Lulling. Tout comme vous, monsieur le sénateur, je n'ai pas manqué de saluer cette initiative des députés européens, et j'ai eu l'occasion hier encore, lors du Conseil agricole de Bruxelles, où ce dossier était à l'ordre du jour, d'inviter la Commission européenne à répondre très concrètement à leurs demandes et à leurs suggestions.
En somme, monsieur le sénateur, je suis confronté à deux difficultés.
D'une part, pour prendre une décision, il faut que je sois scientifiquement fondé à le faire, sinon je vais, certes, ravir les apiculteurs pendant quelques mois, mais très vite ma décision sera annulée par un tribunal.
D'autre part, étant le seul, en Europe, à prendre une initiative à cet égard, je suis susceptible de faire l'objet de plaintes de la Commission au motif que la France irait à l'encontre des règles du marché unique.
J'ai donc demandé à la Commission européenne de répondre aux sollicitations du Parlement européen. J'ai également demandé à mes services de travailler sur un certain nombre de pistes visant à améliorer, au-delà du simple problème du Gaucho et du Régent, la situation de la filière apicole. Je pense ici à la mise en place d'un contrat territorial d'exploitation, à la création d'un institut technique apicole ou à la mise en place d'un réseau de surveillance sanitaire. Dans certains cas particuliers difficiles, des aides pourraient être versées aux apiculteurs si cela est nécessaire. La réflexion se poursuit, en concertation avec les représentants des apiculteurs.
Pour en revenir au problème des pesticides, je vous précise, monsieur Oudin, que mon ministère a déjà bien avancé dans la révision des procédures d'évaluation des effets éventuels des produits phytosanitaires sur les abeilles, comme le demande d'ailleurs le Parlement européen. Hier, j'ai demandé au commissaire David Byrne de modifier dans le même sens la directive communautaire.
J'ajoute que le Gouvernement déposera, dans les prochaines semaines, le rapport prévu par la loi du 4 janvier 2001 sur les connaissances acquises en matière d'incidence des insecticides systémiques sur les populations d'abeilles.
Sachez, pour terminer, monsieur le sénateur, que je suis très attentif aux préoccupations du secteur de l'apiculture, dont je sais la contribution éminente non seulement à l'activité agricole, grâce à la pollinisation, mais aussi au développement rural, à l'environnement, à l'aménagement du territoire et à la biodiversité.
Nous devons donc continuer à travailler sur ce dossier pour rassurer la profession apicole et, au-delà, assurer son avenir, monsieur le sénateur.
M. Jacques Oudin. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Oudin.
M. Jacques Oudin. Je vous remercie, monsieur le ministre, de votre réponse, mais elle me laisse un peu sur ma faim !
Si je vous ai bien compris, l'étude multifactorielle dont vous aviez évoqué le lancement en avril 2001 va incessamment être mise en oeuvre ?
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Non, elle est lancée !
M. Jacques Oudin. Elle a été lancée ? Mais, depuis avril 2001, que s'est-il passé ?
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Si les apiculteurs ne veulent pas y participer, monsieur Oudin, rien n'est possible : on ne peut pas réaliser l'étude sans eux !
M. Jacques Oudin. Vous mettez en cause les apiculteurs ?
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Non, je ne les mets pas en cause !
M. Jacques Oudin. Nous verrons bien ce qu'ils répondent !
Ensuite, vous nous dites qu'il n'existe aucun rapport établissant la toxicité du Gaucho. Moi, j'ai les rapports de l'INRA, du CNRS, de l'AFSSA, j'ai le rapport de M. L'Hostis, notamment, et tous concluent à la toxicité. Alors, nous aimerions savoir ce qu'il en est vraiment.
Vous prenez beaucoup de précautions pour, en fait, nous dire que vous ne pouvez pas interdire ce produit. Mais a-t-on pris autant de précautions s'agissant de son autorisation de mise sur le marché ?
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Ce n'est certainement pas moi qui ai autorisé le Gaucho, monsieur Oudin !
M. Jacques Oudin. Il est patent que le dossier Bayer, pour le Gaucho, contient des irrégularités, des incohérences, voire des tromperies et que, de surcroît, l'imidaclopride n'est pas conforme aux normes européennes.
Je ne veux pas évoquer le dossier Aventis - il est vrai que Bayer et Aventis sont de puissants groupes - mais il ne faut pas recommencer l'erreur des farines animales !
M. Paul Blanc. Il faut se méfier du « gaucho » ! (Sourires.)
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Monsieur Oudin, qu'il n'y ait pas de malentendu entre nous.
Vous dites que des études dont vous avez eu connaissance établissent la toxicité de ce produit. Je connais ces études ; elles n'ont été validées par aucun comité scientifique.
Des organisations d'apiculteurs m'ont effectivement transmis l'étude d'un scientifique de l'INRA, qui conclut à la dangerosité du Gaucho, mais cela n'a été validé par aucun comité scientifique, pas même par l'INRA lui-même.
Je le répète, j'ai été le seul en Europe à suspendre l'utilisation du Gaucho sur le tournesol ; je suis donc plutôt convaincu moi-même ; mais je sais aussi que, pour avancer, il nous faut prouver ce que nous disons. Or j'ai besoin de preuves pour ce faire.
M. Jacques Oudin. Mais personne n'a prouvé l'inverse, la non-toxicité !
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Pour le reste, il est inutile de tenter de me convaincre que l'on utilise en agriculture trop de pesticides et trop d'insecticides : j'en suis tout à fait d'accord.
D'ailleurs, cette agriculture productiviste à l'extrême qui utilise trop d'intrants, ce n'est pas moi qui l'ai préconisée pendant des années, monsieur Oudin !

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