Question de M. GODEFROY Jean-Pierre (Manche - SOC) publiée le 02/10/2002

M. Jean-Pierre Godefroy attire l'attention de M. le Premier ministre sur le sort des familles des victimes de l'attentat de Karachi. L'hommage qui a été rendu, à Cherbourg, par les plus hautes autorités de l'Etat, a permis d'exprimer la reconnaissance de la patrie à ces hommes morts dans l'exercice de leur mission au service de la France et de son rayonnement à l'étranger. Le Président de la République et le Gouvernement y ont exprimé leur solidarité avec les familles touchées. Au-delà de l'enquête, il s'inquiète aujourd'hui du sort et de l'avenir des familles et ayants droit des victimes de cet attentat. Ce souci est d'autant plus prégnant que les assurances décès qu'ont pu souscrire les victimes risquent d'être bloquées du fait de la notion d'attentat. Par ailleurs, personnels civils du ministère de la défense, les victimes de cet attentat doivent être considérées comme victimes de leur devoir national à l'étranger et non pas comme des accidentés du travail communs. Il souhaite donc savoir quelles mesures le Gouvernement entend prendre à l'égard de ces familles. La Légion d'honneur, qui a été remise à titre posthume à ces victimes, ouvre-t-elle des droits à leurs familles ? Parmi les vingt-sept enfants qui ont perdu leur père, certains sont mineurs ; seront-ils considérés comme pupilles de la Nation afin de leur permettre, notamment, de poursuivre des études jusqu'à leur terme ? Le Gouvernement envisage-t-il par ailleurs d'aider les femmes ou les compagnes à trouver un emploi pérenne dans les services de l'Etat ? Rien ne pourra atténuer le chagrin des familles ; au-delà du soutien moral et psychologique dont elles ont besoin, il s'agit néanmoins de s'assurer de l'avenir et de la subsistance de ces veuves et orphelins.

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Réponse du Ministère de la défense publiée le 09/10/2002

Réponse apportée en séance publique le 08/10/2002

M. Jean-Pierre Godefroy. Madame la ministre, à la suite de l'attentat de Karachi, qui a coûté la vie à onze de nos compatriotes salariés de DCN ou de sous-traitants, je vous faisais part, dans une question écrite, le 30 mai puis le 11 juillet, de mon inquiétude quant à l'avenir des familles des victimes.
Je me permets aujourd'hui de renouveler cette question, madame la ministre, dans la mesure où ces familles m'ont fait savoir qu'elles rencontraient des difficultés pour l'obtention de leur droit à réparation et concernant les réponses sur l'avenir de leurs enfants.
Lors de l'hommage qui a été rendu à Cherbourg, le Président de la République et le Gouvernement avaient exprimé leur solidarité avec les familles touchées. La cellule de soutien aux familles des victimes ainsi que la direction de DCN ont alors mis en oeuvre toutes les mesures réglementaires à leur disposition dans le cadre de la loi du 23 janvier 1990. Cependant, il apparaît aujourd'hui que ces mesures sont loin de couvrir les besoins et de répondre aux inquiétudes des familles. En effet, si celles-ci ont bien perçu la rente accident du travail et la pension de réversion, seules deux familles bénéficient du fonds national de garantie, et les services de l'action sociale des armées ont attribué 200 euros à une seule famille, comme secours d'urgence.
Aujourd'hui, les moyens dont disposent les familles des victimes pour vivre accusent donc une très forte diminution, passant, en moyenne, de 2 200 euros à 1 100 euros par mois. La Légion d'honneur, qui a été attribuée à titre posthume aux victimes, donne à leurs familles l'accès à l'association d'entraide des membres de la Légion d'honneur, donc à une formation dans ses écoles pour les filles, ainsi qu'à la fondation De-Lattre ; mais ce sont des aides multiples que les familles connaissent mal, qu'elles doivent solliciter et qui sont aléatoires et conditionnées.
Si DCN applique parfaitement la législation et la réglementation en vigueur, des mesures dérogatoires doivent être prises pour permettre à ces familles de retrouver des moyens d'existence à la hauteur de ceux dont elles disposaient précédemment, et ce au moins jusqu'à l'âge prévu de la retraite des victimes. En effet, toutes les mesures susceptibles d'être aujourd'hui mises en oeuvre sont plafonnées.
Il serait souhaitable, par ailleurs, que les veuves soient considérées comme veuves de guerre. Il faut rappeler, à cet égard, que cette procédure fut appliquée lors de l'explosion, le 30 avril 1997, de la gabarre La Fidèle, au large de Cherbourg, qui avait fait cinq victimes.
Concernant les enfants - il y a vingt-sept orphelins, dont des enfants en très bas âge - quelles garanties peuvent être données aux familles pour leur scolarité ? A quoi le titre de « pupilles de la nation » donne-t-il droit exactement ? Couvrira-t-il les frais de la scolarité de ces enfants, quels qu'en soient le niveau et la durée ?
Quant aux enfants aujourd'hui majeurs, deux ont reçu des propositions d'emploi, dont un récemment comme ouvrier chaudronnier à statut d'Etat, ce qui est une avancée remarquable.
Pour les épouses, j'avais suggéré dans ma question écrite, madame la ministre, que des emplois pérennes au sein des services de l'Etat leur soient proposés, afin de leur garantir une sécurité sur le long terme. Aujourd'hui, une seule proposition a pu être acceptée, ce qui est déjà bien, mais, de manière générale, les emplois sont proposés au titre de contrats à durée déterminée ; ce sont des heures de ménage dans des entreprises de sous-traitance de DCN, tôt le matin et tard le soir, soit des horaires difficilement compatibles avec la prise en charge psychologique d'enfants qui sont déjà privés de leur père.
Je ne doute pas de la volonté du Gouvernement, madame la ministre, mais je pense qu'un traitement plus spécifique, rapide et individualisé de ces cas, est indispensable. Faut-il envisager plutôt la déclaration de « faute inexcusable de l'entreprise », ce qui serait de nature à régler toutes les difficultés dont je viens de faire état ?
Je vous remercie, madame la ministre, de l'attention que vous portez à ce dossier et, comme les familles, j'attends beaucoup de votre réponse.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense. Monsieur le sénateur, nous avons tous été effectivement très touchés par l'attentat de Karachi. Je me souviens que la Haute Assemblée elle-même a rendu hommage aux victimes et a exprimé sa compassion aux familles.
Comme vous l'avez souligné, le Gouvernement, dès l'annonce de l'attentat, s'est préoccupé d'apporter toute l'aide possible aux familles et aux blessés. Un accompagnement social et psychologique adapté à chacun a, tout d'abord, été mis en place. Les blessés en avaient besoin, car, comme j'ai pu le constater sur place, puis au cours des entretiens téléphoniques que j'ai eus, à plusieurs reprises, certains d'entre eux étaient très choqués.
Ces blessés, qui sont toujours suivis par les services médicaux et de rééducation, continuent, comme il est normal, à percevoir leurs rémunérations.
En ce qui concerne les familles des victimes, il faut distinguer les problèmes généraux qu'elles rencontrent de ceux, plus spécifiques, des veuves et des enfants.
Les familles ayant des enfants à charge n'ont pas connu de rupture dans leurs ressources. Les pensions de réversion comme les rentes allouées en cas d'accident du travail ont été versées dès la fin du mois d'août. La procédure a donc été relativement rapide, compte tenu des lenteurs administratives. Le capital décès a été versé, selon les cas, au mois de juin ou au mois de juillet, et le bénéfice du fonds de garantie a été attribué à l'ensemble des familles. Ces mesures, importantes, étaient destinées à assurer à chacune des familles un minimum de ressources, ce qu'elles ne contestent d'ailleurs pas.
Concernant les veuves, j'ai demandé à DCN de proposer aux veuves qui le souhaitent des emplois pérennes - non pas des contrats à durée déterminée mais bien, au moins, des contrats à durée indéterminée. Trois de ces veuves sont actuellement concernées. L'une d'elles est en cours d'embauche, et j'ai demandé qu'un effort particulier soit fait pour les autres. Il me paraît tout à fait normal de leur offrir cette faculté d'embauche.
Vous le voyez, monsieur le sénateur, en la matière, toutes les formules légales et réglementaires ont été appliquées, sans toutefois, il est vrai, couvrir la totalité des situations. M. le Premier ministre a reçu, voilà quelques semaines, à l'hôtel de Brienne, un certain nombre de ces familles. Nous les avons écoutées longuement et nous veillerons, en recherchant toutes les solutions possibles, à ce que chacune d'entre elles obtienne la meilleure indemnisation possible. Aujourd'hui, toutes les voies réglementaires normales ont été épuisées. Je ne vais pas vous répondre sur la formule qui sera finalement retenue, mais sachez, monsieur le sénateur, que notre préoccupation, sur le fond, est bien celle-là.
En ce qui concerne maintenant les enfants, ce drame a laissé vingt-sept orphelins, dont dix mineurs. Les onze enfants de moins de vingt et un ans ont été adoptés par la nation comme pupilles de la nation, ce qui leur ouvre un certain nombre de possibilités et les fait bénéficier de la protection et du soutien, tant matériel que moral, de l'Etat. Il s'agit, notamment, de subventions pour faire face à la vie courante, d'aides pour les études, pour la recherche du premier emploi ou encore de prêts pour l'installation professionnelle, donc de toute une série de facilités.
En ce qui concerne les enfants majeurs, dont nous avions dit qu'ils devraient pouvoir être embauchés, nous avons constaté certaines lenteurs et des complications.
J'ai donc renouvelé fermement mes instructions. L'un de ces jeunes majeurs est aujourd'hui en cours d'embauche comme ouvrier d'Etat à DCN. Evidemment, nous sommes obligés de vérifier qu'il existe des emplois correspondant à la qualification ou aux compétences des intéressés, et c'est sur ce point que peuvent apparaître quelques difficultés.
En tout état de cause, monsieur le sénateur, les conséquences individuelles d'un tel drame ne sauraient être appréhendées globalement : il faut faire du « sur-mesure », en sachant écouter et trouver les solutions les plus adaptées à chacun. Tel est bien le sens de mon action.

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