Question de Mme BORVO COHEN-SEAT Nicole (Paris - CRC) publiée le 10/10/2002

Mme Nicole Borvo attire l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice, sur la question de la surveillance des données de communication publique et privée circulant sur l'Internet, et de la définition des données devant donner lieu à l'enregistrement par les opérateurs techniques. La loi n° 2001-1062 du 15 novembre 2001, relative à la sécurité quotidienne introduit en effet, par son article 29, la nécessité pour les opérateurs de conserver un ensemble de données techniques, susceptibles d'être extraites à des fins d'enquêtes judiciaires. La nature exacte de ces données techniques, susceptibles d'être extraites à des fins d'enquêtes judiciaires. La nature exacte de ces données n'est certes pas encore connue, un décret en Conseil d'Etat devant compléter le texte de loi. Il n'en reste pas moins que les préconisations du G 8 et d'Europol en la matière sont de nature à inquiéter tant les prestataires techniques concernés que l'ensemble des citoyens français, tant elles vont à l'encontre du respect des libertés individuelles et des préceptes énoncés dans la déclaration universelle des droits de l'homme et du citoyen. En effet, que ce soit par son article 12, qui affirme le droit de chacun à la protection de sa vie privée et au secret de sa correspondance, ou son article 18, qui fonde le droit de tout individu à l'expression publique ou privée de ses opinions, cette déclaration est là pour nous rappeler combien il serait dommageable pour une démocratie de chercher à contrôler ou à restreindre par des mesures de surveillance systèmatique la libre circulation de l'information sur les réseaux de communication. Les mesures de vigilance que les citoyens français sont en droit d'attendre de l'Etat en matière de lutte contre le terrorisme ne sauraient en retour les faire considérer tous comme suspects par défaut et entraîner la mise en oeuvre de dispositifs d'écoute généraliste de l'ensemble du pays. La réflexion concernant les données que la justice peut légitimement demander aux opérateurs de conserver ne saurait être engagée sans consultation préalable de ceux que ces nouvelles mesures législatives vont concerner. Le législateur ne saurait faire l'impasse sur l'avis en la matière des opérateurs Internet, mais pas plus sur celui des représentants de la société civile informatique, et plus largement de tous les utilisateurs des réseaux électroniques et de communication. Le droit imprescriptible à l'anonymat et à la vie privée ne saurait être diminué par de nouvelles lois d'exception prenant prétexte de nouveaux médias. Il existe déjà en France des dispositifs réglementaires sur la protection de la correspondance postale, sur l'informatique et les libertés, la protection des personnes et de leur vie privée, sur les propos racistes et antisémites. Reste à dégager, pour la justice et ses auxiliaires, les moyens, y compris sur Internet, de la mise en oeuvre de ces différentes lois. Elle lui demande donc quelles sont les intentions du Gouvernement quant à la procédure d'établissement de la liste des données qui seront incluses dans le décret précisant la loi relative à la sécurité quotidienne. Elle lui demande également de surseoir à la rédaction de ce décret, pour permettre la mise en place d'une commission de travail compétente sur l'opportunité de conservation de chaque type de données, associant tous les acteurs concernés et aboutissant à la production d'un document qui ne soit pas que l'expression d'une angoisse exacerbée par la violence extrême d'actes isolés.

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Réponse du Ministère de la justice publiée le 06/02/2003

Le garde des sceaux, ministre de la justice, fait connaître à l'honorable parlementaire qu'il ne partage pas les craintes que celle-ci exprime quant à un caractère attentatoire aux libertés fondamentales du dispositif prévu par l'article 29 de la loi du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne, lequel permet au Gouvernement de prendre par voie réglementaire des mesures conduisant les opérateurs de télécommunications à conserver pendant une durée maximale d'un an certaines données techniques relatives aux communications, dites parfois " données de connexion ". En effet, ces mesures, dont le but exclusif est de permettre en tant que de besoin la mise à disposition de l'autorité judiciaire de telles ou telles de ces données, ne sauraient en aucun cas être assimilées, ainsi qu'il est suggéré par l'auteur de la question, à une surveillance systématique de l'information circulant sur les réseaux de communication, ou à un dispositif d'écoute généralisé de l'ensemble des citoyens français. Sur ce point, il est en effet clairement énoncé par la loi susvisée que les données ainsi conservées, si elles rendent possible l'identification de l'utilisateur d'un service de télécommunications, ne peuvent en revanche d'aucune manière porter, comme le ferait une interception de correspondance émise par la voie des télécommunications, sur le contenu des correspondances échangées ou des informations consultées. Ces raisons expliquent que la conservation temporaire des données dites de connexion ne constitue pas à proprement parler une ingérence dans la liberté d'expression et de communication. Il doit du reste être observé que les dispositions suscitant les inquiétudes de l'honorable parlementaire sont en stricte conformité avec les possibilités expressément ménagées aux Etats dans un but de prévention, de recherche, de détection et de poursuite d'infractions pénales, par l'article 15 de la directive du 12 juillet 2002 concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques. Par ailleurs, ces dispositions ne sont aucunement contraires aux principes énoncés dans la déclaration universelle des droits de l'homme proclamée par l'Assemblée générale des Nations unies le 10 décembre 1948. En effet, l'exercice des droits prévus aux articles 12 et 18 de celle-ci, lesquels prohibent les immixtions arbitraires dans la vie privée ou la correspondance et proclament le droit de toute personne à la liberté de pensée de conscience et de religion, ne peut se concevoir concrètement sans un certain nombre de limitations. L'édiction de celles-ci par la loi est expressément envisagée par l'article 29 de la Déclaration, et elle peut être autorisée notamment pour assurer la reconnaissance et le respect des droits et libertés d'autrui et la prise en considération des exigences de l'ordre public dans une société démocratique. A cet égard, dans un contexte marqué par les menaces terroristes que doivent affronter les sociétés démocratiques contemporaines, le Gouvernement ne peut faire sienne l'opinion selon laquelle les libertés dont il convient d'assurer le respect sur les réseaux électroniques de communication se traduisent par " un droit imprescriptible à l'anonymat ". Une telle analyse conduirait en effet à paralyser la lutte contre de multiples activités terroristes et de nombreuses formes de délinquance organisée qui s'exercent par le biais des réseaux de communication électronique. S'agissant enfin des aspects de la présente question qui concernent les modalités d'élaboration du décret d'application de l'article 29 de la loi susvisée du 15 novembre 2001, il importe de préciser que la procédure qui devra être suivie à cet égard de par un choix du législateur, prévoit un haut niveau de garanties, puisque ce texte réglementaire requiert la double consultation de la Commission nationale de l'informatique et des libertés et du Conseil d'Etat. Il convient par ailleurs de rappeler que les dispositions qui figurent à l'article 29 de la loi sur la sécurité quotidienne ont d'ores et déjà fait l'objet d'une consultation publique dans le cadre de l'élaboration du projet de loi sur la société de l'information, où elles figuraient initialement. En outre, sous la présente législature, elles ont été soumises aux opérateurs de télécommunication. Dans ces conditions, il n'apparaît pas que de nouvelles mesures de concertation de la nature de celles proposées par l'honorable parlementaire soient nécessaires.

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