Question de M. CHABROUX Gilbert (Rhône - SOC) publiée le 05/12/2002

M. Gilbert Chabroux attire l'attention de Mme la ministre déléguée à l'industrie sur l'abandon de la traduction française des brevets européens. Le brevet constitue un élément important de promotion de l'innovation. Il participe pleinement à la stratégie de développement économique d'un pays. Conscient de cette importance, le précédent gouvernement s'est appliqué à oeuvrer en faveur de l'établissement d'un brevet européen. C'est ainsi qu'il a lancé, les 24 et 25 juin 1999, la conférence intergouvernementale des Etats membres de l'Organisation européenne des brevets. A cette occasion, la France s'est opposée à une approche par trop préjudiciable à la langue française. Elle a renouvelé cette opposition lors de la seconde conférence qui s'est tenue les 16 et 17 octobre 2000. En parallèle, une série de consultations et de concertations ont eu lieu entre les divers acteurs de ce dossier. L'objectif de ces négociations était clair, puisque le Gouvernement souhaitait parvenir à une large adhésion de la part des parties concernées, condition sine qua non de la ratification du protocole. Au regard de l'importance que revêt ce protocole, véritable enjeu géopolitique, industriel et culturel essentiel, il lui demande quelles mesures, le Gouvernement entend prendre afin que la langue de notre République conserve toute sa place dans le système de brevet européen.

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Réponse du Ministère délégué à l'industrie publiée le 09/01/2003

Du point de vue juridique, et contrairement à ce qui est souvent affirmé, l'accord de Londres ne modifie pas la situation juridique actuelle : depuis 1973, par un traité ratifié par la France (Convention de Munich, article 14), le seul texte qui fait foi en matière de brevets européens est le texte original déposé à l'Office européen des brevets (70 % en anglais, 20 % en allemand, 10 % en français). En cas de litige, le brevet est toujours - et le restera avec l'accord de Londres - intégralement traduit dans la langue exigée par le tribunal compétent. Les revendications - partie essentielle au plan juridique du brevet parce qu'elles fixent le champ de la protection - sont et resteront traduites dans les trois langues officielles de l'Office européen des brevets (allemand, anglais et français). C'est un avantage considérable pour notre langue qui est pérennisé par l'accord de Londres. Trois arguments méritent débat. Tout d'abord, la non-traduction en français de la seule partie appelée " description " du brevet, qui expose les voies et moyens par lesquels le déposant est parvenu à l'invention qu'il souhaite breveter, porterait préjudice au rôle du droit français dans le système européen des brevets. Cette critique ne résiste pas à l'examen : la description ne crée pas de droit et se contente d'exposer des mécanismes techniques ; le droit européen des brevets est fixé : par la Convention de Munich et par son règlement d'application, l'une et l'autre disponibles en français, anglais et allemand ; par les directives communautaires éventuelles (par exemple, la directive 98-44 sur les biotechnologies), disponibles dans toutes les langues de l'Union ; par les lois et règlements nationaux ; par les décisions des chambres de recours de l'OEB - disponibles en français - et les différentes décisions des juridictions françaises qui peuvent faire jurisprudence. Le maintien du français comme langue fondatrice du droit européen dépend de la présence française à l'Office européen des brevets, à la commission et dans les chambres de recours de l'Office européen des brevets. Le fait que le français soit une des trois langues de dépôt et de travail de l'Office européen des brevets constitue la véritable garantie de notre présence en ce domaine et favorise les déposants français, surtout les PME. L'absence de traduction des descriptions engendrerait un véritable risque de contrefaçon de bonne foi de certaines entreprises françaises, notamment les PME, moins bien averties du contenu réel du brevet contrefait. L'un des éléments d'accompagnement de l'accord de Londres consistera à insérer une disposition législative dans le code de la propriété intellectuelle permettant de ne pas exiger de dommages et intérêts lorsque l'absence de traduction de la description laissera supposer la bonne foi du contrefacteur. Enfin, la question de la compatibilité de l'accord de Londres avec l'article 2 de la Constitution a été posée au Conseil d'Etat ; celui-ci a répondu par l'affirmative par un avis de septembre 2000. Du point de vue économique, le fait que dix pays européens représentant 75 % environ des déposants de brevets en Europe aient signé cet accord tend à démontrer qu'il présente quelque avantage. L'argument essentiel est simple mais incontournable : le brevet européen - et non le brevet français - est plus cher à l'obtention (50 % environ) que son homologue japonais ou américain. C'est un handicap fort pour l'industrie européenne, d'autant plus significatif que le déposant est petit, jeune et impécunieux. C'est un obstacle majeur au développement des PME européennes - et donc françaises - et à la prise de brevets par les centres de recherche et, au total, un frein à la création d'emplois, fondée de plus en plus sur l'innovation. Or le coût des traductions représente 40 % du coût d'obtention du brevet européen : il faut donc le réduire, sans négliger d'autres pistes comme les taxes des offices. Celles-ci doivent diminuer ; l'Office européen des brevets a commencé en 1997, mais il pourrait aller plus loin. Cette opinion est partagée par l'ensemble des entreprises françaises - des plus grandes aux plus petites - par les inventeurs indépendants et par les responsables de la valorisation de la recherche dans les organismes de recherche français. A cet argument économique s'ajoute - en raison même de sa pertinence - un argument politique dirimant : le coût du brevet européen dans une Europe élargie à trente sera insupportable. Il faudrait traduire tout brevet européen déposé en français dans vingt-cinq langues. C'est possible pour les grands groupes, quoique coûteux, et inenvisageable pour les PME. Un consensus existe déjà au sein de l'Office européen des brevets - y compris l'Allemagne et les pays du sud de l'Europe - et dans l'industrie pour accepter une seule langue : l'anglais. L'accord de Londres est donc - dans ce champ particulier du brevet - la dernière chance de préserver l'usage du français, lequel sera renforcé par le fait que les brevets européens déposés en français seront valables dans les pays acceptant l'accord de Londres sans avoir besoin d'être traduits. Par ailleurs, la mise en oeuvre de l'accord de Londres en France a pour objectif essentiel d'augmenter le nombre de dépôts de brevets en France, encore insuffisant au regard de notre effort de recherche et développement. Le surcroît d'activité qui en résultera profitera aux professionnels français de la propriété industrielle et notamment aux conseils en propriété industrielle qui y trouveront une compensation à la perte de leur activité de traduction. Il est exact que l'accord de Londres remet en cause la situation des traducteurs indépendants de brevets et réduit cette partie de l'activité des cabinets de conseils (soit en moyenne 15 % de leur chiffre d'affaires) ; au total, c'est sans doute un millier d'emplois qui sont concernés, et non plusieurs dizaines de milliers comme quelquefois affirmé. Le Gouvernement étudie avec leurs représentants les mesures de reconversion nécessaires : emplois à l'Office européen des brevets et à l'Organisation mondiale de la propriété industrielle, formation pour devenir conseils en propriété industrielle pour ceux qui ont une formation d'ingénieurs. Le Gouvernement a la ferme intention de prendre les mesures d'accompagnement qui permettront d'engager la ratification de l'accord de Londres, dans un climat dépassionné, au cours du premier semestre 2003.

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