Question de M. GODEFROY Jean-Pierre (Manche - SOC) publiée le 06/02/2003

M. Jean-Pierre Godefroy souhaite attirer l'attention de M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité sur la séance du 21 janvier 2003 du conseil d'administration du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (FIVA) pendant laquelle ont été adoptés les barèmes d'indemnisation des victimes de l'amiante. Cette adoption a eu lieu contre l'avis des syndicats de salariés et des associations de victimes, qui ont été mis en minorité par les représentants de l'Etat et du patronat (11 voix contre 10) ; cette situation a d'ailleurs été permise grâce à la nomination, par un décret de décembre 2002, de deux représentants patronaux, décision contestée par les syndicats de salariés qui ont déposé un recours devant le Conseil d'Etat. Le vote du 21 janvier est très instructif, tant il illustre une fois de plus le coup de force de l'Etat et du patronat contre les syndicats de salariés et les associations de victimes plutôt que la recherche des négociations. Cela dit, le niveau des indemnisations qui a été retenu est notoirement insuffisant ; il est en tout cas très inférieur à la moyenne des montants attribués lors des règlements des tribunaux, ce qui devrait entraîner une recrudescence des recours en justice que la création du FIVA avait justement pour objectif de diminuer. Dans la résolution d'une catastrophe sanitaire qui concerne des milliers de salariés, les décisions peuvent-elles se prendre sans l'appui des représentants des salariés et des victimes ? Par ailleurs, les choix peuvent-ils être fixés par des considérations budgétaires qui vont à l'encontre d'une réparation intégrale et équitable ? Il lui rappelle que la Basse-Normandie est la région la plus touchée par les maladies dues à l'amiante : aujourd'hui, c'est un retraité sur quatre qui a été exposé à l'amiante dans cette région ; rien que dans les deux chantiers navals de Cherbourg, ce sont actuellement plus de mille malades qui sont reconnus en maladies professionnelles consécutives à une exposition à l'amiante.

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Réponse du Secrétariat d'Etat à la lutte contre la précarité et l'exclusion publiée le 09/04/2003

Réponse apportée en séance publique le 08/04/2003

M. Jean-Pierre Godefroy. Madame la secrétaire d'Etat, au cours de sa séance du 21 janvier 2003, le conseil d'administration du fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante, le FIVA, a adopté par 11 voix contre 10 les barèmes d'indemnisation des victimes de l'amiante, contre l'avis des syndicats de salariés et des associations de victimes. Ceux-ci ont été mis en minorité par les représentants de l'Etat et du patronat, grâce à la nomination opportune, rendu possible par un décret de décembre 2002, de deux représentants patronaux, en l'occurrence du MEDEF et de la CGPME, la Confédération générale des petites et moyennes entreprises.

Cela étant, madame la secrétaire d'Etat, le niveau des indemnisations qui a été retenu est manifestement insuffisant ; il est en tous les cas très inférieur à la moyenne des montants attribués par les tribunaux, ce qui devrait entraîner une recrudescence des recours en justice - recours dont la création du FIVA avait justement pour objet de voir diminuer le nombre ! Si l'on prend l'exemple du cancer de la plèvre, le montant alloué est divisé par deux par rapport à celui des indemnités accordées par les tribunaux.

Ma première question sera donc double, madame la secrétaire d'Etat. Lorsqu'il s'agit d'une catastrophe sanitaire qui concerne des milliers de salariés, les décisions peuvent-elles être prises sans l'appui actif des représentants des salariés et des victimes ? Par ailleurs, les choix peuvent-ils être guidés par de strictes considérations budgétaires, qui vont à l'encontre d'une réparation intégrale et équitable ?

Permettez-moi de vous rappeler que la Basse-Normandie est l'une des régions les plus touchées par les maladies dues à l'amiante : aujourd'hui, c'est un retraité sur quatre qui y a été exposé à l'amiante ! Pour les deux seuls chantiers navals de Cherbourg, y compris la sous-traitance, 1 000 malades sont actuellement reconnus comme touchés par une maladie professionnelle consécutive à une exposition à l'amiante. Je pourrais également vous citer l'exemple des employés de Moulinex, pour lesquels les décrets reconnaissant l'exposition à l'amiante n'ont été pris que très récemment et les incidences sur la santé ne pourront se constater que dans le futur.

Pensez-vous, madame la secrétaire d'Etat, que le Gouvernement puisse renégocier les barèmes d'indemnisation des victimes ?

Enfin, face à la longueur et aux rigidités des procédures de classement sur la liste des établissements ouvrant droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, l'ACAATA, ne serait-il pas intéressant, pour l'avenir, de rendre cette liste indicative et de renforcer le rôle des directions régionales du travail et de la formation professionnelle ainsi que des services de prévention des caisses régionales d'assurance maladie, qui ont une bonne connaissance du milieu industriel local et des établissements répondant aux critères définis pour cette allocation ?

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'Etat.

Mme Dominique Versini, secrétaire d'Etat à la lutte contre la précarité et l'exclusion. Monsieur le sénateur, le sujet de votre question est grave et mérite mieux que des approximations hâtives.

Il faut tout d'abord rappeler quel était l'état d'avancement du dossier le 1er juin 2002.

Le fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante, le FIVA, a été créé par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 ; il a donc été discuté à l'automne 2000. Le décret d'application a été publié le 21 octobre 2001. Il a encore fallu attendre le 18 avril 2002 pour que le conseil d'administration du FIVA soit installé : aucun barème d'indemnisation n'était prêt, et la réflexion n'avait même pas commencé.

Dès que M. Francois Fillon est devenu ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, il a souhaité que le FIVA ne reste pas seulement une « création virtuelle ». Un numéro vert a donc été mis en place au début du mois de juin, et des formulaires d'indemnisation ont été diffusés par l'intermédiaire des caisses régionales d'assurance maladie.

Le Gouvernement a également souhaité que, très rapidement, le conseil d'administration du FIVA puisse déterminer des barèmes d'acompte qui permettent aux personnes souffrant d'une maladie de l'amiante de disposer, dans un délai de un mois à compter de leur demande, d'un montant non négligeable. Aujourd'hui, plus de 2 500 personnes ont utilisé cette possibilité, ce qui représente un montant global de 22,4 millions d'euros.

L'adoption d'un barème définitif d'indemnisation a été une tâche difficile. Aussi a-t-elle été reportée, dans un premier temps, à l'automne. Conformément au souhait de M. Fillon, la direction de la sécurité sociale a entrepris tout au long de l'été, et ce jusqu'au début du mois de novembre, un travail conjoint avec les partenaires sociaux et les associations de victimes afin de définir les éléments constitutifs du barème du FIVA. Par ailleurs, un séminaire organisé par le FIVA lui-même s'est tenu le 10 septembre. Ce travail a abouti à un quasi-consensus.

L'Etat a constamment montré qu'il était à l'écoute des autres membres du conseil d'administration. Le MEDEF et la CGPME, qui n'avaient pas jusqu'alors désigné de représentants, ont souhaité rejoindre le conseil d'administration du FIVA. Rien, juridiquement, ne s'y opposait. C'est pour cette raison que le Gouvernement a signé l'arrêté du 12 décembre 2002 nommant un représentant de chacune de ces deux organisations patronales. Cette nomination n'était pas contraire à la décision du Conseil constitutionnel, à l'inverse de ce qui a été affirmé. Sans préjuger les suites des contentieux en cours, je rappelle que le tribunal administratif de Paris a, par deux fois déjà, considéré que ces nominations étaient légales.

En tout état de cause, il est toujours préférable, dans notre système de sécurité sociale, que l'ensemble des partenaires sociaux soient présents.

Le 20 décembre dernier, ni la proposition de l'Etat ni celle des organisations syndicales et des associations sur les montants d'indemnisation n'ont recueilli de majorité. Le 21 janvier, la proposition du président du conseil d'administration, M. Roger Beauvois, magistrat honoraire à la Cour de cassation, a pu être adoptée.

Cette proposition comprend des montants d'indemnisation élevés. Elle fait porter l'effort sur l'indemnisation des préjudices les plus graves. Pour les mésothéliomes et les cancers à issue fatale, et pour une personne de soixante ans, le total de l'indemnisation sera de l'ordre de 275 000 euros. L'indemnisation des plaques pleurales atteindra, au même âge, 22 000 euros.

Je crois que nous avons atteint l'objectif d'une indemnisation juste et équitable. Pour les préjudices les plus graves, les montants alloués au titre des préjudices extrapatrimoniaux sont comparables aux indemnisations consenties dans le cadre du fonds d'indemnisation des transfusés et hémophiles, qui sert de référence naturelle. Ils sont complétés par ailleurs par une rente de 16 000 euros, en partie réversible au conjoint.

En conséquence, le Gouvernement réfute toute accusation tendant à faire croire que nous avons « taillé de moitié » dans les indemnisations.

Naturellement, les associations de victimes auraient souhaité un effort supplémentaire. Elles se fondent sur les décisions de justice les plus favorables, en omettant de mentionner celles qui accordent des indemnisations faibles. Or, l'objectif du FIVA est justement d'harmoniser le montant des indemnisations selon que la victime est à Paris ou en province.

Je note d'ailleurs que les réactions à l'adoption de ce barème sont relativement nuancées, et différentes selon les organisations syndicales et les associations de victimes.

Je rappelle également que le barème est indicatif : la réparation sera bien sûr individualisée.

Grâce à ce barème, monsieur le sénateur, l'indemnisation des victimes de l'amiante commence enfin. Ces victimes attendent depuis la promulgation de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001, à l'origine de la création du FIVA : tout retard supplémentaire dans l'adoption du barème, sous prétexte de « négociations » ultimes alors que la discussion a duré pas loin de six mois, aurait été difficile à justifier.

Tels sont les éléments d'information, monsieur le sénateur, que je souhaitais porter à votre connaissance ainsi qu'à celle de la Haute Assemblée.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.

M. Jean-Pierre Godefroy. Madame la secrétaire d'Etat, je tiens d'abord à dire que mon propos n'était pas du tout polémique. Il s'agit d'un problème de santé complexe et je conçois parfaitement qu'il ait fallu du temps pour fixer le barème d'indemnisation.

Je regrette cependant que, concernant les représentants patronaux, ce ne soient pas les organisations siégeant à la commission des accidents du travail et des maladies professionnelles qui aient été nommées.

Je note par ailleurs que vous n'envisagez pas de rouvrir la négociation sur le montant des indemnisations.

Enfin, je réitère ma troisième question.

Pour permettre l'ouverture du droit à l'ACAATA, il serait souhaitable que la liste des établissements dont les salariés ont été exposés à l'amiante soit complétée plus rapidement. Il serait bon que les directions régionales du travail et les caisses régionales d'assurance maladie puissent donner leur avis sur une liste indicative.

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