Question de M. CLÉACH Marcel-Pierre (Sarthe - UMP) publiée le 13/02/2003

M. Marcel-Pierre Cléach appelle l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice, sur les deux importantes difficultés soulevées par la législation sur la prise illégale d'intérêts et l'ingérence. Le deuxième alinéa de l'article 432-12 du nouveau code pénal stipule que, par dérogation au principe fixé dans le premier alinéa, les élus locaux des communes comptant au plus 3 500 habitants peuvent traiter avec la commune dont ils sont élus pour " le transfert de biens mobiliers ou immobiliers ou la fourniture de services dans la limite d'un montant annuel fixé à 100 000 F (15 245 euros) ". La première difficulté est due au fait que la prise de bail de terres agricoles communales ne fait pas partie des dérogations autorisées alors même que l'acquisition d'une parcelle d'un lotissement communal, la passation de baux d'habitation et l'acquisition de biens à usage professionnels sont prévues. Et, les réponses ministérielles déjà apportées à cette question ont affirmé l'interprétation stricte des dérogations prévues par l'article 432-12 du code pénal. Force est de constater qu'en méconnaissant et omettant de tenir compte de la spécificité socio-professionnelle des populations habitant dans des communes rurales, la législation en vigueur décourage bon nombre des exploitants agricoles de s'engager dans la vie publique. La deuxième difficulté réside dans le montant du plafond servant à déterminer la prise illégale d'intérêts. Si cette limite paraît acceptable pour la fourniture de services ou le transfert de biens mobiliers, elle est particulièrement faible pour le transfert de biens immobiliers, la somme étant très rapidement atteinte, même en commune rurale, dès qu'il s'agit de terrains ou de biens immeubles. Ainsi, dans le département de la Sarthe, un terrain intéressant particulièrement la commune et nécessaire à son développement ne peut être acquis car il appartient à l'épouse d'un adjoint. Pour éviter de tels blocages, il conviendrait de revoir l'encadrement de cette disposition dérogatoire en autorisant, par exemple, un seul transfert pour chacun des élus pendant la durée de son mandat, mais en augmentant très sensiblement le montant du plafond servant à déterminer la prise illégale d'intérêts. C'est pourquoi, soulignant l'urgente nécessité d'adapter aux réalités économiques et socio-culturelles de notre pays les dérogations prévues par l'article 432-12 du nouveau code pénal, il le remercie de lui faire connaître précisément ses intentions en la matière.

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Réponse du Ministère de la justice publiée le 08/01/2004

Le garde des sceaux, ministre de la justice, fait connaître à l'honorable parlementaire que l'article 432-12 du code pénal n'autorise effectivement pas, y compris dans les communes comptant 3 500 habitants au plus, les élus qui exercent l'une des formes de contrôle prévues par l'article 432-12 du code pénal à prendre à bail des terres agricoles appartenant à la commune. Néanmoins, il ressort que l'article 432-12 du code pénal n'a pas la portée générale que lui prêtent généralement les élus. Une application stricte de la loi pénale permet, en effet, de considérer que le délit n'est pas constitué dans l'hypothèse où la personne concernée bénéficiait d'un bail rural sur les terres communales avant d'être élue au conseil municipal. Dans ce cas, quelle que soit la fonction exercée au conseil municipal, elle peut continuer à bénéficier sur ces terres des droits que lui confère le bail. Elle ne fait que conserver un intérêt (le bénéfice du bail rural) légalement pris. Le délit n'est pas non plus constitué dans l'hypothèse où la personne concernée a conclu un bail portant sur des terres communales postérieurement à son élection au conseil municipal mais ne bénéficiait en tant qu'adjoint ou conseiller d'aucune compétence du fait d'une délégation ou d'une suppléance concernant les terres communales, et ne disposait d'aucun pouvoir de préparation ou de proposition dans ce domaine, et n'a pas pris part à la délibération concernant cette opération. Ainsi le délit de prise illégale d'intérêts n'est caractérisé que dans l'hypothèse du maire qui prendrait à bail des terres communales postérieurement à son élection ou qui solliciterait, au cours de l'exercice de son mandat électif, le renouvellement de son bail à de nouvelles conditions. Par ailleurs, et s'agissant de la deuxième difficulté soulevée, la loi autorise effectivement les maires, adjoints ou conseillers d'une commune comptant 3 500 habitants au plus, à traiter avec la commune dont ils sont élus pour les transferts de biens immobiliers dans la limite d'un montant annuel fixé à 16 000 euros. Or cette somme, s'agissant de petites communes, semble déjà significative. Il résulte même des travaux parlementaires (JO AN du 9 octobre 1991 n° 71) que certains députés ou sénateurs souhaitaient maintenir le plafond annuel à son ancien niveau, soit 75 000 francs (11 433,68 euros). Toutefois, cette dérogation ne signifie pas que le délit sera constitué si la valeur du bien cédé est supérieure à ce montant. Il conviendra alors d'apprécier concrètement si cet élu, dans ses fonctions, exerce l'une des formes de contrôle prévues par l'alinéa 1 de l'article 432-12 du code pénal (la surveillance, l'administration, le paiement ou la liquidation). De manière générale, un élargissement des dérogations prévues à l'article 432-12, alinéa 2, tel que préconisé par l'honorable parlementaire, aurait pour effet d'ôter au délit de prise illégale d'intérêts son caractère préventif. En effet, il fait obstacle à ce qu'une personne exerçant une fonction publique se place dans une situation où son propre intérêt entrerait en conflit avec l'intérêt public dont elle a la charge. Cette interdiction répond au double objectif d'éviter, d'une part, qu'elle ne tire profit de ses fonctions dans son intérêt personnel et néglige ainsi l'intérêt public qu'elle doit servir, d'autre part, qu'elle ne puisse seulement en être suspectée. En conséquence, de nouvelles dérogations semblent exclues en l'état.

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