Question de M. PELCHAT Michel (Essonne - UMP) publiée le 04/06/2003

M. Michel Pelchat attire l'attention de M. le secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat, aux professions libérales et à la consommation sur les vives inquiétudes et interrogations suscitées par la directive du 23 juin 2000 relative aux produits de cacao et de chocolat destinés à l'alimentation humaine et sa future transposition en droit français. En effet, cette directive autorise la dénomination de " chocolat " pour des produits qui contiennent, dans la limite de 5 % du produit fini, des graisses végétales autres que le beurre de cacao. Or, en l'état actuel des connaissances, il n'existe aucun instrument technique permettant de vérifier que la teneur n'excède pas la limite fixée de 5 %. En outre, la similitude de composition des matières grasses végétales avec celle du cacao permettra d'introduire des matières grasses non autorisées. Par ailleurs, les conséquences néfastes sur la santé des consommateurs de ce chocolat dénaturé ne sont pas assez prises en compte. C'est pourquoi la résistance manifestée par deux pays européens, l'Espagne et l'Italie, mérite le soutien de la France, afin de préserver la qualité traditionnelle des produits de cacao et protéger les appellations de ces produits. Ces deux pays ont été condamnés, en janvier 2003, par la Commission pour avoir décidé que la dénomination de vente des produits à base de chocolat ayant des matières grasses végétales autres que le beurre de cacao soit précédée de la mention " succédané de chocolat ". Cette initiative avait pour objectif de protéger le consommateur d'une éventuelle confusion des produits à base de cacao de qualités différentes. En France, le Parlement a adopté un amendement tendant à permettre l'apposition de la mention " pur beurre de cacao " sur le chocolat produit sans adjonction de graisses végétales de substitution. Mais, il est nécessaire d'aller plus loin afin que le consommateur puisse identifier très clairement les différents produits avec ou sans matières grasses végétales. Cette résistance est d'autant plus nécessaire que cette directive aura un impact économique et social considérable sur les pays producteurs de cacao, et notamment la Côte d'Ivoire. Une baisse de la demande en fèves de cacao évaluée à 200 000 tonnes entraînera une chute des cours du cacao d'environ 20 % pour la première année (soit une perte de 300 millions d'euros), et la baisse annuelle des recettes d'exploitation des pays producteurs vers le marché européen pourrait atteindre entre 530 et 780 millions d'euros. Il souhaite, pour finir, attirer son attention sur l'alignement du taux réduit de TVA aux produits de chocolat. En effet, 98 % des produits alimentaires bénéficient du taux réduit de TVA à 5,5 %, à l'exception des bonbons de chocolat artisanaux et de la confiserie en tout ou partie, dont le taux de TVA est de 19,6 %. Une telle réforme rétablirait l'équité entre l'artisanat français et les grandes industries étrangères de chocolat qui nous inondent de succédanés de chocolat au travers de leurs barres chocolatées. Il lui demande par conséquent si le Gouvernement entend soutenir les artisans et les petites et moyennes entreprises de la chocolaterie et de la confiserie françaises sur les points développés ci-dessus.

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Erratum : JO du 26/06/2003 p.2101


Réponse du Ministère délégué aux affaires européennes publiée le 25/06/2003

Réponse apportée en séance publique le 24/06/2003

M. Michel Pelchat. Madame la ministre, j'ai souhaité attirer à nouveau l'attention du Gouvernement sur les vives inquiétudes et interrogations que suscite toujours la directive européenne du 23 juin 2000 relative aux produits de cacao et de chocolat destinés à l'alimentation humaine et sa transposition en droit français.

En effet, cette directive autorise la dénomination de « chocolat » pour des produits qui n'en sont plus parce qu'ils contiennent, dans la limite de 5 % du poids total du produit, des graisses végétales autres que le beurre de cacao, alors que, depuis 1610, date d'introduction du chocolat dans notre pays, on n'a jamais fait du chocolat avec autre chose que du cacao et du sucre.

De plus, en l'état actuel des connaissances, il n'existe aucune méthode scientifique - les plus grands experts sont d'accord sur ce point - permettant de vérifier que la teneur en graisses végétales autres que le beurre de cacao n'excède pas la limite de 5 % du poids total.

Selon les scientifiques auditionnés par le groupe d'études sénatorial sur l'économie agricole et alimentaire section « chocolat », et notamment le professeur Henri Chaveron, qui fut, pendant vingt-cinq ans, le président de la commission des experts de l'Office international du cacao et du chocolat et qui, à ce titre, participa à toutes les réunions scientifiques européennes, il est pratiquement impossible de quantifier avec précision la présence des matières grasses végétales autres que le beurre de cacao.

Cette détection comporte une marge d'erreur de 20 % à 30 %, ce qui ne manquera pas d'entraîner des dépassements importants du taux de graisses autorisé. Cela permettra d'introduire jusqu'à 18 % de graisses végétales autres que du beurre de cacao dans une tablette de chocolat, laquelle contient en moyenne 35 % de matières grasses, sans qu'aucune juridiction ne puisse le condamner compte tenu de l'imprécision des mesures.

Par ailleurs, la directive de juin 2000 ne précise pas exhaustivement la nature des matières grasses végétales, les MGV, autorisées : les MGV génétiquement modifiées sont interdites, mais la question des matières grasses synthétiques n'est tout simplement pas abordée. Or l'on sait faire des matières grasses synthétiques proches de l'huile de palme, qui sont tout à fait comparables et très difficiles, voire impossibles à détecter avec les méthodes actuelles.

Aujourd'hui, deux pays, l'Espagne et l'Italie, méritent le soutien de la France, car ils se sont opposés à cette directive en imposant la mention obligatoire « succédané de chocolat » sur les emballages des produits à base de chocolat. Il s'agit là d'un exemple de courage en matière de défense d'un produit. Qui décide ? Les politiques ou Cadburry, Mars et autres grands groupes économiques ? La question mérite d'être posée !

Une telle mention permettrait de protéger le consommateur d'une éventuelle confusion des produits à base de cacao de différente qualité.

Cette « résistance » est d'autant plus nécessaire que ladite directive aura un effet économique et social considérable sur les pays producteurs de cacao, notamment la Côte d'Ivoire, pays ami qui vient de subir une crise, avec de graves conséquences sur son économie.

Une analyse de la Côte d'Ivoire, qui représente 40 % de la production mondiale de cacao - ce sera la première victime ! - permet de conclure à une perte à court terme de la demande de fèves de cacao d'environ 200 000 tonnes sur le marché communautaire.

Cette baisse de la demande entraînera une chute des cours du cacao d'environ 20 % pour la première année, soit une perte de 300 millions d'euros. La baisse annuelle des recettes d'exploitation des pays producteurs vers le marché européen atteindra 780 à 800 millions d'euros, avec le risque de voir cette norme européenne s'étendre aux Etats-Unis et à d'autres pays qui ne sont pas encore concernés aujourd'hui. Pour une fois, c'est l'Europe qui a eu l'initiative d'une norme de cette nature. Aux Etats-Unis, le chocolat ne contient pas d'huile végétale !

A l'heure où l'on parle de développement durable et de commerce équitable, notamment avec nos amis africains, à l'heure où les consommateurs sont de plus en plus exigeants sur l'information et la traçabilité des produits qu'ils consomment et alors que l'Europe signataire des conventions de Lomé devra compenser - vous le savez mieux que moi, madame la ministre - les fluctuations des exportations des pays africains producteurs de cacao - cela représente un coût de 1 million d'euros pour 1 000 tonnes de « manque à exporter » -, je souhaite que la France demande un moratoire - c'est le minimum ! - pour la mise en oeuvre de cette directive et que celle-ci soit réexaminée, y compris dans le cadre de la nouvelle convention, par le nouveau Parlement européen qui sera élu en 2004. Cela ne me paraît pas impossible ! Il n'y a pas urgence en la matière ! Tous ces produits chocolatés sont commercialisés depuis 1973, sans aucune restriction, mais ils ne doivent pas l'être sous l'appellation « chocolat ». Ce n'est plus du chocolat !

Je ne peux pas parler du chocolat sans rappeler le problème du taux de TVA : les produits chocolatés le sont à 5,5 % alors que les chocolats artisanaux le sont à 19,6 %. Les chocolatiers demandent, depuis de nombreuses années, à bénéficier du taux réduit de TVA. Une telle décision dépend non pas de Bruxelles, mais uniquement de la France pour ce qui est du chocolat.

Madame la ministre, si vous pouviez obtenir un moratoire au minimum d'une année, vous rendriez un grand service à la France et aussi à nos amis africains, qui attendent ce geste de notre pays.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Noëlle Lenoir, ministre déléguée aux affaires européennes. Monsieur le sénateur, tout d'abord, je vous prie de bien vouloir excuser mon collègue Renaud Dutreil qui aurait dû répondre à votre question et qui, malheureusement, est actuellement retenu par d'impérieuses obligations.

Sachez que le Gouvernement est extrêmement sensible aux problèmes que vous avez soulevés. La qualité des produits alimentaires, notamment du chocolat, doit être une préoccupation européenne.

De plus, cette question revêt, vous l'avez à juste titre souligné, une forte dimension internationale.

Vous indiquez, monsieur le sénateur, qu'il n'existe pas d'instrument technique permettant, actuellement, de vérifier que la teneur en chocolat des graisses végétales autres que le cacao n'excède pas la limite fixée à 5 %. Vous souhaitez, en conséquence, que la France s'inspire des positions de l'Espagne et de l'Italie, par exemple, afin de garantir aux consommateurs une véritable qualité des produits de cacao.

Je puis toutefois vous indiquer que, d'ores et déjà, le laboratoire de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, la DGCCR, qui est installée à Bordeaux, est en mesure d'identifier les six graisses végétales autorisées à être ajoutées dans le chocolat. Actuellement, la limite de détection de ces graisses végétales est de 0,4 %, ce qui atteste de la précision de la méthode d'identification.

En ce qui concerne le contrôle de la limite de 5 % de graisses végétales dans le produit fini, ce laboratoire peut aujourd'hui quantifier ces graisses dans une fourchette comprise entre 4 et 6 %. Bien entendu, il continue, selon votre souhait, d'affiner sa méthode de quantification pour éliminer cette approximation.

Outre les moyens analytiques mis en oeuvre pour détecter les fraudes en matière de composition des produits, les services de mon collègue Renaud Dutreil, secrétaire d'Etat chargé de la consommation, veilleront, je puis vous l'assurer, au strict respect des règles d'étiquetage imposées par la nouvelle directive en vue d'informer correctement les consommateurs sur la nature réelle des différents produits.

Comme vous l'avez indiqué, l'information du consommateur constitue la clé de toutes les directives européennes. Cette exigence doit être appliquée plus particulièrement à ce domaine.

En premier lieu, l'étiquetage des produits de chocolat devra comporter une liste des ingrédients détaillée alors qu'auparavant ces produits en étaient totalement dispensés. Désormais, le consommateur aura connaissance des ingrédients constituant le produit : par exemple cacao, beurre de caco, matières grasses végétales, etc.

En second lieu, la mention « contient des matières grasses végétales en plus du beurre de cacao » devra figurer expressément sur l'étiquetage du produit en cas d'utilisation de graisses végétales. La nouvelle réglementation exige que cette mention soit clairement lisible, qu'elle apparaisse sur l'étiquetage dans le même champ visuel que la liste des ingrédients et de manière bien distincte par rapport à cette liste et, enfin - cette indication paraît superfétatoire mais elle est importante -, qu'elle figure en caractères gras au moins aussi grands que ceux de la dénomination de vente, à proximité de celle-ci, et ce afin d'éviter que le consommateur ne soit abusé.

La France a montré, dans la négociation européenne, qu'elle était très attachée à la qualité du chocolat. Les autorités françaises encouragent donc les partisans du « vrai » chocolat, comme vous-même, monsieur le sénateur, à faire savoir que les productions françaises sont de qualité. A cette fin, la loi française autorise les producteurs, voire les encourage, à utiliser la mention « chocolat pur beurre de cacao » ou « chocolat traditionnel », selon les termes de l'article L. 112-7 du code de la consommation.

L'ensemble des dispositions d'étiquetage prévues tant pour les produits contenant des graisses végétales que pour les produits élaborés avec le seul beurre de cacao permettra ainsi d'éviter tout risque de confusion pour le consommateur, en l'état actuel de la réglementation.

En ce qui concerne l'application du taux réduit de TVA aux produits de chocolat, que vous demandez au nom de l'équité entre l'artisanat français et les industriels étrangers, cette question relève, vous le savez, de la direction générale des impôts. Elle est actuellement à l'étude dans ce service, à la demande de mon collègue Alain Lambert, ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire.

En résumé, monsieur le sénateur, nous sommes tout à fait sensibles, nous, Français et producteurs de chocolat français, aux questions que vous soulevez et aux difficultés que vous avez mentionnées.

M. le président. La parole est à M. Michel Pelchat.

M. Michel Pelchat. Je comprends tout à fait que le Gouvernement de la France puisse être quelque peu embarrassé dans une affaire comme celle-là, surtout que nous sommes très proeuropéens. Il ne s'agit pas de remettre en cause l'Europe, mais certaines dispositions sont, avouez-le, inadaptées.

Ainsi, on ne peut pas, madame la ministre, appeler chocolat ce qui n'est plus du chocolat. J'ai également interrogé le laboratoire de Bordeaux et j'ai les mêmes chiffres que vous : 6 % de graisses végétales, alors que la limite est fixée à 5 %, cela représente une marge d'erreur de 20 %. Ne vous faites pas d'illusion : cette marge d'erreur sera toujours utilisée à la hausse. La quantité moyenne de matière grasse contenue dans une tablette de chocolat s'élève, je le rappelle, à 35 %. Avec cette marge d'erreur, vous arrivez à 18 % de matières grasses autres que du beurre de cacao. Sur 35 %, avouez que cela fait quand même beaucoup ! Je sais bien que, dans certains pays, des produits dits « chocolats » en contiennent jusqu'à 30 % ; il m'est arrivé d'en goûter pour les tester : il est vrai que c'est encore mangeable. Mais enfin, madame la ministre, pourquoi appeler chocolat un produit qui ne l'est pas ?

Par ailleurs, la deuxième raison pour laquelle la France serait tout à fait autorisée à demander non pas l'annulation de la directive, mais un moratoire, c'est l'imprécision de la rédaction : tous les scientifiques s'accordent à reconnaître que cette directive est mal rédigée. Cette imprécision risque d'entraîner quantité de fraudes qui ne seront absolument pas contrôlables.

Enfin, je souhaite évoquer la situation des pays africains, notamment la Côte d'Ivoire. La guerre aura des conséquences non pas sur le budget de cette année, mais sur celui de l'année prochaine. En effet, les pertes de culture de cacao subies se feront sentir sur la récolte de l'année 2004. Si l'on y ajoute les dispositions en cause, je ne sais pas combien de milliards d'euros il faudra débloquer en direction des pays africains. Avouez que l'Europe peut trouver d'autres façons plus intelligentes de dépenser son argent ! Vous le savez, les producteurs africains ne demandent pas autre chose que de vivre de leur production.

Telles sont les trois raisons pour lesquelles la France est autorisée à demander un moratoire d'au moins une année sur l'application de cette directive.

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