Question de M. LAGAUCHE Serge (Val-de-Marne - SOC) publiée le 17/07/2003

M. Serge Lagauche attire l'attention de M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales sur la question de la mise en oeuvre, par les services de la police et de la gendarmerie Nationale, des applications automatisées d'informations nominatives recueillies lors d'enquêtes préliminaires, de flagrance ou exécutées sur commission rogatoire. Plusieurs dispositions de la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 relative à la sécurité intérieure, qui consacre l'existence légale des fichiers de police judiciaire STIC et JUDEX notamment, semblent en effet constituer une atteinte manifeste au principe fondamental de la présomption d'innocence. Ce principe figurant dans la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, et ainsi pourvu d'une valeur constitutionnelle supralégislative, garantit que " toute personne suspectée ou poursuivie est présumée innocente tant que sa culpabilité n'a pas été établie " (article préliminaire du code de procédure pénale). Or, il ressort des termes de la loi que sont susceptibles d'être inscrites sur ces fichiers de police judiciaire, parallèles au casier judiciaire, toutes les personnes, sans limitation d'âge, qui ont été mises en cause lors d'une procédure judiciaire sans qu'il existe impérativement à leur encontre des indices graves ou concordants rendant vraisemblables qu'elles aient pu participer, comme auteurs ou complices, aux infractions en cause. Le champ d'application de la loi relative à la sécurité intérieure est donc si large que celle-ci peut constituer dans son application une atteinte manifeste non seulement au principe de la présomption d'innocence mais également à celui de la protection de la vie privée. En effet, cette loi permet, dans de très nombreuses hypothèses, aux services administratifs de l'Etat de diligenter des enquêtes administratives donnant lieu à la consultation des fichiers de police judiciaire. Ainsi la Commission national de l'informatique et des libertés (CNIL) cite-t-elle dans son dernier rapport d'activité plusieurs exemples où des particuliers l'avaient saisie, parce que leur candidature à des emplois ou à des stages avait été refusée, après que les services chargés de l'enquête administrative aient constaté l'inscription, à tort, sur les fichiers de police judiciaire, de données les concernant. Pour toutes ces raisons, il lui demande de bien vouloir lui faire connaître de quelles manières le Gouvernement compte mettre un terme aux inscriptions et aux consultations abusives de données personnelles figurant dans les fichiers de police judiciaire. Il lui demande également dans quels délais le Gouvernement envisage d'adopter les décrets d'application de la loi relative à la sécurité intérieure, décret devant préciser les modalités pratiques de l'inscription des données personnelles et les conditions de leur accès, dans le respect intégral de la présomption d'innocence, de la vie privée et des libertés individuelles de tous.

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Réponse du Ministère de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales publiée le 06/11/2003

La loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure (LSI) confère une base légale à la mise en oeuvre, par les services de police et de gendarmerie, d'applications automatisées d'informations nominatives recueillies au cours des enquêtes de police. Le législateur répond ainsi à l'exigence de sécurité des citoyens en dotant les services chargés de missions de sécurité intérieure des outils nécessaires à l'exercice de ces missions, tout en assurant le respect des libertés individuelles grâce aux garanties fixées pour le fonctionnement de ces fichiers. Parmi les catégories de personnes susceptibles d'être enregistrées, le mis en cause est expressément défini par l'article 21 de la LSI comme la personne à l'encontre de laquelle existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu'elle ait pu participer comme auteur ou complice à la commission d'une infraction. Le système de traitement des infractions constatées (STIC) est placé sous le contrôle du procureur de la République, lequel peut demander que les informations nominatives enregistrées soient effacées, complétées ou rectifiées, notamment en cas de requalification judiciaire. En cas de décision de relaxe ou d'acquittement, les données personnelles concernant les personnes mises en cause sont effacées sauf si le procureur de la République en prescrit le maintien pour des raisons liées à la finalité du fichier, auquel cas cette décision fait l'objet d'une mention. Les décisions de non-lieu et, lorsqu'elles sont motivées par une insuffisance de charges, de classement sans suite, font l'objet d'une mention, sauf si le procureur de la République ordonne l'effacement des données personnelles. L'utilisation des fichiers de procédure aux fins d'enquêtes administratives ne constitue pas une nouveauté de la loi précitée pour la sécurité intérieure. Cette disposition est issue en effet de la loi du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne (LSQ) modifiant l'article 17-1 de la loi du 21 janvier 1995, qui en a autorisé le principe. Le décret du 28 mars 2002, pris pour l'application de la LSQ, liste de façon limitative les enquêtes administratives donnant lieu à la consultation des fichiers, dans laquelle ne figurent pas l'attribution de logement, l'embauche ou le suivi de carrière. Ce décret est en effet limité aux enquêtes d'habilitation défense, d'affectation dans les emplois publics et privés liés à la sécurité ou à la défense, d'accès dans les sites sensibles et d'agrément pour l'utilisation de produits et matériels dangereux (armes, munitions, explosifs, matériaux nucléaires etc. La LSI a en revanche pérennisé dans le temps les dispositions de la LSQ et n'en a élargi le champ d'application qu'aux enquêtes relatives à la naturalisation et à l'attribution des titres de séjour, aux agréments relevant du domaine des jeux, paris et courses et à la nomination dans les ordres nationaux. En outre, le STIC sera doté, au cours du second semestre 2003, d'une fonction spécifique dédiée aux consultations de police administrative, laquelle permet de restreindre la visibilité de certaines informations : les données nominatives relatives aux victimes ou aux personnes mises en cause ayant bénéficié d'une suite judiciaire favorable (classement sans suite ou non-lieu) seront occultées pour les services de sécurité intérieure. En ce qui concerne les personnels de l'État (autres que policiers et gendarmes) investis de missions de police administrative, la fonction fera l'objet d'adaptations supplémentaires afin de ne restituer qu'une réponse de type " connu inconnu ", l'enquête ne pouvant être poursuivie que par un service de police ou de gendarmerie en cas de réponse positive. De façon générale, l'utilisation du STIC est entourée de différentes garanties concernant tant son alimentation que les durées de conservation des données inscrites, la mise à jour de celles-ci, ainsi que le double contrôle exercé sur le traitement par la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) et le procureur de la République. Intégré par ailleurs dans l'architecture informatique du ministère de l'intérieur, le STIC bénéficie des sécurités techniques qui y sont associées (mot de passe personnel et confidentiel associé au matricule). Seuls les personnels spécialement habilités y ont accès (à ce jour, 75 017 policiers habilités dans 1 288 services, toutes directions d'emploi confondues). Cette habilitation personnelle et individuelle est délivrée par le chef de service qui détermine pour chaque fonctionnaire relevant de son autorité son profil utilisateur (consultation, alimentation, statistique...) correspondant à l'exercice de sa mission (police judiciaire, police administrative, gestionnaire). Les outils d'administration fonctionnelle permettent de mémoriser la trace nominative de toutes les consultations et mises à jour effectuées sur le système. Le détournement d'usage ou l'utilisation illicite est passible de sanctions pénales (art. 226-17 et 226-20 à 226-23 du code pénal) et disciplinaires (code de déontologie de la police nationale). Les décrets d'application concernant aussi bien les conditions de mise en oeuvre de ces traitements que les modalités d'accès aux informations nominatives dans le cadre d'enquêtes administratives limitativement énumérées sont en cours d'élaboration et devraient en tout état de cause être adoptés d'ici à la fin de l'année. La décision du Conseil constitutionnel le 13 mars 2003 dont le statut garantit l'indépendance et dont les décisions s'imposent aux pouvoirs publics et aux autorités administratives et juridictionnelles a jugé que la loi pour la sécurité intérieure offre suffisamment de garanties pour assurer un juste équilibre entre le respect de la vie privée et la sauvegarde de l'ordre public. En conséquence, l'article 21 de la loi n'est pas contraire à la Constitution, et il n'est nullement dans l'intention du Gouvernement - pas plus que cela ne l'a été de la part de la majorité parlementaire - d'écarter la loi du 6 janvier 1978 de l'application des traitements automatisés d'informations personnelles.

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