Question de Mme BEAUDEAU Marie-Claude (Val-d'Oise - CRC) publiée le 19/05/2004

Mme Marie-Claude Beaudeau attire l'attention de M. le ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer sur le projet de privatisation des Aéroports de Paris. Elle lui fait remarquer que ce projet qui transformerait un établissement public administratif, industriel, commercial en une société anonyme, risquerait d'avoir de très lourdes conséquences sur la qualité du service public, le statut de 8 200 salariés, les missions régaliennes (propriétaire foncier, percepteur de taxes et redevances...), les fonctions industrielles et commerciales d'ADP. Elle lui fait remarquer que la privatisation serait une rupture de l'unité de statut de l'établissement et l'unicité du personnel, étroitement liées de façon structurelle depuis la création d'ADP. Elle lui demande de lui faire connaître les mesures qu'il envisage pour s'opposer à une privatisation qui se révélait désastreuse, inefficace, dangereuse pour la poursuite des missions de service public, au bénéfice de tous les acteurs du transport aérien, de ses utilisateurs. Elle lui fait enfin remarquer qu'une décision de privatisation serait d'autant plus surprenante au moment où le Gouvernement vient de confier à ADP le soin de gérer l'aide aux riverains contre les nuisances.

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Réponse du Ministère de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer publiée le 16/06/2004

Réponse apportée en séance publique le 15/06/2004

Mme Marie-Claude Beaudeau. Monsieur le ministre, permettez-moi d'évoquer, en préalable, la catastrophe du terminal E de l'aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle, qui apporte un éclairage nouveau sur les responsabilités et le mode de gestion de l'établissement public Aéroports de Paris, ADP.

A la lecture du rapport de la Cour des comptes de 2002, deux remarques ont particulièrement retenu mon attention.

La première concerne une imprécision : la frontière entre « maîtrise d'ouvrage » et « maîtrise d'oeuvre » demeure insuffisamment claire, en termes de missions de suivi de chantier et de responsabilités dans la définition des enveloppes financières des projets.

Cette première remarque, déjà sévère pour une gestion publique, doit être mise en parallèle avec la seconde. En effet, la Cour des comptes note également que les techniques de construction sont d'une grande complexité dans les méthodes utilisées.

Concernant la structure du hall F, elle observait, dans son rapport, que ADP ne savait plus si le projet pourrait être finalisé au niveau de la conception, les plans d'exécution étant refusés par le bureau de contrôle, mais aussi à celui de la réalisation, l'entreprise de gros oeuvre rencontrant des difficultés de construction et de mise en place des coques de couverture de ce hall, lequel risquait de s'effondrer.

Je vous avais posé, en son temps, une question écrite à propos de ce rapport. Vous n'y avez d'ailleurs pas répondu...

M. Gilles de Robien, ministre. Pas encore !

Mme Marie-Claude Beaudeau. ...et c'est bien dommage !

En effet, si la crainte d'effondrement du hall F ne s'est pas confirmée, ce dont nous ne pouvons que nous réjouir, elle s'est, en revanche, transformée en réalité pour le hall E ! Or, celui-ci constitue précisément un symétrique simplifié du hall F.

Une telle situation appelle à un renforcement de la présence et de l'action de l'Etat. Or, le lendemain du drame, M. Bussereau a affirmé de façon pour le moins étonnante après examen de la situation que le processus de privatisation se poursuivrait. Pour sa part, M. Graff, le patron d'ADP, déclarait : « Je ne vois pas pourquoi les analyses seraient opposées à notre mise sur le marché. Mais il est difficile de savoir ce qui se passera d'ici là ». En attendant, Le Journal des Finances conseille d'acheter des actions du groupe Vinci, qui gère les parkings d'ADP, sur repli sous 75 euros avec un objectif de 87 euros.

Je souhaite vous dire, monsieur le ministre, qu'une telle situation d'ADP n'appelle pas une confirmation de la privatisation, mais, au contraire, l'arrêt de toute urgence d'un tel projet ! ADP doit redevenir l'établissement public, commercial et administratif qui, bien que parti de rien en 1945, avait su devenir le premier opérateur au plan mondial en matière d'aménagement aéroportuaire et qui peut encore se développer.

Par conséquent, ma première question est la suivante : comment pouvez-vous imaginer un seul instant qu'une société anonyme puisse concilier à la fois les missions d'un établissement public, qui demeureront quoi qu'il arrive, et la recherche de profits financiers par des administrateurs et des actionnaires complètement étrangers à la culture aéroportuaire ?

Je vous rappelle que des sommes énormes sont en jeu ! Entre 1996 et 2000, les bénéfices annuels se sont situés entre 60 millions et 120 millions d'euros. En 2000, les recettes d'ADP ont représenté 735 millions d'euros en redevances aériennes et domaniales. A cela, on peut ajouter des recettes tirées d'activités concurrentielles comme l'assistance en escale, à hauteur de 169 millions d'euros, la concession de commerces, à hauteur de 187 millions d'euros, et un ensemble d'autres produits représentant au total un chiffre d'affaires de 1 394 millions d'euros.

Cet argent a été exclusivement affecté à des activités aéroportuaires. En sera-t-il de même, et avec la même rigueur, pour une société anonyme ?

On en voit alors toutes les conséquences. De 1996 à 2000, le ratio dettes autofinancement est passé de 5,1 à 4,6 %. Mais, en 2001, le résultat net chutant à 7 millions d'euros, l'endettement s'est aggravé. ADP a besoin de toutes ses ressources pour lui-même et non pour des actionnaires étrangers à l'activité aéroportuaire.

Comment pouvez-vous envisager qu'une société privée s'empare d'un patrimoine foncier, d'infrastructures et ne fasse pas l'objet demain d'appel d'offres européen - c'est votre loi - pouvant ainsi confier la gestion des plates-formes parisiennes à n'importe quel opérateur européen, dont le souci de l'aviation française ne sera pas forcément l'objectif premier ?

Comment pouvez-vous imaginer la non-remise en cause d'un statut d'Etat, pour être transformé en simple accord d'entreprise pour les salariés d'ADP ? Ils sont actuellement 8 300 agents, représentant deux cents métiers bien intégrés, par-delà l'éloignement, avec des garanties d'emplois et de salaires. Ils ont fait grève à plusieurs reprises pour conserver et enrichir statut et garanties. Ils ne laisseront pas toucher à ce qui fait leur qualification et leur dévouement. A mon sens, leur statut garantit la qualité du service public.

Comment pouvez-vous mettre en cause les fonctions régaliennes de l'Etat ? Car il est bien de la responsabilité régalienne de l'Etat de percevoir de taxes, de répartir des fonds publics à hauteur de 55 millions d'euros en 2004 pour l'aide à l'insonorisation des riverains ou encore de gérer des responsabilités relevant du ministère de l'équipement et du ministère de l'intérieur ! A ce titre, je vous rappelle que les opérations de police et de sûreté ont un coût, qui a triplé de 2000 à 2003 et représente 65 millions d'euros.

Le fondement des redevances, c'est le service rendu ! Je parle du service aéroportuaire public exclusivement ! Les redevances aériennes sont fixées par arrêté ministériel et non pas par une société anonyme !

Les aides aux riverains sont attribuées par une commission d'aide spécifique. Leur gestion ne peut pas être confiée à une société privée, puisqu'il s'agit d'argent public provenant de taxes votées par le Parlement !

Les redevances domaniales visent à rémunérer un droit d'occupation du domaine public, ce que ne peut pas garantir une société privée !

La Cour des comptes reconnaît d'ailleurs qu'il est difficile d'admettre que « des interventions extérieures puissent être d'intérêt général et directement utiles à l'établissement, comme le souhaite le Conseil d'Etat ». Je partage entièrement cet avis !

Quelles mesures envisagez-vous donc de prendre pour nous préserver d'une décision de privatisation qui se révélerait destructrice, insuffisante et dangereuse pour la poursuite des missions de service public ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer. Madame la sénatrice, permettez-moi d'abord de vous dire que toutes les critiques que vous avez émises en vous inspirant d'un rapport de la Cour des comptes, ainsi que les mises en garde que vous venez d'adresser, relèvent d'une période au cours de laquelle je n'assurais pas la tutelle sur ADP. Cette mission revenait en effet alors à mon prédécesseur, que vous connaissez particulièrement bien. (Sourires.)

Permettez-moi également, en guise d'introduction, de vous apporter une précision sémantique importante, puisque les mots ont un sens. Vous l'avez d'ailleurs parfaitement compris en utilisant, comme vous venez de le faire, une dialectique impropre. Je dois vous rappeler que la réforme engagée par le Gouvernement concernant ADP n'est pas une opération de privatisation. Elle ne l'est pas ! Aucune opération de privatisation n'est envisagée ! J'insiste fortement sur ce point, car je suis convaincu que, sitôt sortie de cette assemblée, vous affirmerez que le Gouvernement compte privatiser ADP. Je le répète donc une nouvelle fois : nous n'avons nullement l'intention, ni aujourd'hui ni demain, de procéder à une privatisation.

Je vous rappelle que la réforme envisagée consiste simplement à transformer l'actuel établissement public en société anonyme. Le Premier ministre l'a déjà indiqué ; je l'ai déjà indiqué et je vous le confirme aujourd'hui. L'Etat entend bien conserver la majorité du capital de cette entreprise, qui est un instrument essentiel de la politique d'aménagement et d'attractivité du territoire.

Par ailleurs, je ne voudrais pas que l'accident dramatique qui a récemment détruit une partie du terminal E nourrisse une polémique visant soit à justifier le projet de changement de statut d'Aéroports de Paris, soit à le remettre en cause. Cela ne serait pas digne ! Les objectifs stratégiques qui ont conduit à engager cette réforme demeurent, précisément parce qu'il s'agit d'objectifs stratégiques.

ADP est l'un des tout premiers exploitants aéroportuaires mondiaux ! Il est le deuxième opérateur européen ! C'est une entreprise qui investit massivement et qui emploie, comme vous l'avez rappelé, environ 8 000 personnes ! Les aéroports parisiens constituent un facteur clé de la compétitivité et de l'attractivité de la France.

Or, le statut actuel d'établissement public d'ADP date de 1945. Il n'est plus adapté aux nouveaux enjeux du secteur aérien : conserver un tel statut serait le meilleur moyen d'étouffer le développement d'ADP. Je vous laisse imaginer quel serait alors l'avenir de ces 8 000 personnes ! De fait, ce statut limite les possibilités de financement et de développement de l'entreprise, dont vous avez évoqué la dette, qui a d'ailleurs augmenté ces dernières années. Il entrave également ses capacités de réaction face aux évolutions du transport aérien.

C'est pourquoi le Gouvernement souhaite faire d'ADP une société anonyme dotée de nouveaux espaces d'initiative et d'une plus grande responsabilité vis-à-vis des transporteurs aériens, des passagers, des riverains et des pouvoirs publics. Mais cette évolution - et là, je pense que nous pourrons nous rejoindre -doit se faire avec des garanties.

Tout d'abord, le Gouvernement souhaite que l'intégrité et la pérennité de l'entreprise soient assurées. Seule l'activité de contrôle de la navigation aérienne sera appelée à réintégrer la Direction générale de l'aviation civile, la DGAC. Les aéroports franciliens continueront à être exploités par l'entreprise dans le cadre d'une autorisation donnée par la loi, sans limitation de durée, comme cela est le cas actuellement.

Ensuite, toutes les garanties juridiques seront prises pour que les biens indispensables au service public aéroportuaire, qui seront intégrés dans le patrimoine de la nouvelle société anonyme, ne puissent pas être utilisés à d'autres fins. Un cahier des charges viendra clarifier les obligations s'imposant à l'entreprise, tant en termes de service à rendre aux compagnies aériennes et aux passagers, qu'en termes d'enjeux d'aménagement du territoire à prendre en compte. Le cadre des redevances aéroportuaires sera également modernisé afin de permettre un juste équilibre entre les intérêts des transporteurs aériens et ceux de l'exploitant aéroportuaire.

L'Etat restera bien entendu le garant de la sécurité, de la sûreté et de la protection de l'environnement. A cet égard, je ne vois nul paradoxe à ce que la société Aéroports de Paris gère, dans un cadre fixé par la loi et sous le contrôle direct des commissions consultatives d'aide aux riverains, le dispositif d'aide à l'insonorisation des logements situés dans les zones exposées au bruit.

Enfin, s'agissant des hommes et des femmes oeuvrant au sein d'Aéroports de Paris, le Gouvernement s'est engagé à maintenir sous sa forme actuelle le statut réglementaire du personnel.

Telles sont les principales orientations sur lesquelles le Gouvernement travaille et qui seront présentées à votre assemblée dans les prochains mois.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Beaudeau.

Mme Marie-Claude Beaudeau. Monsieur le ministre, votre réponse ne m'a pas convaincue.

M. Gilles de Robien, ministre. Il ne faut pas poser de question !

Mme Marie-Claude Beaudeau. Vous rejetez une partie de la responsabilité sur le gouvernement précédent,...

M. René-Pierre Signé. C'est une antienne !

Mme Marie-Claude Beaudeau. ... mais je vous parle, moi, de continuité de l'Etat !

Vous m'avez objecté que mes propos n'étaient que des mots, mais j'ai cité des paragraphes entiers du rapport de la Cour des comptes, et ce ne sont pas des mots !

Quand vous me dites que vous n'allez pas privatiser Aéroports de Paris, mais que vous allez créer une société anonyme, vous soumettez ADP à la loi du marché ! Que vous le vouliez ou non, monsieur le ministre, cela revient à soumettre Aéroports de Paris aux fluctuations du marché (M. le ministre fait un signe de dénégation.), à sa volatilité. Nous savons bien que les actionnaires privés, parce qu'il y en aura, n'hésiteront à pas vendre leurs actions en cas de crise.

C'est donc un début de bradage de l'entreprise publique, monsieur le ministre. En dépit de ce que vous affirmez, vous favorisez l'externalisation de tout ce qui fait l'activité et la force d'Aéroports de Paris.

Ainsi, vous allez affaiblir la gestion des intérêts publics et la mission des trois aéroports parisiens. Vous parlez de garanties, mais c'est tout le contraire, la création de la société anonyme ne permettra plus de garantir les conditions que vous voulez poser.

En créant une société anonyme, vous allez déstabiliser l'avenir du travail de qualification et le statut des 8 300 salariés d'Aéroports de Paris ; on l'a vu avec d'autres entreprises publiques. En fait, c'est un début de privatisation.

Lorsque vous aurez créé la société anonyme, rien n'empêchera au fur et à mesure l'ouverture du capital. Cette privatisation fera régresser la gestion de nos trois grands aéroports parisiens et entraînera automatiquement une régression sociale programmée. Ce n'est donc pas l'intérêt national que vous défendez ce matin, monsieur le ministre !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Gilles de Robien, ministre. J'ai trop de respect pour la représentation nationale pour ne pas reprendre la parole, de manière à être parfaitement clair.

Premièrement, le rapport de la Cour des comptes fait état des conclusions des années précédant notre gestion. Si vous estimez, madame Beaudeau, que ces conclusions sont inquiétantes, ne nous accusez pas d'en être les complices !

Mme Marie-Claude Beaudeau. Je n'ai pas dit cela !

M. Gilles de Robien, ministre. Avec la continuité de l'Etat, nous assumons la situation laissée par ADP après les années dont vous aviez la tutelle de sa gestion.

Deuxièmement, ne jouons pas sur les mots. Il y a privatisation lorsque la part de l'Etat descend en dessous de 50 %.

Mme Marie-Claude Beaudeau. Elle descendra en dessous, vous le savez !

M. Gilles de Robien, ministre. D'une part, nous ne descendrons pas en dessous de 50 %...

Mme Marie-Claude Beaudeau. Mais, si, vous le savez, monsieur le ministre !

M. Gilles de Robien, ministre. ... et, d'autre part, si nous avons plus de 50 %, comme je le confirme, l'Etat aura toujours la mainmise et l'autorité sur la société anonyme, puisqu'il aura non pas une minorité de contrôle, mais une majorité.

Mme Marie-Claude Beaudeau. Vous dites toujours cela !

M. Gilles de Robien, ministre. Lorsque l'Etat est majoritaire, il exerce son devoir !

Troisièmement, s'agissant des personnels, ne les inquiétez pas !

Mme Marie-Claude Beaudeau. Ce n'est pas moi qui les inquiète, ce sont eux qui sont inquiets !

M. Gilles de Robien, ministre. Vous allez les rassurer, madame Beaudeau, et je vous en remercie,...

Mme Marie-Claude Beaudeau. Sûrement pas !

M. Gilles de Robien, ministre. Ce n'est donc pas la peine de poser des questions aux membres du Gouvernement !

M. Bruno Sido. En effet !

M. Gilles de Robien, ministre. ...puisque je vous dis qu'ils conserveront leur statut ! Il n'y a donc aucune raison pour qu'ils soient inquiets.

Mme Marie-Claude Beaudeau. On l'a vu avec France Télécom !

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