Question de Mme BEAUDEAU Marie-Claude (Val-d'Oise - CRC) publiée le 20/05/2004

Mme Marie-Claude Beaudeau attire l'attention de M. le ministre des affaires étrangères sur l'application de la convention d'Ottawa sur l'interdiction " de l'emploi, du stockage, de la production et du transfert des mines antipersonnel et sur leur destruction ", ratifiée par la France le 23 janvier 1998 et, aujourd'hui, par 141 États. Elle lui rappelle qu'en ratifiant cette convention notre pays a pris un engagement solennel : arrêt de toute production et de toute exportation, déminage, destruction de stocks, aides aux États membres qui en feront la demande, assistance aux victimes. Elle lui demande s'il estime que la France a rempli son engagement précisé par les sept points de l'article 6 : coopération et assistance internationales. Elle lui demande notamment s'il considère comme suffisante l'assistance de notre pays pour les soins aux victimes des mines, pour leur réadaptation, pour leur réintégration sociale et économique. Elle lui demande de lui faire savoir s'il n'estime pas encore très insuffisant l'effort financier de la France pour la mise en oeuvre du fonds de solidarité prioritaire qui permet de financer des programmes pluriannuels notamment dans la zone de solidarité qui comprend 54 pays avec lesquels la France mène une politique de coopération. Elle lui demande de lui faire connaître les mesures qu'il pourrait envisager afin de doubler, en 2004, le montant du financement des actions de la France en faveur du déminage. Une telle décision permettrait d'ajouter de nouveaux projets à ceux de déminage antipersonnel actuellement en cours. Elle lui demande également de lui faire connaître les mesures qu'il envisage en faveur de l'intégration " des débris de guerre explosifs (UXO) " dans la lutte contre les mines antipersonnel. Enfin, elle lui demande de lui faire connaître les mesures prises en faveur de l'universalisation de la convention d'Ottawa.

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Réponse du Ministère délégué aux affaires européennes publiée le 02/06/2004

Réponse apportée en séance publique le 01/06/2004

Mme Marie-Claude Beaudeau. Ma question première, avec les sous-questions qu'elle entraîne, porte sur l'assistance aux victimes de mines antipersonnel.

Je vous rappelle tout d'abord, madame la ministre, que les 141 Etats signataires de la convention d'Ottawa, dont la France, qui l'a transposée en droit interne, se sont engagés sur deux points.

Premièrement, ils se sont engagés à mettre un terme à la production, à l'utilisation et au stockage de cette arme ainsi qu'à stopper sa prolifération. La France a donc pris ses responsabilités. Cependant, ne conviendrait-il pas, madame la ministre, de passer à nouveau les sites au peigne fin pour s'assurer que tous ceux qui disposent encore de stockages ont bien achevé leur travail de déminage ? En ce qui concerne Djibouti, par exemple, un déminage plus poussé ne s'impose-t-il pas ?

Par ailleurs, madame la ministre, les deux nouvelles méthodes utilisées depuis 2002 qui reposent sur le criblage et sur le concassage ne sont pas référencées. Un travail de six mois, mettant en oeuvre une méthode plus conventionnelle, serait encore nécessaire. Confirmez-vous, madame la ministre, qu'un nouveau plan soit nécessaire ? N'existe-t-il pas d'autres sites encore vulnérables ?

D'autre part, un nouvel examen des stocks conservés pour les études ne doit-il pas être conduit ? Certains stocks paraissent surdimensionnés par rapport aux besoins réels. Qu'en pensez-vous, madame la ministre ?

Enfin, ne conviendrait-il pas d'intégrer la lutte contre les débris de guerre explosifs UXO dans la lutte contre les mines antipersonnel ?

Deuxièmement, en ratifiant la convention d'Ottawa, la France s'est engagée à porter assistance à ceux qui ont été victimes de mines antipersonnel ou qui en subissent les effets. L'alinéa 3 de l'article 6 de la convention est clair : y est formulée une obligation d'assistance. Il s'agit, en fait, de l'application d'un droit international. Et, sur ce point, notre retard est important, convenez-en, madame la ministre.

La France est-elle disposée, à la veille de la conférence de Nairobi, à prendre de nouveaux engagements portant notamment sur la majoration de son aide financière, mais aussi sur la définition des composantes de l'assistance aux victimes faisant l'objet d'un soutien et des politiques qui régissent l'attribution des aides ? Sommes-nous prêts à préciser les moyens par lesquels l'attribution des aides se fera et les populations et les groupes qui en bénéficieront ?

Madame la ministre, le Parlement doit être informé et consulté sur la diversité des actions envisagées, qui doivent englober tous les aspects de l'aide aux victimes, sans limite de nature.

Dans une vision nouvelle qui, je l'espère, sera celle de la conférence de Nairobi, doit être reprécisée la notion de victimes, sans vision restrictive. Sont concernées toutes les personnes tuées, blessées ou mutilées ainsi que les membres de leurs familles, mais aussi les personnes ayant subi un préjudice du fait d'actes liés à des mines antipersonnel.

Quels sont les composantes de l'assistance et les mécanismes d'indemnisation envisagés ?

Pouvez-vous intégrer dans le programme de santé publique du Gouvernement des mesures en matière de soins préhospitaliers, de réadaptation physique, de réintégration sociale et économique ?

Ce sont les réponses à toutes ces questions que recouvre la notion d'assistance, dans laquelle la France est engagée.

Mais j'entends déjà votre remarque. La France n'est pas seule et, si elle l'était, la conférence d'Ottawa resterait sans efficacité et la convention sans objet.

Que pensez-vous proposer au Parlement en faveur de la majoration des aides au déminage, mais aussi désormais pour l'assistance aux victimes ? La convention d'interdiction doit s'accompagner de l'élaboration d'un mécanisme international de reconnaissance des droits des victimes, de compensation des préjudices subis par celles-ci, ainsi que de la mise en place d'un fonds suffisant avec des méthodes d'utilisation transparentes reposant sur des notions de droit.

La France ne peut pas seule supporter le poids financier de la mise en oeuvre du fonds de solidarité prioritaire, qui permet de financer des programmes pluriannuels, notamment dans la zone de solidarité qui comprend cinquante-quatre pays avec lesquels la France mène une politique de coopération. Encore faut-il qu'elle fasse son devoir !

Quelles sont vos propositions de majoration des aides, notamment à travers la loi de finances pour 2005 et les années suivantes ?

Enfin, ne convient-il pas d'engager une action plus dynamique et résolue en faveur de l'universalisation de la convention d'Ottawa ? Quelle politique diplomatique et de coopération internationale conduisez-vous pour que, enfin, de grands pays comme les Etats-Unis, la Russie, l'Inde, ratifient la convention d'Ottawa ?

Nous percevons mal cette politique, madame la ministre, et nous espérons que votre réponse permettra de la clarifier.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée aux affaires européennes. Madame le sénateur, la France attache la plus grande importance à l'application de la convention d'Ottawa, qu'elle a signée le 3 décembre 1997, c'est-à-dire dès le premier jour de l'ouverture de la signature. Quelques mois plus tard, le 23 juillet 1998, elle a été parmi les premiers pays à l'avoir ratifiée.

La France s'est ensuite conformée de façon stricte à toutes les obligations découlant de cet engagement solennel : l'arrêt de toute production et de toute exportation, le déminage, la destruction des stocks, l'aide aux Etats membres qui en font la demande, l'assistance aux victimes...

Avec les gouvernements qui se sont engagés comme elle dans cette démarche, elle travaille en outre avec détermination à la dimension universelle de cette convention, qui compte aujourd'hui 142 Etats parties.

L'an dernier, la France a coprésidé avec la Colombie l'un des quatre comités permanents issus de la convention d'Ottawa, celui qui était consacré à l'assistance aux victimes des mines antipersonnel et à leur réintégration socioéconomique. En se fondant sur le travail des années précédentes, cette coprésidence a mis en route un travail de recensement systématique des besoins des victimes, en définissant pour chaque pays des priorités.

Ce processus, qui se poursuit avec les nouveaux co-présidents australien et croate, devrait aboutir à la rédaction d'un plan d'action qui pourrait être examiné en novembre lors de la conférence de Nairobi.

Dans le cadre de ses relations bilatérales, la France a consacré depuis 1995, c'est-à-dire avant même le processus d'Ottawa, quelque 15 millions d'euros à l'action contre les mines, sur tous les continents : Afrique, Asie, Europe, Amérique, auxquels il faut ajouter notre participation très significative aux programmes de la Commission européenne. Ces programmes européens ont, pour la seule année 2002, par exemple, atteint près de 42 millions d'euros.

Nous avions lancé, en 1995 et 1996, quatre grands projets de déminage humanitaire au profit du Cambodge, de l'Angola, du Tchad et du Honduras.

Après la signature de la convention d'Ottawa, notre action a connu une dimension nouvelle.

Dans la zone de solidarité prioritaire, avec laquelle nous menons cette politique de coopération, nous sommes en mesure, depuis cette date, de mettre en oeuvre un fonds particulier, le fonds de solidarité prioritaire, qui permet de financer des programmes pluriannuels.

En dehors de cette zone, par exemple dans les Balkans - en Bosnie, en Croatie, au Kosovo -, ou en Amérique Centrale - au Nicaragua -, notre effort se traduit par des financements conventionnels.

Dans la zone de solidarité prioritaire, les principaux bénéficiaires des projets de coopération français en matière de déminage ont été le Cambodge, le Mozambique, le Sénégal et le Bénin. En 2004, nous lancerons deux nouveaux projets de coopération portant sur le déminage antipersonnel : l'un, de 1,17 millions d'euros, au Mozambique, et l'autre, de 3 millions d'euros, en Angola, conformément à la promesse faite par la France en 2002.

Nous poursuivrons également des projets déjà engagés en Bosnie, en Croatie, au Tadjikistan et au Cambodge.

Notre action porte sur les domaines les plus divers : la sensibilisation, l'assistance aux victimes, le déminage proprement dit, et même la formation des démineurs. A cet égard, je tiens à signaler la contribution essentielle fournie par l'école supérieure et d'application du génie d'Angers, qui accueille chaque année des dizaines de stagiaires étrangers, ainsi que l'ouverture l'an dernier du centre régional de Ouidah, au Bénin, qui a déjà accueilli plus de quatre-vingts futurs formateurs venus de tous les pays d'Afrique.

Dans un contexte budgétaire particulièrement tendu, la France a néanmoins tenu cette année à poursuivre l'effort engagé depuis 1998. Il conviendra, le moment venu et en fonction du plan d'action qui sera décidé à Nairobi en novembre de cette année, de réévaluer la pertinence et le volume de notre action dans le domaine du soutien aux victimes.

Vous avez évoqué la promotion de l'universalité de la convention d'Ottawa. La France n'a cessé depuis 1998 de défendre l'acceptation universelle de cet instrument international, y compris auprès des grands pays producteurs et utilisateurs de ces armes proscrites. La France s'est exprimée à ce sujet par la voix de l'Union européenne qui, à la veille de la réunion des Etats parties à Bangkok, a entrepris des démarches sur le thème de l'universalité auprès de tous les pays non signataires. Des contacts bilatéraux à ce sujet ont eu lieu avec les autorités laotiennes en septembre 2003, les autorités américaines en novembre 2003, ou encore à l'occasion de la visite en France des présidents des Parlements des Etats baltes en novembre 2003.

S'agissant des résidus explosifs de guerre, cette question relève non pas de la convention d'Ottawa, mais du protocole V de la convention de 1980, qui a été adopté par consensus dans le cadre des Nations unies le 28 novembre 2003. La France a l'intention d'être parmi les premiers pays à ratifier ce protocole, au terme d'une négociation à laquelle elle a activement participé.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Beaudeau.

Mme Marie-Claude Beaudeau. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse.

Si je reconnais que la France n'est pas restée inactive en matière d'assistance aux victimes - j'ai bien noté les chiffres que vous nous avez donnés et il est vrai que, depuis 1995, notre pays a participé pour 15 millions d'euros à l'action contre les mines sur tous les continents -, j'estime que cette somme est maintenant insuffisante face aux besoins et qu'il nous faut revoir les engagements que nous pourrions prendre vis-à-vis du déminage dans des pays où la situation est extrêmement difficile et où l'on constate journellement encore des mutilations et des morts.

Permettez-moi d'ajouter, madame la ministre, concernant l'aide directe et l'assistance aux victimes, que la France pourrait jouer un rôle fort, notamment en matière d'appui aux services locaux pour l'amélioration de l'offre de soins, la gestion des services et la pérennité des structures ; elle pourrait également soutenir la mise en place, dans les pays concernés, de législations garantissant les droits des personnes handicapées.

Vous n'ignorez pas, madame la ministre, qu'à la suite de la loi ratifiant la convention d'Ottawa le Parlement français a créé une commission nationale pour l'élimination des mines antipersonnel, qui siège régulièrement et qui remet chaque année son rapport d'activité à M. le Premier ministre.

Je veux insister sur cette question car, au sein de la commission nationale pour l'élimination des mines anti-personnelles, la CNEMA, présidée par Mme Brigitte Stern, se réunissent des groupes de travail qui formulent chaque année, dans leur rapport d'activité, des propositions extrêmement concrètes, notamment en ce qui concerne l'assistance aux victimes.

Je souhaiterais, madame la ministre, que vous puissiez vous-même étudier les rapports d'activité de cette commission, car ils contiennent des propositions qui pourraient permettre à la France, évidemment avec des moyens financiers supplémentaires, de jouer un grand rôle, ce rôle qui s'était concrétisé avec la ratification de la convention d'Ottawa.

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