Question de Mme BORVO COHEN-SEAT Nicole (Paris - CRC) publiée le 02/03/2005

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat attire l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice, sur le fonctionnement de la justice de proximité, qui rencontre une opposition grandissante notamment de la part de magistrats, y compris parmi les membres du Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Les inquiétudes qui s'étaient manifestées lors du débat sur le projet de loi instituant les juges de proximité et, plus récemment, lors de l'extension de leurs compétences, se voient confirmées dans la réalité, comme l'absence de garantie d'indépendance et d'impartialité ou l'insuffisance de formation. Quant aux nominations de candidats, qui sont pour beaucoup des notables, le CSM se borne à un contrôle de la légalité. Leurs compétences ont été accrues, alors même que la chancellerie n'a toujours pas remis de bilan de l'activité des 300 juges en place, et que l'objectif est de nommer 3 000 juges. Elle lui demande les dispositions qu'il entend prendre pour qu'un tel bilan soit rendu public avant toute poursuite des nominations de juges de proximité.

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Réponse du Secrétaire d'Etat aux droits des victimes publiée le 13/04/2005

Réponse apportée en séance publique le 12/04/2005

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Madame la secrétaire d'Etat, comme vous le savez, le groupe communiste républicain et citoyen s'était opposé à la création de la juridiction de proximité. M. Robert Bret et moi-même, comme d'autres sénateurs, ont ensuite confirmé à maintes reprises la position de notre groupe sur l'extension des compétences de ces juges, effectuée sans consultation des organisations professionnelles ou du Conseil supérieur de la magistrature, le CSM.

Nous avons expressément demandé qu'avant toute décision le Gouvernement établisse le bilan de l'expérience en cours, conformément à l'engagement de M. le garde des sceaux.

Aujourd'hui, de nombreux magistrats et la majorité des membres du Conseil supérieur de la magistrature estiment qu'il faut cesser tout recrutement tant que le bilan de l'activité des 310 juges en fonction n'a pas été fait.

Dans la presse, le 25 février, le garde des sceaux indiquait que des bilans étaient en cours mais qu'un bilan complet ne pouvait être effectué, tous les tribunaux de grande instance n'étant pas pourvus. Je précise que l'on avait demandé un bilan portant seulement sur l'activité des 331 juges recrutés.

Faut-il attendre les 3 000 nominations, qui ne semblent d'ailleurs pas se profiler, avant de réfléchir aux problèmes qui se posent et tenter d'y remédier ?

Les questions que soulèvent les juges de proximité et l'extension de leurs compétences ne sont pas nouvelles. Elles ont été exprimées d'emblée par des parlementaires, notamment par ceux de mon groupe.

Les inquiétudes tiennent à la compétence de ces juges, notamment au pénal, d'autant qu'elle s'exerce aussi à l'égard des mineurs. Cette question a été soulevée, parmi d'autres, dans l'avis de la Commission nationale consultative des droits de l'homme, le 15 juillet 2002.

Les inquiétudes tiennent aussi au flou qui entoure les conditions de recrutement et de nomination, aux risques de dérapage, de recrutement de notables, à l'insuffisance de formation, à la garantie d'indépendance et d'impartialité. Le 19 septembre 2002, le Conseil supérieur de la magistrature donnait un avis critique sur les conditions de nomination et d'exercice, estimant que l'exigence d'impartialité n'était pas entièrement satisfaite.

Le garde des sceaux m'a écrit que le Conseil supérieur de la magistrature effectuait un contrôle rigoureux des candidatures préalablement sélectionnées par les chefs de cour, puis par la chancellerie.

Certains membres éminents du CSM déclarent, quant à eux, qu'il ne s'agit que d'un contrôle de légalité.

Ils confirment que la plupart des candidats sont des notables : « Le juge de proximité type est un avocat ou un huissier en exercice. »

Comment, dans ces conditions, garantir l'indépendance et l'impartialité des juges ?

J'insiste donc, madame la secrétaire d'Etat, pour que le bilan d'étape promis soit établi et communiqué aux parlementaires, auxquels on a demandé de valider ce recrutement.

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'Etat.

Mme Nicole Guedj, secrétaire d'Etat aux droits des victimes. Madame la sénatrice, M. Dominique Perben, indisponible ce matin, vous prie de l'excuser et m'a chargé de vous répondre.

Vous avez appelé son attention sur le fonctionnement de la justice de proximité.

Je vous rappelle que la loi d'orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002 a instauré les juridictions de proximité en confiant à ces dernières une part limitée des contentieux des tribunaux d'instance.

Bien que la loi du 26 janvier 2005 relative aux compétences du tribunal d'instance, de la juridiction de proximité et du tribunal de grande instance ait étendu les compétences des juridictions de proximité, le législateur a étroitement cantonné les contentieux qui leur sont soumis en excluant les deux types de contentieux de masse soumis au tribunal d'instance que constituent les litiges relatifs aux crédits à la consommation et aux baux d'habitation.

Sur le plan pénal, la loi du 26 janvier 2005 permet aux juges de proximité de siéger aux audiences correctionnelles en qualité d'assesseur et procède à la simplification et à la clarification des blocs de compétences en matière contraventionnelle.

Ces deux textes, largement débattus devant la représentation nationale, ont été soumis par ailleurs au contrôle du Conseil constitutionnel, qui, en fixant les exigences relatives au recrutement de ces juges, a particulièrement veillé à ce que soient garantis les principes d'indépendance et d'impartialité.

C'est ainsi que le Conseil constitutionnel a validé les dispositions de la loi du 26 février 2003, qui autorisent le cumul de certaines activités professionnelles ou de certaines fonctions avec celles de juges de proximité.

En outre, le régime des incompatibilités géographiques ou fonctionnelles édictées au regard tant de l'exercice de certaines professions que de certains mandats électifs contribue au renforcement du respect de ces principes.

Enfin, la loi impose au juge de proximité de se dessaisir d'une affaire susceptible de voir naître un conflit d'intérêt.

Dans la pratique, tant la Chancellerie que le Conseil supérieur de la magistrature sont particulièrement vigilants à l'occasion de l'affectation géographique des candidats, plus particulièrement pour celle des auxiliaires de justice.

En tout état de cause, je précise que le CSM ne se borne en aucun cas au contrôle de la légalité des nominations que vous évoquiez.

Il vérifie en effet que les conditions légales d'admissibilité sont remplies. Mais il effectue en outre un contrôle rigoureux des candidatures qui lui sont soumises et qui ont été préalablement sélectionnées par les chefs de cour, puis par la mission « juges de proximité ».

A cet égard, il peut toujours solliciter cette dernière et obtenir toute explication souhaitée ou tout complément d'instruction nécessaire à sa prise de décision.

J'ajoute enfin que la possibilité réservée au CSM de pouvoir astreindre un candidat à un stage probatoire vient encore renforcer les garanties offertes en matière de nomination et lui permet de statuer en pleine connaissance de cause.

Le recrutement des juges de proximité s'effectue donc dans des conditions d'exigence qui offrent les garanties nécessaires quant à la compétence de ces juges.

La sécurité juridique due au justiciable implique en effet qu'il soit fait appel à des candidats de qualité, qui font preuve d'une grande compétence juridique et qui, pour la plupart, exercent des responsabilités à un niveau élevé.

Par ailleurs, je rappelle que ces juges sont impérativement soumis, avant leur prise de fonctions, à une formation de cinq jours à l'Ecole nationale de la magistrature, suivie d'un stage en juridiction de huit ou douze semaines suivant que le candidat a été astreint à un stage de formation préalable ou à un stage probatoire.

Je rappelle à ce propos que la nature du stage auquel est soumis le candidat relève de l'appréciation souveraine du CSM, appréciation qui s'impose à l'autorité de nomination, et qu'à de rares exceptions près seuls les magistrats de l'ordre judiciaire sont dispensés du stage en juridiction.

Le ministère de la justice poursuit donc le recrutement annoncé.

En ce qui concerne la formation de ces juges, la Chancellerie et l'Ecole nationale de la magistrature mènent de concert une réflexion qui porte tant sur la formation initiale que sur la formation continue, dispensée notamment dans un cadre déconcentré.

Il convient d'élaborer un système de formation qui concilie à la fois les exigences de qualité et les contraintes professionnelles des candidats.

Enfin, depuis la mise en oeuvre de la réforme, en juillet 2003, le Conseil supérieur de la magistrature a déjà été saisi, à six reprises, de 847 dossiers de candidatures au total, et plus de 310 juges de proximité sont déjà installés dans leurs fonctions près les 33 cours d'appel de la métropole et des départements d'outre-mer.

Le CSM a déjà statué sur 108 rapports de stage probatoire. A ce jour, le taux d'avis conforme est supérieur à 73 %, ce qui traduit le niveau de qualité des candidatures retenues.

De nombreux juges de proximité n'ont pris leurs fonctions que depuis quelques semaines ; il serait donc prématuré aujourd'hui de tirer des conclusions définitives dans le cadre d'une évaluation qualitative.

A cet égard, M. Dominique Perben a décidé de mettre en place un groupe de suivi de la réforme qui aura pour mission d'apprécier les conditions de fonctionnement des juridictions de proximité.

Le rapprochement de la justice et du citoyen a donc déjà pu largement s'opérer.

La dernière réforme intervenue va permettre d'atteindre l'objectif que le législateur s'était initialement assigné pour ces nouvelles juridictions et qui est de décharger substantiellement les tribunaux d'instance tout en permettant un meilleur ancrage de ces nouveaux juges dans l'institution judiciaire en les faisant siéger aux audiences correctionnelles.

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Madame la secrétaire d'Etat, je ne peux me satisfaire de votre réponse, sans doute parce que je suis absolument opposée à la création des juges de proximité.

Vous nous répondez qu'il est trop tôt pour établir un bilan. Puis-je attendre du groupe de suivi qu'il établisse un bilan et le présente à la représentation nationale, comme le garde des sceaux s'y est engagé ?

Le recrutement des juges de proximité était supposé décharger les tribunaux d'une partie de leur tâche et être plus facile que le recrutement de juges classiques.

Or, depuis 2004, les services de l'ANPE n'ont recruté que 310 juges de proximité. Je ne partage pas votre opinion sur leur efficacité. Cela pose de nombreux problèmes dans les juridictions. Comment arrivera-t-on à recruter les 3 000 juges de proximité attendus ? Certains parlementaires souhaitaient que les moyens des juridictions d'instance soient accrus, mais on ne les a pas entendus.

Il est aujourd'hui démontré qu'il aurait été préférable et plus efficace de pourvoir 310 postes de juges classiques par concours.

Quant aux garanties d'indépendance et de qualité des juges de proximité, elles ne me semblent pas avoir été apportées.

Je renouvelle ma demande d'un bilan de la réforme. La représentation nationale qui l'a votée doit pouvoir évaluer l'utilité des juges de proximité.

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