Question de M. MORTEMOUSQUE Dominique (Dordogne - UMP) publiée le 08/06/2006

M. Dominique Mortemousque attire l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice sur le projet concernant un rapprochement des professions d'avocat et de juriste d'entreprise. Cette éventualité soulève de vives protestations de la part d'une grande majorité d'avocats. Les membres du conseil de l'ordre des avocats de Périgueux ont adopté à l'unanimité une motion précisant leur crainte que ce rapprochement menace les termes mêmes de leur serment et porte atteinte à l'identité et à l'éthique de leur profession.
Dans ces conditions et considérant qu'un tel rapprochement nécessite l'adhésion des deux professions concernées, il lui demande de bien vouloir prendre en considération les inquiétudes exprimées par les avocats et de lui faire connaître quelles mesures le gouvernement entend prendre.

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Réponse du Ministère de la justice publiée le 20/07/2006

Le garde des sceaux, ministre de la justice, fait connaître à l'honorable parlementaire qu'un groupe de travail relatif au rapprochement des professions d'avocat et de juriste d'entreprise, composé de membres des institutions et organisations représentatives des deux professions s'est réuni à la chancellerie une dizaine de fois au cours de l'année 2005. Le rapport remis le 27 janvier dernier répond à l'essentiel des inquiétudes exprimées par les avocats du barreau de Périgueux. L'hypothèse de travail retenue est celle d'une réforme pragmatique, au terme de laquelle les avocats pourraient, à l'avenir, choisir d'exercer leur profession en qualité de salarié d'une entreprise, tout en conservant leur titre, leur statut et leur déontologie. Dans le même temps, un certain nombre de juristes d'entreprise, répondant à des critères objectifs et transparents, fixés par la loi, pourraient intégrer la profession d'avocat, tout en conservant leur emploi et leur fonction au sein de leurs entreprises. Ainsi, la discussion actuelle porte sur la création d'un nouveau mode d'exercice de la profession d'avocat : « avocat en entreprise ». Le groupe de travail a organisé sa réflexion autour de plusieurs thèmes. Ainsi, s'agissant de son champ d'activité professionnelle, l'« avocat en entreprise » exercerait les mêmes fonctions de consultation et de rédaction d'actes, au profit de l'entreprise, que l'actuel juriste d'entreprise. En revanche, il ne devrait en aucune manière concurrencer les avocats sur le terrain judiciaire, en représentant ses employeurs et en plaidant devant les tribunaux. Pour que cela soit sans ambiguïté, la loi lui interdirait de plaider et de représenter son employeur devant les juridictions lorsque la représentation est obligatoire, notamment devant le tribunal de grande instance, mais aussi d'assister son employeur en matière pénale. Le contrat de travail de l'avocat exerçant en entreprise serait régi par le code du travail, sauf dérogations expresses, prévues par la loi ou le règlement, justifiées par le respect de l'indépendance technique et de la déontologie professionnelle. Les contrats de travail seraient obligatoirement soumis au contrôle de l'autorité ordinale. Les clauses susceptibles de porter atteinte à l'indépendance que comporte le serment de l'avocat seraient prohibées. En revanche, la clause de conscience, permettant à l'avocat salarié d'une entreprise de demander à son employeur d'être déchargé d'une affaire qu'il estimerait contraire à sa conscience serait obligatoire. L'avocat exerçant en entreprise serait donc soumis à une double autorité : s'agissant de la relation de travail, il relèverait du pouvoir hiérarchique du chef d'entreprise au plan professionnel, déontologique et disciplinaire, il relèverait du bâtonnier et du conseil de l'ordre compétents. Il respecterait les mêmes règles ou principes déontologiques que ses confrères ayant une activité purement libérale. C'est ainsi notamment qu'il serait, comme ses confrères, soumis aux règles du secret professionnel et de la confidentialité des correspondances entre avocats prévues par la loi du 31 décembre 1971. Les manquements aux principes essentiels et les contraventions aux règles professionnelles seraient susceptibles d'entraîner des poursuites disciplinaires. Il serait jugé devant le conseil de discipline des avocats de la cour d'appel selon la même procédure que ses confrères ayant choisi un autre mode d'exercice. Les mêmes peines disciplinaires seraient encourues. Une telle réforme s'accompagnerait de l'intégration de certains juristes d'entreprise à la profession d'avocat. En effet, le changement de statut professionnel ne pourrait être automatique puisqu'il ne s'agit pas d'une fusion entre deux professions réglementées. En dehors des conditions préalables de diplôme et de moralité, le juriste d'entreprise candidat à l'intégration, devrait justifier d'une pratique professionnelle de plusieurs années, à un certain niveau de responsabilité, au sein du service spécialisé et structuré, d'une ou plusieurs entreprises, dans l'intérêt de l'entreprise et non des clients de celle-ci. En définitive, seul un nombre restreint de candidatures pourrait être accepté. Les propositions du groupe de travail permettent aujourd'hui d'envisager ce que pourrait être un statut de l'avocat français, salarié d'entreprise, proche de celui de ses homologues européens. Le rapport remis le 27 janvier dernier suscite des réactions nombreuses et diverses, qui montrent l'intérêt et l'actualité du sujet. La publication de ce document a ouvert une nouvelle phase de dialogue et de concertation qui doit se dérouler, au cours de l'année 2006, sous l'égide de la chancellerie, et qui porte notamment sur les critères d'intégration ou encore sur le statut social et le régime de retraite de « l'avocat exerçant en entreprise ». Pour aboutir, le rapprochement doit être perçu comme avantageux pour les deux communautés professionnelles. Encore une fois, il n'y aura pas de réforme et de rapprochement sans adhésion des professionnels du droit de ce pays à un projet clair et consensuel.

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