Question de Mme BOUMEDIENE-THIERY Alima (Paris - SOC-R) publiée le 05/10/2006

Mme Alima Boumediene-Thiery attire l'attention de M. le Premier ministre sur la situation de nombreuses femmes portant un foulard qualifié d'islamique, qui sont victimes d'actes de discriminations de la part de personnes représentant l'Etat. Qu'il s'agisse d'officiers d'état civil ou de maires ou d'adjoints qui refusent de célébrer un mariage ou une cérémonie d'acquisition de la nationalité française, de membres des préfectures qui refusent de délivrer des titres de séjour ou d'enseignants qui excluent des mères portant un tel foulard lorsqu'elles désirent participer aux excursions et aux activités péri ou extra-scolaires ou qu'elles viennent simplement récupérer leur enfant à la sortie des classes, ce type de discriminations se multiplie. Ces agents de l'État prétextent du principe de laïcité ou de la loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 pour exercer ces discriminations. En conséquence, elle lui demande d'apporter les clarifications réglementaires nécessaires afin que cesse ce type de discriminations.

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Transmise au Ministère de l'intérieur et de l'aménagement du territoire


Réponse du Ministère délégué à l'aménagement du territoire publiée le 15/11/2006

Réponse apportée en séance publique le 14/11/2006

M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, auteur de la question n° 1136, transmise à M. le ministre d'État, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Monsieur le ministre, je ne souhaite pas ici m'appesantir sur l'accroissement du nombre des agressions et des discriminations exercées à l'encontre des femmes portant un foulard, foulard qualifié d' « islamique », mais je veux attirer votre attention sur les discriminations exercées à l'encontre de ces femmes par des personnes titulaires de l'autorité publique.

Je vous rappelle que la loi du 15 mars 2004 détermine un régime légal, détaillé par la circulaire Fillon du 18 mai 2004, et que son champ d'application est supposé ne concerner que les élèves dans les écoles, collèges et lycées.

Or, des fonctionnaires et des élus multiplient les discriminations, en alléguant la loi sur les signes religieux et en l'appliquant partout, en dehors et au sein de l'éducation nationale.

Des officiers d'état civil refusent ainsi de célébrer un mariage au motif que l'un des témoins, ou la future mariée, porte un voile sur la tête tout en laissant apparaître son visage. Il me semblait pourtant que le voile de la mariée était une tradition en France !

À cela s'ajoutent les agents préfectoraux qui refusent d'octroyer ou de renouveler un titre de séjour à des femmes portant le foulard au motif de cette loi sur les signes religieux, et donc d'une non-intégration aux principes républicains. Cela a été le cas à la préfecture de Seine-Saint-Denis.

Ces discriminations exercées par des agents de l'État sont corroborées par les actes de certains maires. Ainsi, le député-maire d'Argenteuil a récemment interdit à une femme, qui portait un foulard, de participer à la cérémonie d'acquisition de la nationalité française. Il est allé jusqu'à alléguer à l'appui de cette fin de non-recevoir le principe de laïcité, qui nécessiterait de s'européaniser et de ressembler à tout le monde.

Je vous suggère de lire la lettre qu'il a envoyée à cette femme en lui opposant des motifs tout à fait illégaux. Savez-vous que la victime de cette discrimination a dû attendre près d'un an entre sa convocation à la délivrance de son décret de naturalisation et sa remise effective ?

Les membres de l'éducation nationale ne sont pas en reste en ce qui concerne la violation du principe d'égalité des usagers devant le service public. Il se développe des pratiques exorbitantes du droit commun qui sont tout à fait illégales.

Ainsi, dans de nombreuses villes, des mères portant un foulard sont exclues des activités périscolaires ou extrascolaires organisées par les établissements où sont scolarisés leurs enfants. Cette exclusion porte à la fois sur la participation à des ateliers, sur la présence aux réunions de parents d'élèves, sur la possibilité de se présenter aux élections du conseil d'école et sur le refus d'accès à l'établissement scolaire ou même aux salles de classes pour récupérer leur enfant à la fin de la journée.

Que ce soit à Aubervilliers, Bobigny, Pantin, Thiais ou ailleurs en France - je pourrais citer plusieurs autres villes -, les exclusions se multiplient. C'est ainsi que plusieurs mères de jeunes enfants, onze à Montreuil et sept à Ivry, ont été exclues des activités ou du conseil de parents d'élèves, qui sont pourtant pour elles, du fait de leur situation sociale, l'une des rares possibilités d'accéder à des activités culturelles avec leurs enfants.

Comme je l'ai dit, la loi du 15 mars 2004 ne concerne pas les parents. Les dispositions de la circulaire Fillon sont explicites. D'ailleurs, le ministre de l'éducation nationale a déclaré publiquement le 9 novembre 2004 que la loi sur les signes religieux à l'école ne devait pas s'appliquer aux « adultes ne faisant pas partie de la communauté éducative », tels que les parents d'élèves et les aumôniers.

Le Premier ministre a insisté pour que cette loi soit respectée. M. Fillon a demandé « qu'on n'aille pas au-delà de la loi et que dans les établissements on ne cherche pas à faire appliquer la loi à des gens à qui elle ne s'applique pas ».

Or, on nous répond que les parents ont le statut de collaborateurs occasionnels du service public dès lors qu'ils participent au service public en accompagnant les classes scolaires. Cet argument est injustement invoqué !

Sur ce point, la loi et la jurisprudence sont claires. Cette assimilation avait pour objet de conférer un avantage : permettre en l'occurrence à un parent accompagnateur d'une sortie scolaire de réclamer à l'État une indemnisation de son préjudice en cas d'accident survenu dans l'exercice de ses fonctions d'accompagnateur scolaire. En aucun cas, cette assimilation ne doit avoir pour objet d'exclure ou de trier de façon sélective les parents d'élèves.

Monsieur le ministre, alors que le Gouvernement s'était engagé à ce que cette loi ne soit pas une loi contre l'islam et les musulmans, et au moment où nous vivons dans notre pays des moments d'une extrême gravité en matière de libertés et de droits fondamentaux, illustrés par le fait que des bagagistes perdent leur accréditation, et donc leur travail, du simple fait de leur pratique religieuse, je vous demande de faire preuve de courage et de fermeté pour faire respecter les engagements pris par votre Gouvernement.

Je vous remercie d'apporter les clarifications réglementaires nécessaires afin que cessent de la part de représentants de l'État des pratiques qui sont indignes de notre démocratie et de notre République.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Christian Estrosi, ministre délégué à l'aménagement du territoire. Madame la sénatrice, vous vous préoccupez d'actes de discrimination dont seraient victimes, de la part d'agents de l'État, d'officiers d'état civil ou d'élus, des femmes porteuses du voile.

La loi du 15 mars 2004 interdit le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics. C'est son seul objet.

Toutefois, vous évoquez trois situations précises : les cérémonies de mariage, les remises de décrets de naturalisation, la situation des mères d'enfants scolarisés.

Lors des cérémonies de remise du décret de naturalisation, le préfet peut être confronté au respect de deux principes garantis, l'un comme l'autre, par la Constitution, mais dont l'application peut entraîner des situations conflictuelles : d'une part, le principe de laïcité, d'autre part, la liberté de conscience, notamment la liberté de croire ou de ne pas croire qui peut se manifester par des signes extérieurs évoquant l'appartenance religieuse.

La Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, la HALDE, a eu d'ailleurs à prendre position sur le cas d'une personne qui, ayant refusé d'ôter son voile, s'était vu interdire l'accès à une cérémonie de remise de décrets de naturalisation. Elle a rappelé à cette occasion que le principe de neutralité s'imposait aux seuls agents du service public et non aux usagers, hormis les cas prévus par la loi de mars 2004.

Dès lors, le ministre d'État, Nicolas Sarkozy, a donné instruction aux préfets de ne pas fonder le refus de participation à une cérémonie d'accueil dans la citoyenneté française au seul motif du port d'un voile, ou de tout autre signe religieux, qui ne suffit pas à caractériser un défaut d'assimilation à la communauté française. Les instructions données par le ministre de l'intérieur vont donc dans votre sens.

Toutefois, cette position n'entame en rien la double obligation qui s'impose aux préfets consistant, d'une part, à s'assurer de l'identité des participants, et, d'autre part, à veiller au respect du bon ordre lors du déroulement de la cérémonie. Il peut donc être demandé à la personne voilée de retirer très momentanément son voile le temps du contrôle de l'identité. En vertu de son pouvoir d'appréciation, le préfet peut aussi prendre des mesures appropriées en cas de menaces de trouble à l'ordre public pouvant être causées par le port du voile.

Les instructions de ministre de l'intérieur sont très claires. Lors d'une cérémonie, le voile ne doit être en aucun cas un élément discriminatoire. Nous devons respecter le souhait de chacun de pouvoir témoigner de son appartenance religieuse, mais il est nécessaire de disposer des moyens de vérifier l'identité.

S'agissant des cérémonies de mariage, je tiens à rappeler que celles-ci obéissent à des règles de forme et de publicité prévues par le code civil à peine de nullité. Ainsi, l'officier d'état civil, mais aussi les témoins et le public doivent être en mesure de s'assurer de l'identité des époux pour pouvoir, le cas échéant, former opposition au mariage. En conséquence, le port du voile par la future épouse ne permettant pas d'identifier celle-ci avec certitude lors de l'échange des consentements n'est pas compatible avec les règles du code civil.

Pour ce qui concerne la délivrance de titres de séjour, le seul fait de porter le voile ne peut constituer un motif de refus suffisant. En principe, les motifs tirés de la religion ou de l'environnement culturel du demandeur ne sont pas considérés, par le Conseil d'État, comme un défaut d'assimilation.

Quant aux règles susceptibles de s'appliquer à la situation des mères d'enfants scolarisées, elles relèvent de la compétence du ministre de l'éducation nationale, qu'il s'agisse de mères voilées qui souhaitent accompagner les enfants dans le cadre d'activités périscolaires ou de mères également voilées qui viennent chercher leurs enfants à la sortie des classes.

Il semble que le parent encadrant une activité périscolaire, placé sous la responsabilité de l'enseignant en charge de la classe, est assimilé à un collaborateur occasionnel du service public, ce qui l'oblige au respect du principe de neutralité que doit observer tout agent public dans le cadre de ses fonctions.

La circulaire du 18 mai 2004, prise en application de la loi du 15 mars 2004, indique que la loi ne modifie pas les règles applicables aux agents du service public. Elle mentionne expressément que « les agents contribuant au service public de l'éducation, quels que soient leur fonction et leur statut, sont soumis à un strict devoir de neutralité qui leur interdit le port de tout signe d'appartenance religieuse [...] ».

M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Il va de soi que nous sommes dans le respect du principe de laïcité consacré par la loi de 1905. Cette loi n'a pas pour objet d'exclure ou de discriminer, mais, au contraire, de respecter toutes les religions dans une égalité de traitement. Or, malheureusement, nous savons que cette réalité a du mal à s'imposer. La HALDE a pourtant donné raison aux familles et aux personnes exclues de certaines cérémonies.

Je vous remercie de bien vouloir rappeler à nos différents agents, de préfecture ou de mairie et à certains élus qu'il ne s'agit que d'un foulard sur la tête et non pas d'un visage caché.

Lors d'une cérémonie de mariage ou de remise de décret de naturalisation, il est bien sûr nécessaire que ce visage soit découvert pour mieux vérifier l'identité de la personne. Je suis tout à fait d'accord avec cela. Le Conseil d'État a bien rappelé que cela ne constituait pas un défaut d'assimilation. Trop souvent, ces personnes sont exclues de manière injuste et illégale.

En ce qui concerne la situation en milieu scolaire, je poserai la question au ministre de l'éducation nationale. Il me semblait toutefois que, selon la jurisprudence, il s'agissait bien d'un avantage et d'une couverture en cas d'accident pour les parents et non pas d'un moyen de sélection.

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