Question de M. DELFAU Gérard (Hérault - RDSE) publiée le 16/11/2006

M. Gérard Delfau attire l'attention de M. le ministre de la culture et de la communication sur la nécessité de donner une place à l'expression de la famille de pensée rationaliste et laïque dans les grilles de programme de l'audiovisuel public, au titre de la liberté de conscience, principe de notre Constitution, de la laïcité, facteur de cohésion et de paix sociales que le Président de la République en personne entend promouvoir, ainsi que du respect et du pluralisme d'expression des courants de pensée. En effet, comme la loi le prévoit, un temps d'antenne est réservé aux émissions confessionnelles et à l'expression « des principaux cultes en France », notamment dans le cadre du service public de la télévision, sans pour autant donner aux familles de pensée rationaliste l'opportunité d'y présenter, à leur tour, leur approche philosophique, alors qu'elles représentent un nombre considérable de Français et qu'elles sont les héritières de ceux qui fondèrent la République sur la base de la séparation des églises et de l'État, en 1905. La laïcité et les valeurs qu'elle porte depuis les Lumières n'a jamais été autant d'actualité : lutte en faveur des droits des femmes et contre toutes les discriminations ; place de l'école publique au coeur du système éducatif ; garantie de la liberté de conscience pour les croyants, comme pour les athées, agnostiques ou indifférents ; affirmation de l'humanisme contre la toute puissance de l'argent. Autant de chantiers urgents et pour lesquels la laïcité demeure facteur de paix civile et d'égalité entre citoyens. Or, le service public de l'audiovisuel est l'un des outils à disposition de la République pour réaffirmer ce rôle central de la laïcité, en donnant la parole à toutes les familles de pensée, sans exception. C'est pourquoi, il lui demande quelles initiatives il compte prendre : projet de loi, recommandations aux chaînes publiques, etc., pour que soit réservé dans l'audiovisuel public un temps d'antenne régulier à l'expression des familles rationalistes et humanistes, au même titre qu'à l'expression des représentants des cultes et religions ?

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Réponse du Ministère délégué à l'aménagement du territoire publiée le 20/12/2006

Réponse apportée en séance publique le 19/12/2006

M. le président. La parole est à M. Gérard Delfau, auteur de la question n° 1166, adressée à M. le ministre de la culture et de la communication, qui est aujourd'hui à Bruxelles.

Ce sera donc M. Christian Estrosi, ministre délégué à l'aménagement du territoire, qui vous répondra, mon cher collègue.

M. Gérard Delfau. Le Gouvernement est un, monsieur le président !

Je souhaite attirer l'attention de M. le ministre de la culture et de la communication sur la nécessité de donner une place à l'expression de la famille de pensée rationaliste et humaniste dans les grilles de programme de l'audiovisuel public, au titre de la liberté de conscience, de la laïcité, principe de notre Constitution, ainsi que du respect du pluralisme d'expression des courants d'opinion.

En effet, comme la loi le prévoit, un temps d'antenne est réservé aux émissions religieuses et à l'expression « des principaux cultes en France », notamment dans le cadre du service public de la télévision, sans pour autant donner aux familles de pensée rationalistes l'opportunité d'y présenter, à leur tour, leur approche philosophique, alors qu'elles représentent un nombre considérable de Français et qu'elles sont les héritières directes de ceux qui fondèrent la République sur la base de la séparation des Églises et de l'État, en 1905.

La laïcité - et les valeurs qu'elle porte depuis les Lumières - n'a jamais été autant d'actualité : lutte en faveur des droits des femmes et contre toute forme de discrimination, place de l'école publique au coeur du système éducatif, garantie de la liberté de conscience pour les croyants, comme pour les athées, agnostiques ou indifférents, affirmation de l'humanisme contre la toute-puissance de l'argent sont autant de chantiers urgents et pour lesquels la laïcité demeure facteur de paix civile, de non-discrimination et d'égalité entre citoyens.

Or le service public de l'audiovisuel est l'un des outils à la disposition de la République pour réaffirmer ce rôle central de la laïcité, en donnant la parole à toutes les familles de pensée, sans exception. C'est pourquoi je demande quelles initiatives, par le biais d'un projet de loi, de recommandations aux chaînes publiques ou par tout autre biais, M. le ministre de la culture et de la communication compte prendre pour que soit réservé dans l'audiovisuel public un temps d'antenne régulier à l'expression des familles rationalistes et humanistes, en somme à toutes les formes de libre pensée, au même titre qu'à l'expression des représentants des cultes et religions.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Christian Estrosi, ministre délégué à l'aménagement du territoire. Monsieur le sénateur, permettez-moi d'abord de vous transmettre les excuses de mon collègue Renaud Donnedieu de Vabres, qui est retenu ce matin à Bruxelles pour la promulgation, avec le président de la Commission européenne, de la charte pour la diversité.

Vous évoquez dans votre question l'une des propositions formulées dans le rapport, datant de 2003, de la commission présidée par M. Bernard Stasi, proposition qui visait à « donner aux courants libres penseurs et humanistes rationalistes un accès équitable aux émissions télévisées de service public ».

Certains programmes de l'audiovisuel public apportent une réponse satisfaisante à la question que vous soulevez. À titre d'exemple, France Culture permet ainsi l'expression des différents courants agnostiques, athées, rationalistes ou maçonniques dans le cadre de son émission hebdomadaire Divers aspects de la pensée contemporaine.

Comme vous le rappelez, la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication fait obligation, en son article 56, à la société France 2 de programmer le dimanche matin des émissions à caractère religieux. Ces émissions sont réalisées sous la responsabilité des représentants des cultes.

Ne peuvent prétendre au bénéfice de cette disposition que les « principaux cultes pratiqués en France ». Or, selon la jurisprudence constante du Conseil d'État, la pensée rationaliste ne peut être considérée comme en faisant partie.

Une modification de la loi serait donc nécessaire pour accéder à votre proposition et accorder un temps d'antenne régulier à l'expression des familles rationalistes et humanistes.

Si nous partageons bien naturellement votre attachement à la laïcité, nous estimons qu'une telle modification soulèverait d'importantes difficultés.

Cette proposition pose d'abord des problèmes pratiques considérables. Le nombre de courants de pensée se rattachant à l'expression rationaliste et humaniste est en effet beaucoup trop important pour que les chaînes publiques, compte tenu de leurs impératifs de programmation, puissent leur accorder à tous des temps d'émission égaux.

Cette proposition pose ensuite des problèmes juridiques très difficiles tenant à la définition précise de ces courants de pensée permettant d'en réglementer l'accès aux antennes, à supposer la première difficulté résolue.

C'est pour ces raisons que, depuis 1986, le caractère pluraliste des courants de pensée et d'opinion est garanti par d'autres moyens. En dehors, naturellement, des dispositions spécifiques permettant l'expression des formations politiques et des organisations syndicales et professionnelles, la réglementation actuelle renvoie à la responsabilité éditoriale des chaînes publiques le soin d'assurer le respect de l'expression du caractère pluraliste des courants de pensée.

Il s'agit donc non pas d'imposer la diffusion de tels programmes produits sous la responsabilité de tiers, mais de veiller au respect de cette expression au nom de la programmation naturelle de ces chaînes, sous leur responsabilité et sous le contrôle du Conseil supérieur de l'audiovisuel, instance de régulation indépendante.

M. le président. La parole est à M. Gérard Delfau.

M. Gérard Delfau. Monsieur le ministre, si j'ai choisi de vous interpeller ce matin à propos du respect du pluralisme dans l'audiovisuel public, c'est non seulement pour attirer votre attention sur le fait que ce principe ne reçoit pas sa pleine application, mais aussi parce que le grand maître du Grand Orient de France, qui, parmi d'autres, est à l'origine de cette interrogation, s'est, comme vous préconisez de le faire dans votre réponse, déjà adressé en décembre 2005 au président de France Télévisions, M. de Carolis, mais n'a pu, malgré des courriers répétés, obtenir de réponse que le 4 octobre 2006.

Il a donc fallu, et je le regrette, pratiquement un an pour que le responsable de la chaîne publique daigne répondre à cette requête alors que cette dernière émanait d'une structure dont la représentativité est unanimement reconnue. Je pense d'ailleurs que, s'il y a finalement eu une réponse, c'est parce qu'entre-temps le ministre de culture et de la communication a manifesté, par une démarche adéquate, le souhait qu'il y en ait une.

Ma question vise à pousser un peu plus loin le débat. Au passage, il me paraît particulièrement opportun de vous la soumettre alors qu'est aujourd'hui promulguée une charte de la diversité à l'échelle européenne, qui trouvera sans doute là l'une de ses possibles applications.

Je me fonderai sur deux éléments : le premier, c'est la recommandation du rapport Stasi, qui est souvent repris dans ses grandes lignes, par le Gouvernement notamment ; le second, c'est que cette question, comme vous l'avez dit vous-même, a déjà reçu un début de réponse dans le cadre de France Culture.

Notre préoccupation, monsieur le ministre, est que France 2 puisse offrir le même pluralisme à cette famille de pensée. Or, puisque c'est possible dans le cadre de France Culture, c'est forcément possible dans le cadre de la chaîne publique de télévision ! Je n'argumenterai pas davantage, mais les problèmes d'organisation et les aspects juridiques que vous évoquez ne sauraient entraver l'application du principe de laïcité et de liberté des consciences, principe qui s'étend à l'ensemble des Français, qu'ils soient agnostiques, athées, indifférents ou croyants.

Votre réponse, vous vous en doutez, monsieur le ministre, ne me satisfait pas, et je pense que la solution relève non pas de la loi, mais d'un consensus qui doit être mis en oeuvre à partir d'une discussion largement conduite. Je reviendrai donc sur ce dossier, car il me semble que, sur ce plan au moins, notre démocratie reste imparfaite.

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