Question de Mme BEAUFILS Marie-France (Indre-et-Loire - CRC) publiée le 13/09/2007

Mme Marie-France Beaufils attire l'attention de M. le secrétaire d'État chargé des transports sur les conséquences de la fermeture de 262 gares au trafic fret en wagon isolé à compter du 30 novembre prochain. Avec cette décision unilatérale 1 400 000 camions supplémentaires seraient mis sur les routes. Elle rappelle les engagements du Président de la République d'augmenter de 25% en cinq ans la part du transport fret non routier. Elle souligne que la Cour des comptes a relevé, elle aussi, l'écart entre les déclarations politiques répétées ces dernières années sur le fret et les actes. Elle souhaite connaître les intentions concrètes du Gouvernement pour répondre aux demandes des chargeurs, des cheminots et des élus mais aussi de la population qui exige le respect de nos engagements internationaux en matière d'environnement.

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Réponse du Secrétariat d'État aux transports publiée le 10/10/2007

Réponse apportée en séance publique le 09/10/2007

M. le président. La parole est à Mme Marie-France Beaufils, auteur de la question n° 30, adressée à M. le secrétaire d'État chargé des transports.

Mme Marie-France Beaufils. Monsieur le secrétaire d'État, en décembre dernier, au moment de sa prise de fonctions en tant que nouveau directeur de la branche fret de la SNCF, M. Marembaud annonçait le lancement du programme « Rendez le sourire à nos clients ».

Malheureusement, aujourd'hui, les chargeurs que j'ai rencontrés auraient plutôt tendance à « rire jaune ». Les PME se sentent particulièrement visées par cette décision, dont la mise en place est prévue au 30 novembre prochain. « Ce gouvernement déclare qu'il veut aider les PME, mais qui va subir la disparition des wagons isolés, si ce ne sont les PME elles- mêmes ? », me confiait l'un des professionnels concernés installé sur notre commune.

En mai dernier, une entreprise de logistique, Geodis, appartenant au groupe SNCF et installée à Saint-Pierre-des-Corps, a fait refaire son embranchement. Son client a négocié des tarifs avec la SNCF à partir de l'Allemagne, pour que son fournisseur l'approvisionne. Or il n'y a que quelques jours qu'il a appris la fermeture de la gare de triage. Le choix du client était pourtant clair, celui du transport écologiquement correct.

Monsieur le secrétaire d'État, l'heure est grave : cette affaire ne peut être traitée à la légère, car c'est la vie de nos entreprises qui est en jeu.

Je partage l'indignation des clients de la SNCF ainsi concernés. Vous pouvez le constater comme moi, au regard de la carte de restructuration du fret, seule la grande région Est, où sont concentrées les industries importantes, serait préservée. Dans le grand Ouest, c'est le grand vide, là même où l'économie repose sur le dynamisme des petites et moyennes entreprises. Avant d'avoir à déplorer la désindustrialisation de notre région, il serait bon de préserver les principales dessertes ferroviaires. C'est ce que je vous demande, au nom des chefs d'entreprises concernés.

La colère gronde chez les salariés, les chargeurs, mais aussi parmi les citoyens, et vous ne pouvez l'ignorer. Aussi la demande d'un moratoire me semble absolument justifiée. J'espère que vous y répondrez favorablement.

La gare de triage de Saint-Pierre-des-Corps pourrait devenir le grand hub manquant sur ce territoire, car c'est un point stratégique pour les grandes circulations nord-sud, ainsi que sur l'axe ouest-est. Elle soulagerait également la région parisienne, fortement encombrée par la densité du trafic de marchandises et de voyageurs.

Cette gare peut devenir, avec le projet de nouvelle autoroute ferroviaire, en doublement de la ligne à grande vitesse Sud Europe Atlantique, le site complémentaire permettant de désengorger l'autoroute A10, qui est proche de la saturation.

Avec le plan Véron, 1 500 000 camions ont été transférés sur les routes entre 2004 et 2006. La disparition de 262 gares, dont 60 gares dans la seule région Centre, ferait basculer sur notre seul département d'Indre-et-Loire 26 000 camions supplémentaires. Dire, comme j'ai pu l'entendre, que le wagon isolé ne représenterait pas grand-chose, est un non-sens : ce sont des centaines d'entreprises et des milliers de salariés qui sont concernés. Sur tout le grand Ouest, des milliers d'habitants subiraient l'augmentation des nuisances autoroutières.

Monsieur le secrétaire d'État, vous savez que les difficultés rencontrées par le fret résultent, pour une bonne part, du mauvais état de nos infrastructures, et vous connaissez comme moi les résultats de l'audit réalisé, l'an dernier, par un cabinet suisse. C'est bien dans le sens de la rénovation des lignes qu'il faut oeuvrer si l'on veut que l'outil ferroviaire soit adapté et réponde aux besoins de nos entreprises et de notre économie.

Comment accepter qu'une telle mesure de fermeture massive soit prise sans attendre les propositions du Grenelle de l'environnement dans le domaine des transports ? Comment comprendre une telle décision alors que le Président de la République s'est lui-même engagé à ce que le fret non routier augmente de 25 % en cinq ans ?

Je vous demande, monsieur le secrétaire d'État, d'intervenir auprès de la SNCF pour qu'elle revoie sa copie dans l'intérêt de notre développement économique régional, et de décider la mise en place d'un moratoire afin que nous puissions engager les discussions sur les réponses à apporter aux entreprises.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État chargé des transports. Vous avez eu raison, madame le sénateur, de rappeler l'engagement pris par le Président de la République. Nous souhaitons en effet la mise en place d'une meilleure intermodalité, ou comodalité, dans les années à venir, avec l'objectif très précis d'une augmentation de 25 % du fret non routier.

Le report du fret routier doit bénéficier à d'autres modes de transport, en l'occurrence le transport maritime, c'est-à-dire les autoroutes de la mer, le transport fluvial, là où c'est possible, et le transport ferroviaire.

Or nous nous heurtons à une grave difficulté depuis quelques années, difficulté qui n'est pas liée qu'aux infrastructures : la mauvaise situation de notre fret ferroviaire.

En Europe, dans tous les pays qui nous entourent, le fret ferroviaire gagne actuellement des parts de marché : en Grande-Bretagne, dont on s'est beaucoup moqué après la réforme rapide et brutale de ce secteur entreprise par Mme Thatcher, mais aussi en Espagne et en Allemagne. En France, en revanche, il perd des parts de marché depuis des années, quels que soient les gouvernements et les ministres en place. Même ceux qui annonçaient la réalisation de grands objectifs, comme M. Gayssot, n'ont pu les tenir. (M. René-Pierre Signé proteste.)

Le secteur étant libéralisé depuis 2006, la SNCF se trouve en concurrence avec d'autres groupes, en l'occurrence cinq opérateurs privés. Vous connaissez bien ce sujet en tant que maire de Saint-Pierre-des-Corps, madame le sénateur.

La SNCF continue d'assurer 95 % environ du trafic ferroviaire, même si les opérateurs privés - dont certains partent de Marseille pour relier les grands ports, n'est-ce pas, monsieur le président ! - jouent un rôle de plus en plus important.

Par ailleurs, parmi les 262 gares appelées à fermer, et dont un grand nombre se trouvent en région Centre, mais aussi dans ma région Poitou-Charentes, voisine de la vôtre, certaines n'accueillaient plus le moindre trafic depuis longtemps. Il faut le dire, même si cela ne justifie pas tout ! On ne peut pas demander à la SNCF de continuer à tracter des wagons à perte !

Je comprends très bien que la SCNF considère, comme la Deutsche Bundesbahn, que le transport ferroviaire, qui, selon le mot célèbre de Louis Armand, « s'il survit au vingtième siècle, sera le mode de transport du vingt et-unième siècle », convient surtout au trafic massifié.

Le trafic du port de Hambourg, par exemple, est assuré aujourd'hui à 50 % par le trafic ferroviaire, ce qui en fait le port européen dont le développement est le plus fort, avant ceux du range nord, Anvers et Rotterdam, alors qu'au Havre, ce trafic est d'à peine 10 %.

Il s'agit d'un problème de fonctionnement global de notre système ferroviaire. Les grandes compagnies ferroviaires doivent se regrouper et s'organiser sur le trafic massifié. Les Allemands commencent à envoyer des trains en Russie ou en Chine - ce mode de transport étant plus rapide que le fret maritime -, car ils comprennent l'intérêt de la longue distance.

J'en viens au problème des wagons isolés.

Deux cas peuvent se présenter : soit la SNCF trouve des solutions alternatives, au cas par cas, lorsque surviennent des difficultés telles que celles que vous avez citées à propos de Saint-Pierre-des-Corps, et nous l'encourageons en ce sens ; soit nous mettons en place, comme cela vient d'être fait de manière expérimentale dans votre région - j'ai signé récemment un protocole de partenariat à Orléans, le 26 septembre 2007 -, des opérateurs ferroviaires de proximité. Ces opérateurs de proximité peuvent être soit une organisation spécifique de la SNCF ou de l'une de ses filiales, soit d'un opérateur autonome, une entreprise, une chambre de commerce, un port, un établissement public de l'État ou bien encore des coopératives agricoles qui, rencontrant un problème d'acheminement, décident de se regrouper.

En Allemagne, si la Deutsche Bundesbahn réussit à assurer un trafic d'une telle densité, c'est grâce aux 300 opérateurs locaux de proximité qui l'aident à assurer cette mission.

Si, aux États-Unis, le trafic ferroviaire, qui s'était effondré, est redevenu aujourd'hui le premier mode de transport sur le continent nord-américain entre le Canada, le Mexique et les États-Unis, c'est grâce à l'existence, à côté des grandes compagnies ferroviaires, de short lines, de petits opérateurs regroupés qui assurent le trafic local.

Je suis donc favorable à la création d'opérateurs ferroviaires de proximité, comme celui que vous avez mis en place dans la région Centre, madame le sénateur, principalement tourné vers le trafic céréalier et engagé par les coopératives agricoles.

Il n'y a pas de raison que ne soit pas mis en place un tel opérateur local sur un site de fret ferroviaire historiquement aussi important que celui de Saint-Pierre-des-Corps, en collaboration avec la chambre de commerce, mais également d'autres acteurs, comme la municipalité, comme la communauté d'agglomération du Grand Tours. Cet opérateur assurera le trafic de proximité, les grands opérateurs massifiant ensuite le trafic, ce qui fera gagner des parts de marché.

Je préfère un wagon non siglé SNCF sur le rail qu'un camion, même appartenant à une filiale de la SNCF, sur les routes. C'est dans ce sens que nous souhaitons mener cette réforme.

M. René-Pierre Signé. C'est pour cela que l'on ferme les gares !

M. le président. La parole est à Mme Marie-France Beaufils.

Mme Marie-France Beaufils. J'ai bien entendu vos propos, monsieur le secrétaire d'État, mais je souhaite vous répondre sur plusieurs points.

Premièrement, l'opérateur Proxirail, qui doit être mis en place à Orléans, ne sera opérationnel que dans le cours du premier trimestre 2008. Or il existe une date butoir, la SNCF ayant prévenu qu'elle arrêtait le trafic de proximité le 30 novembre 2007. Il y a donc un problème ! C'est pour cette raison, et afin de pouvoir travailler sur ces questions, que je vous demande de lancer un moratoire.

Deuxièmement, vous avez dit que les opérateurs locaux de proximité étaient destinés aux petites distances. Or, dans les exemples que j'ai pris, les wagons isolés ne servent pas à assurer le trafic sur de petites distances !

Ainsi, le groupe Geodis, qui assure essentiellement, vous le savez, des activités de fret par camion, devait permettre d'utiliser la pleine capacité du groupe ferroviaire en remettant en service une complémentarité rail-route en association avec un fournisseur allemand : on devait donc travailler avec deux réseaux ferrés à l'intérieur de l'Europe. Ce dispositif est désormais rendu caduc par la décision de suppression du triage à la gare de Saint-Pierre-des-Corps. Ces décisions sont incompréhensibles, et la mise en place d'un opérateur de proximité ne constitue en aucun cas une réponse appropriée.

Je rappelle par ailleurs que, si le trafic ferroviaire s'est amélioré en Grande-Bretagne, c'est parce que ce pays a décidé d'augmenter les crédits destinés à la remise en état des infrastructures, qui en avaient bien besoin.

Dans un article paru dans Les Échos à la suite de l'inauguration de Proxirail, on a pu lire : « La montée en puissance de Proxirail va néanmoins nécessiter la remise à niveau de l'infrastructure ferroviaire. Hubert Dumesnil a reconnu hier que, sur les 600 kilomètres de voies dédiés au fret dans la région, une partie est menacée en raison de leur dégradation ».

La mise en place d'un opérateur de proximité ne résout donc en rien la question posée. Il s'agit surtout, pour le moment, de préparer le retrait de la SNCF de l'activité de fret, alors que l'on sait très bien que c'est elle qui va fournir l'ensemble de la logistique nécessaire au démarrage de Proxirail, tant en personnel qu'en matériel.

On assiste donc au démantèlement de la SNCF en termes d'outils de transport ferroviaire, sans qu'aucune réponse soit apportée aux entreprises de notre grande région. On s'aperçoit même, en regardant les cartes, que la solution du rail a été complètement exclue de cette région.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État. Je tiens, tout d'abord, à préciser à Mme Beaufils que le projet Proxirail comprend également la rénovation des infrastructures puisque le contrat de plan signé entre l'État et la région Centre concerne des engagements qui doivent être tenus dès l'année prochaine. Nous allons consacrer des moyens financiers importants à la rénovation d'un certain nombre de lignes dans les étoiles ferroviaires de Blois, Tours et Orléans, afin de les adapter au trafic de fret. Vous savez comme moi, madame le sénateur, en tant qu'ancien membre du conseil d'administration de la SNCF, que les contraintes de sécurité ne sont pas les mêmes sur les voies dédiées au fret et sur celles réservées au trafic voyageurs.

S'agissant ensuite de l'affaire entre la SNCF et Geodis, j'ai envie de dire, si vous me le permettez : que les entreprises la règlent entre elles ! Geodis étant une filiale de la SNCF, elles doivent être capables de se parler. Je rappelle que le directeur général de Geodis siège au sein du comité exécutif de la SNCF, sous la présidence de Mme Idrac.

J'en viens enfin à la gare de Saint-Pierre-des-Corps. La région Centre électrifie, avec le concours de l'État, la voie reliant Saint-Pierre-des-Corps et Vierzon. Ainsi la totalité de l'axe est-ouest sera-t-il électrifié.

Comme je l'ai indiqué lors du Grenelle de l'environnement, je suis partisan de la construction, en plus de l'autoroute ferroviaire qui passera à Saint-Pierre-des-Corps dans le sens nord-sud, en utilisant la voie actuelle Paris-Bordeaux, d'une autre autoroute ferroviaire dans le sens ouest-est, reliant les ports de Nantes et Saint-Nazaire à la région lyonnaise en transitant par Saint-Pierre-des-Corps.

Cette étoile d'autoroutes ferroviaires sera tout à fait utile pour le développement du triage et des installations ferroviaires de votre ville, madame le sénateur.

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