Question de M. MULLER Jacques (Haut-Rhin - SOC-R) publiée le 20/09/2007

M. Jacques Muller attire l'attention de M. le ministre d'État, ministre de l'écologie, du développement et de l'aménagement durables, sur l'urgence de la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim. La plus vieille centrale de France est construite sur une faille active, en plein milieu de la zone sismique du Rhin supérieur, alors qu'elle ne répond pas aux normes en vigueur en matière de résistance aux séismes, mettant ainsi en danger la vie de millions de personnes en France, en Allemagne, en Suisse et dans le reste de l'Europe. Ne répondant pas non plus aux obligations de la nouvelle loi sur l'eau, la centrale de Fessenheim est en proie à des incidents à répétition qui traduisent sa vétusté et compromettent définitivement sa rentabilité économique. Ce prototype qui entre dans sa trentième année de vie, produit désormais à perte et ne représente qu'à peine 3% de la production électrique nucléaire française. Il lui demande donc de procéder au plus vite à la fermeture de cette centrale en fin de vie et propose d'en faire un site pilote, un laboratoire de recherche et de développement pour acquérir les savoir-faire nécessaires dans un avenir proche pour le démantèlement et le traitement des centrales nucléaires en fin de vie.

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Réponse du Secrétariat d'État chargé de l'écologie publiée le 24/10/2007

Réponse apportée en séance publique le 23/10/2007

M. le président. La parole est à M. Jacques Muller, auteur de la question n° 43, adressée à M. le ministre d'État, ministre de l'écologie, du développement et de l'aménagement durables.

M. Jacques Muller. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, le Grenelle de l'environnement aborde sa phase finale. Or je regrette profondément que ses travaux aient été amputés du débat de fond nécessaire sur le nucléaire civil français, qui était attendu par nos concitoyens.

Cela étant, je souhaite vous interpeller directement, madame la secrétaire d'État, au sujet de la centrale nucléaire de Fessenheim.

Âgée de plus de trente ans, elle est la plus ancienne de France et pèse moins de 3 % de la production d'électricité nucléaire. Il s'agit d'un prototype devenu obsolète : ses deux réacteurs ont connu, et connaissent encore, des incidents multiples, dont l'un des plus graves a été la contamination de douze membres du personnel en janvier 2004.

Les indisponibilités qui en ont résulté ont entraîné entre 1999 et 2002 un manque à gagner de 278 millions d'euros, auquel il convient d'ajouter 200 millions d'euros pour le coût des visites décennales réalisées ces deux années-là. Une rallonge de 100 millions d'euros supplémentaires est prévue pour les visites décennales de 2009 et de 2010.

C'est devenu un secret de polichinelle : la centrale de Fessenheim n'est plus rentable. Par ailleurs, elle n'est plus en conformité avec les réglementations française et européenne sur l'eau. Elle n'est pas non plus conforme aux normes actuelles de résistance sismique, alors qu'elle est bâtie sur une faille active, dont la dangerosité a été rappelée par vingt et un experts internationaux engagés dans l'étude Pegasos.

En outre, les mesures de protection présentent des insuffisances préoccupantes. Je pense au risque de rupture de la digue du grand canal d'Alsace en contrebas duquel elle se situe ou au risque de chute, accidentelle ou provoquée, d'avions commerciaux très gros porteurs comme l'A380, qui n'avait pas été envisagée dans les scénarios de sécurité initiaux.

Rentabilité douteuse, questions de sécurité toujours en suspens, le dossier de la centrale nucléaire de Fessenheim a réussi à faire exploser les clivages politiques en Alsace. Ainsi, cent quarante-six élus alsaciens ont signé en 2006 un appel à la fermeture immédiate de la centrale nucléaire de Fessenheim. Je souligne que cet appel regroupait non seulement des élus sans étiquette, des centristes, des socialistes et des Verts, mais aussi des membres de la majorité présidentielle. Parmi ces derniers, figurait le défunt Charles Haby, député-maire honoraire UMP et président honoraire du conseil général du Haut-Rhin, qui fut le président du premier comité local d'information et de suivi, ou CLIS, de Fessenheim.

Certains signataires sont favorables à une relance du nucléaire en France à travers le programme EPR ; d'autres s'y opposent. Quoi qu'il en soit, tous se sont rassemblés pour parler d'une seule voix : le temps de la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim est arrivé.

Fermer la centrale ne signifie pas fermer le site de Fessenheim, bien au contraire ! En effet, en France, il y a cinquante-huit réacteurs nucléaires, répartis sur dix-neuf sites. Toutes ces centrales devront être un jour fermées et démantelées, et les sites correspondants traités.

Aujourd'hui, nous ne maîtrisons pas cette technologie et ces savoir-faire. Si nous n'anticipons pas, nous serons conduits à importer l'ingénierie nécessaire, notamment d'Allemagne. Laisserons-nous, comme pour les énergies renouvelables, se creuser un retard technologique vis-à-vis de nos voisins, qui serait coûteux en devises et en emplois qualifiés ?

Madame la secrétaire d'État, je vous invite solennellement à entendre l'appel des élus alsaciens. Dépassons les clivages politiques ! Dépassons les clivages pro ou anti-nucléaires ! La prise en compte objective des considérations économiques et de sécurité nous invite à fermer rapidement la centrale de Fessenheim et à la reconvertir en un site pilote.

Êtes-vous prête à saisir l'opportunité de faire de Fessenheim un pôle de recherche-développement de hautes technologies qui permettra à la France d'acquérir les savoir-faire indispensables au démantèlement et au traitement des centrales nucléaires en fin de vie ?

Je souligne qu'il n'en va pas seulement du maintien d'une activité économique durable sur ce site reposant sur des emplois qualifiés : l'acquisition de tels savoir-faire doit permettre à la France de développer une ingénierie de pointe, parfaitement exportable dans un avenir proche compte tenu de l'étendue et de l'âge du parc nucléaire mondial.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État chargée de l'écologie. Monsieur le sénateur, le contrôle de la centrale nucléaire de Fessenheim est assuré par l'Autorité de sûreté nucléaire, l'ASN, qui est une autorité administrative indépendante.

Comme les autres centrales nucléaires françaises, la centrale de Fessenheim a été conçue et construite pour faire face, sans remettre en cause sa sûreté, aux effets d'un séisme d'une intensité supérieure au plus important séisme connu dans la région, celui de Bâle en 1356. La méthode de détermination des séismes à prendre en compte est décrite dans une règle fondamentale de sûreté édictée par l'ASN, règle qui évolue en fonction du progrès des connaissances.

Lors des réexamens de sûreté décennaux, de nombreuses vérifications sont conduites par EDF et évaluées par l'ASN. C'est d'ailleurs à la suite de ces examens que l'ASN a demandé à EDF de renforcer ou de modifier certains matériels ou structures afin d'assurer la cohérence, par rapport non pas à la règle de base mais à la règle actualisée en fonction des nouvelles connaissances. Lors du prochain réexamen de sûreté décennal des réacteurs, à partir de 2009, ce sujet sera à nouveau abordé.

Le risque sismique a donc fait et continue de faire l'objet d'une attention très soutenue.

Les prélèvements d'eau et les rejets d'effluents de la centrale nucléaire de Fessenheim sont autorisés et réglementés par des arrêtés préfectoraux et ministériels pris en 1972, en 1974 et en 1977, soit antérieurement à la publication de la loi sur l'eau du 3 janvier 1992. À cet égard, en vertu du paragraphe II de l'article L. 214-6 du code de l'environnement, « les installations, ouvrages et activités déclarés ou autorisés en application d'une législation ou réglementation relative à l'eau antérieure au 4 janvier 1992 sont réputés déclarés ou autorisés en application des dispositions [de ce code] ».

Ainsi, les rejets d'effluents liquides de la centrale de Fessenheim sont juridiquement compatibles avec les exigences de la loi sur l'eau, même si, je vous le concède, monsieur le sénateur, la réponse sur ce point n'est pas totalement satisfaisante.

Les écarts d'exploitation, mêmes minimes par rapport aux spécifications techniques, font l'objet de déclarations auprès de l'ASN. Vous connaissez bien ce système, qui est en place depuis deux ans. Ainsi, ils sont classés de 0 à 7, selon une échelle internationale des incidents nucléaires. Tous les événements classés au niveau 1 et au-delà font l'objet de la publication systématique d'un avis d'incident sur le site Internet de I'ASN. C'est un grand progrès dans la transparence en matière de nucléaire.

D'une manière générale, le nombre d'événements significatifs pour la sûreté n'est pas, à lui seul, un indicateur pertinent du niveau de sûreté. C'est un indicateur parmi d'autres.

L'ASN estime que l'état matériel de la centrale de Fessenheim est aujourd'hui globalement satisfaisant. Elle réalise actuellement une série d'inspections sur ce sujet.

À ce jour, aucune considération de sécurité ne justifie une prochaine fermeture. Néanmoins, ce n'est qu'à l'issue de la troisième visite décennale de la centrale en 2009 que l'ASN donnera un avis sur la possibilité de poursuivre l'exploitation de la centrale au-delà de trente ans.

Par ailleurs, je tiens à souligner que l'exploitation de la centrale de Fessenheim participe de manière effective à la satisfaction des besoins en électricité du pays, et que ses performances sur les dernières années en termes de disponibilité, de production annuelle ne conduisent pas à la différencier des autres centrales nucléaires du parc d'EDF.

Enfin, pour répondre à votre question sur l'éventuelle reconversion du site de Fessenheim, monsieur le sénateur, l'État n'a pas identifié de besoin supplémentaire en termes de centre de recherche et de développement pour le démantèlement d'installations nucléaires, même si la question du démantèlement et de ses conditions se pose.

En tout état de cause, il appartiendra à EDF de décider de l'opportunité de faire du site de Fessenheim un site pilote pour les opérations de démantèlement. Celles-ci sont, en effet, à la charge d'EDF, comme le prévoit l'article 20 de la loi du 28 juin 2006 de programme relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs.

M. le président. La parole est à M. Jacques Muller.

M. Jacques Muller. Je vous remercie, madame la secrétaire d'État, de vos réponses, notamment en matière de sécurité.

Je souhaite insister sur la question économique.

Au moment où je vous parle, les deux tranches de Fessenheim sont une nouvelle fois arrêtées. Le manque à gagner est de 300 000 euros par jour, sans compter les charges exceptionnelles et courantes.

Entre septembre 2006 et octobre 2007, soixante-trois incidents ont officiellement été enregistrés. L'opinion publique alsacienne, qui apprend régulièrement en lisant la presse que la centrale est arrêtée, se demande très clairement si son maintien en activité ne relève pas d'une forme d'« acharnement thérapeutique » !

Pourquoi chercher à maintenir en fonctionnement une centrale qui, manifestement, est régulièrement en panne ? Certes, la situation n'est pas dramatique sur le plan sismique, mais ces arrêts à répétition posent franchement problème.

Si l'on continue dans cette voie, c'est peut-être pour une autre raison. À la veille du grand lancement du programme EPR français se pose la question du coût réel du nucléaire. Le prix de l'électricité, aujourd'hui, intègre-t-il effectivement le coût réel, c'est-à-dire le coût non seulement des déchets, mais aussi du démantèlement et du traitement de tels sites ?

Fermer une usine de chaussures, par exemple, n'est pas très compliqué. En revanche, fermer définitivement une centrale nucléaire induit des coûts.

Je rappelle que, aujourd'hui, EDF provisionne officiellement pour 12 milliards d'euros le démantèlement de centrales alors que l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques chiffrait les provisions nécessaires à 100 milliards d'euros.

Comme l'écrivait le président de la commission des finances, M. Jean Arthuis, dans un rapport de 2005, « les comptes d'EDF ne sont pas sincères » !

Le maintien sous perfusion de cette centrale me met mal à l'aise. J'ai l'impression qu'on ne veut pas regarder en face le coût du traitement de cette technologie. Or, d'un point de vue strictement économique, nous aurions intérêt à anticiper.

À l'heure actuelle, l'Alsace accuse un certain retard sur le plan des énergies renouvelables en termes de matériaux. Notre région est à la pointe du développement des énergies renouvelables. Pourtant, nous allons acheter notre matériel en Allemagne.

Demain, je crains que la France, une fois de plus, n'aille acquérir sa technologie à l'étranger alors que nous disposerions de conditions objectives pour nous lancer.

C'est à vous, madame la secrétaire d'État, de convaincre EDF, car vous avez bien sûr plus de poids que moi !

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État. C'est un débat sans fin et dans lequel je ne veux pas entrer que la question des coûts du démantèlement de telles structures et de leur intégration.

Je dirai néanmoins un mot sur votre remarque, monsieur le sénateur, ainsi que sur les inquiétudes des Alsaciens dont vous vous faites l'écho.

Je conçois qu'il soit troublant de voir la centrale arrêtée, et je comprends que cela suscite des interrogations. C'est le revers normal de la médaille des progrès qui ont été faits en matière de transparence : on communique maintenant beaucoup mieux sur les petits incidents du quotidien, lesquels peuvent inquiéter la population ; cette dernière, en effet, ne dispose pas forcément de tous les éléments techniques nécessaires pour en comprendre les tenants et les aboutissants, voire le caractère banal.

En ce qui concerne les énergies renouvelables, notre position de chef de file en matière de nucléaire qui, je le crois, constitue un avantage économique et écologique ne doit pas nous empêcher ni nous interdire de rechercher une position dominante en matière d'énergies renouvelables, bien au contraire !

C'est en fait une responsabilité qui doit nous amener à vouloir en relever d'autres, d'autant qu'il existe des synergies en matière de recherche entre les différentes technologies.

On le sait, ce sont les laboratoires du Commissariat à l'énergie atomique qui sont, par exemple, les meilleurs en matière d'énergie solaire en France.

L'un des objectifs du Grenelle de l'environnement est de rechercher cette position de chef de file en matière d'énergies renouvelables entre demain et le jour suivant.

Il me semble que le Gouvernement sera en mesure de faire des propositions extrêmement intéressantes de ce point de vue.

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