Question de M. FAUCHON Pierre (Loir-et-Cher - UC-UDF) publiée le 13/12/2007

M. Pierre Fauchon a l'honneur d'attirer l'attention de Mme la ministre de la culture et de la communication sur l'article 73 bis de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et aux responsabilités locales par lequel, à l'unanimité, le Sénat a posé le principe d'une politique systématique de prêt par l'État « aux musées relevant des collectivités territoriales, pour des durées déterminées, des oeuvres significatives provenant de ses collections ». Le même texte stipule que « le Haut Conseil des musées de France, régulièrement informé de cette opération, procède à son évaluation, tous les deux ans, par un rapport adressé au ministre chargé de la culture, qui en transmet des conclusions au Parlement ». Il souhaite connaître les résultats de la première période biennale de cette opération et, plus particulièrement, que le Sénat ait communication du rapport d'évaluation établi par le Haut Conseil des musées de France. À cette occasion, il la prie de bien vouloir informer le Sénat des circonstances dans lesquelles a été conçu et s'exécute le projet de création dans la ville de Lens d'une extension du musée du Louvre.

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Réponse du Secrétariat d'État chargé de la fonction publique publiée le 16/01/2008

Réponse apportée en séance publique le 15/01/2008

M. le président. La parole est à M. Pierre Fauchon, auteur de la question n° 124, adressée à Mme la ministre de la culture et de la communication.

M. Pierre Fauchon. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, ma question vise à faire le point sur la politique de prêt des oeuvres d'art détenues par l'État - essentiellement le Louvre, disons-le - en faveur des musées de province, politique édictée par l'article 73 bis de la loi du 13 août 2004.

Je rappellerai brièvement que cet article, adopté à l'unanimité, après avis favorable du Gouvernement, avait été mis au point en concertation directe avec M. Loyrette, directeur du Louvre, et les services du ministère. L'unanimité dont je parle s'étend donc très au-delà de l'enceinte législative, tout le monde étant conscient de l'urgence qu'il y avait à mettre fin à l'excessive concentration à Paris de nos oeuvres d'art, spécialement de nos oeuvres majeures. Cela concerne aussi, monsieur le président, la ville de Marseille, même si celle-ci peut s'honorer d'avoir créé, au cours des années récentes, de remarquables musées.

Pour ce qui est de l'esprit de cet article, l'objet de notre démarche est ambitieux : il ne s'agit pas seulement d'apporter des contributions ponctuelles, momentanées, aux musées de province, qui ont de grands mérites, mais dont les présentations restent d'un intérêt trop restreint en un temps où le grand public gorgé d'images de toutes sortes n'est guère attiré par l'ensemble des collections, si intéressantes soient-elles pour les spécialistes, et préfère admirer les chefs-d'oeuvre, ce que le texte dénomme les « oeuvres significatives ».

Or il se trouve que, à la différence de ce qui se passe pour le patrimoine architectural, largement répandu dans l'Hexagone, de même que pour la musique ou l'art lyrique, en particulier grâce à la multiplication des festivals, les chefs-d'oeuvre de l'art plastique restent jalousement enfermés au sein des grands musées nationaux de Paris.

Au-delà de l'explication historique, on fait valoir que cette concentration permet à ces oeuvres d'être admirées par un nombre beaucoup plus important de personnes, et l'on cite avec complaisance les 7 millions de visiteurs qu'accueille le Louvre chaque année.

Entre nous soit dit, je doute de la totale bonne foi de cette explication. Mais, je doute surtout qu'elle corresponde à l'idée qu'on peut se faire de la notion de culture vivante.

Allez au Louvre, franchissez vaillamment les divers obstacles qui font que l'accès aux oeuvres est en lui-même assez mal malaisé - c'est quelquefois un véritable parcours du combattant ! - et vous pourrez constater que la plupart des visiteurs ne s'arrêtent guère pour regarder les oeuvres, si ce n'est l'inévitable Joconde. Pour le reste, la grande majorité défile, le but de sa visite étant d'avoir « fait » le Louvre. C'est ce qui me permet de dire, avec un sourire en coin, que ce sont les oeuvres exposées qui voient les 7 millions de visiteurs, mais que les 7 millions de visiteurs ne voient guère les oeuvres exposées et les regardent encore moins. (Sourires.)

Telle n'est pas l'idée que nous nous faisons d'une politique de civilisation, au sens humaniste où le chef de l'État a employé ce terme. Je suis d'ailleurs ravi de constater qu'il a élargi le débat politique à cette dimension d'une politique de civilisation, ouvrant ainsi le large champ d'une réflexion sur un mode de vie où la qualité serait prise en compte au même titre que la quantité.

C'est dans cet esprit que nous croyons urgent de réduire les effets de concentration de ces oeuvres d'arts et de leur rendre la mission qui est la leur de messagères de l'esprit, accessibles partout où il peut se trouver des hommes et des femmes pour qui leur rencontre sera non une démarche rituelle obligée mais une véritable révélation, du fait même d'une approche plus localisée et plus personnalisée.

Telle est la vraie dimension du problème et telle est, en conséquence, la dimension de notre attente. (Mme Jacqueline Panis applaudit.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. André Santini, secrétaire d'État chargé de la fonction publique. Cher Pierre Fauchon, vous interrogez la ministre de la culture et de la communication, qui vous prie d'excuser son absence pour la raison que j'ai indiquée précédemment - et j'espère qu'elle est absolutoire ! (Sourires) -, sur la mise en oeuvre de dispositions de la loi du 13 août 2004.

À la suite de la promulgation de cette loi, le cabinet du ministre de la culture a demandé en octobre 2005 à l'inspection générale de l'administration de réaliser un bilan de la politique de dépôts, dans les musées des collectivités locales, d'oeuvres de musées nationaux et du Fonds national d'art contemporain. Cette mission, effectuée avec l'inspection générale des musées et la mission permanente de contrôle et d'évaluation de la création artistique, devait porter sur les années 2000 à 2005 et faire des propositions utiles pour développer les dépôts de l'État.

Un rapport a été remis au ministre en mars 2006 et présenté devant le Haut Conseil des musées de France le 6 décembre 2006. Il a donné lieu, le 13 mars 2007, à une circulaire du ministère de la culture et de la communication de l'époque, M. Renaud Donnedieu de Vabres, adressée aux présidents et directeurs des musées nationaux ainsi qu'aux chefs de grands départements.

Cette circulaire rappelle que la politique des prêts et dépôts des musées de France nationaux au bénéfice des musées de France territoriaux est un élément majeur de l'action de coopération des musées nationaux à l'égard des autres musées de France.

Elle préconise la multiplication des prêts de longue durée et des dépôts pour des durées déterminées, éventuellement renouvelables, ainsi qu'une gestion transparente, attentive et dynamique de cette politique. Le but est de permettre une mobilité des collections et leur participation à la valorisation des collections des musées territoriaux sur l'ensemble du territoire, dans le droit fil des exigences de la loi de 2004.

Les collections nationales ont aujourd'hui une plus grande capacité de mobilité, notamment grâce aux liens qui se sont tissés ou renforcés avec les collectivités, et la direction des musées de France tient à jour un état précis de ces mouvements.

S'agissant ainsi des prêts aux expositions organisées en France en 2006, 411 prêts d'une durée moyenne de trois à quatre mois et concernant 3 356 oeuvres ont été consentis par les musées nationaux auprès de 289 musées de France appartenant aux collectivités territoriales.

Afin de compléter ces informations, et constatant que les éléments du rapport présenté devant le Haut Conseil des musées en décembre 2006 ne vous ont pas été formellement adressés, Mme la ministre de la culture et de la communication a demandé que les conclusions et les recommandations du rapport de l'inspection portant sur les années 2000 à 2005 vous soient transmises sans délai, monsieur Fauchon, que la prochaine réunion du Haut Conseil des musées comporte à son ordre du jour la réalisation du rapport d'évaluation sur la période 2005-2007 et que ce rapport, faisant un bilan de la nouvelle politique de prêt, soit remis au Parlement fin 2008. La Joconde sera beaucoup moins triste ! (Sourires.)

Je peux aussi, monsieur Fauchon, apporter une réponse à une question que vous n'avez pas posée.

M. Pierre Fauchon. Sur la tristesse de la Joconde ? (Nouveaux sourires.)

M. André Santini, secrétaire d'État. Non, sur le musée de Lens !

M. Pierre Fauchon. Eh bien, c'est très intéressant ! J'aimerais en effet savoir pourquoi on s'est mis en tête d'ouvrir une extension du musée du Louvre à Lens ! (Nouveaux sourires.)

M. André Santini, secrétaire d'État. Monsieur le président, c'est original : la question n'a pas été posée, mais je vais y répondre. (Nouveaux sourires.)

M. le président. Votre spontanéité nous est connue, monsieur Santini ! (Nouveaux sourires.)

M. André Santini, secrétaire d'État. On connaît aussi les exigences de M. Fauchon ! (Nouveaux sourires.)

M. le président. Veuillez donc poursuivre, monsieur le secrétaire d'État.

M. André Santini, secrétaire d'État. La création du Louvre-Lens se situe au coeur de la politique de décentralisation culturelle. Ce projet, engagé en 2004, s'est concrétisé dans un protocole d'accord signé le 12 mai 2005 entre l'État, l'établissement public du musée du Louvre et les collectivités territoriales, projet qui définit les modalités de pilotage, les contributions de chaque partenaire, les principes généraux et les principes susceptibles d'être retenus pour le statut de la structure de gestion, non encore arrêté. L'ouverture doit avoir lieu avant la fin de l'année 2010, monsieur le sénateur.

Sur une surface utile de 17 000 mètres carrés, le bâtiment, réalisé par les architectes de l'agence japonaise Sanaa associée à un cabinet américain d'architectes muséographes, Imrey-Culbert, et à la paysagiste française Catherine Mosbach, abritera des oeuvres du Louvre, qui seront présentées au public sous la forme d'une « galerie du temps », de présentations renouvelées et d'expositions temporaires.

Le Louvre-Lens est l'occasion de repenser le rôle d'un musée du XXIe siècle, dans ses dimensions artistique, sociale et éducative.

J'en arrive à point qui vous intéressera certainement beaucoup.

Ce projet, dont le coût d'investissement s'élève à 127 millions d'euros, est en grande partie - 60 % - financé par la région Nord-Pas-de-Calais, maître d'ouvrage Il bénéficie par ailleurs du concours du département du Pas-de-Calais, à hauteur de 10 %, de la communauté d'agglomération de Lens-Liévin et de la ville de Lens, également à hauteur de10 %, ainsi que du soutien de l'Union européenne, à hauteur de 20 %.
M. le président. La parole est à M. Pierre Fauchon.

M. Pierre Fauchon. Mme Christine Albanel est tout excusée puisque je sais qu'elle accompagne le chef de l'État dans les pays du Golfe, notamment à Abu Dhabi. Or je suis l'un des supporters du Louvre d'Abu Dhabi - nous ne sommes pas unanimes sur ce point -, qui participe de cette politique de diffusion des oeuvres que je trouve excellente et dont je souhaite qu'elle soit renforcée.

Cela étant, monsieur le secrétaire d'État, constatons que nous avions voté une loi prévoyant une certaine politique et des rapports bisannuels. Nous attendons toujours les rapports, et nous croyons comprendre que cette politique n'est pas encore réellement mise en oeuvre. Elle l'est si peu, d'ailleurs, que M. Donnedieu de Vabres, le prédécesseur de Mme Albanel, a été obligé de rédiger la circulaire que vous avez évoquée pour détailler quelque peu cette obligation d'une politique de diffusion.

Vous m'avez cité des chiffres, mais produisez-moi la liste des oeuvres ! Je la connais : il s'agit de 50 dessins par-ci, de 25 dessins par-là, etc. Ce ne sont pas des oeuvres significatives, susceptibles de faire bouger les populations, à Marseille, à Bordeaux ou même à Issy-les-Moulineaux, pour se rendre dans un musée !

Naturellement, le Louvre regorge d'oeuvres et est disposé à les prêter, mais il faut que cela concerne des oeuvres significatives, car il n'y a qu'elles qui intéressent le grand public actuel. Je reste donc sur ma faim - et c'est une faim assez féroce. (Sourires.)

Cela étant dit, je vais demander un entretien à Mme Albanel pour lui expliquer notre démarche, tenter de savoir quels effets a produits cette circulaire de M. Donnedieu de Vabres et essayer d'exercer une stimulation.

Par ailleurs, et je suis heureux de voir que mon collègue et ami M. Philippe Richert est présent, je me permettrai de « passer le bébé », si j'ose dire, à la commission des affaires culturelles.

Il se trouve, en effet, que nous avions voté cette disposition dans le cadre d'un texte sur la décentralisation dont la commission des lois avait été saisie et dont le rapporteur était M. Schosteck. Nous avions en fait « truffé » ce texte de cette disposition à caractère culturel. Il est normal qu'elle revienne dans le « giron » de la commission des affaires culturelles et je souhaite donc que celle-ci prenne le relais de la préoccupation que j'ai exprimée afin de procéder au harcèlement nécessaire pour obtenir, une fois n'est pas coutume, que la loi soit enfin observée par ceux qui sont chargés de la mettre en application.

Le Louvre de Lens, cela mériterait tout un débat ! Pourquoi fallait-il absolument faire une annexe du Louvre à Lens ? Nous attendons toujours d'en connaître la raison ! Vous m'avez expliqué combien cela allait coûter et comment serait répartie la charge. Mais la question n'est pas là ! La question, c'est de savoir pourquoi il faut absolument faire une annexe du Louvre à Lens !

Monsieur le président et, par ailleurs, maire de Marseille, moi qui visite vos musées et les admire, je ne vois pas d'oeuvres de peinture majeures à Marseille, ni à Aix-en-Provence, des villes pourtant fort peuplées. À Aix-en-Provence, la ville de Cézanne visitée par tant de touristes, le musée Granet qui vient de rouvrir ne comporte pas un seul tableau significatif de Cézanne. Certes, on peut y voir un fort beau dessin qui est de sa main, mais est-ce suffisant lorsque l'on se trouve dans le paysage de Cézanne ?

Une conception vivante et moderne de la culture suppose que les oeuvres soient visibles en des lieux variés, placées dans des endroits où la démarche de curiosité est beaucoup plus personnelle. Voilà le but de notre démarche.

Je souhaite donc que Mme la ministre de la culture et de la communication veuille bien m'accorder un entretien, afin que je fasse jouer auprès d'elle la capacité d'entraînement dont un simple parlementaire me paraît tout de même pourvu, sur un sujet qui, encore une fois, relève d'une politique de civilisation. Et je n'ai pas besoin d'ajouter que la politique de civilisation est l'une des dimensions majeures de la politique actuelle ! (Sourires.)

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