Question de Mme GONTHIER-MAURIN Brigitte (Hauts-de-Seine - CRC) publiée le 25/09/2008

Mme Brigitte Gonthier-Maurin appelle l'attention de Mme la ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi sur les conséquences du projet de délocalisation à Metz des personnels de la statistique publique.
En effet, le 2 septembre à l'Élysée, le Président de la République a annoncé à une délégation d'élus de Moselle, très inquiets des conséquences économiques et sociales des prochaines fermetures de casernes, la délocalisation d'un millier d'emplois de la statistique publique afin de créer un pôle statistique à Metz. Un rapport ayant pour objet de mettre en œuvre cette décision, commandé par le Gouvernement, doit d'ailleurs être remis avant la fin de l'année. Seront notamment concernés dans les Hauts-de-Seine, les agents de l'Insee et les agents du Meedat implantés à La Défense.
Cette décision, prise sans concertation et annoncée par voie de presse, inquiète fortement les personnels et les élus. Ils ignorent en effet qui sera concerné, à quelle échéance, et ils craignent, à terme, que cette délocalisation porte atteinte aux intérêts et à la qualité de la statistique publique en France.
En conséquence, elle lui demande de bien vouloir lui indiquer quelles sont les raisons qui ont motivé une telle décision et quels seront précisément les personnels concernés, sachant qu'en interne, les agents demandent au Gouvernement de renoncer à ce projet au nom du respect de la spécificité de la mission assignée à la statistique publique.

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Réponse du Secrétariat d'État chargé de la prospective, de l'évaluation des politiques publiques et du développement de l'économie numérique publiée le 29/10/2008

Réponse apportée en séance publique le 28/10/2008

M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, auteur de la question n° 298, adressée à Mme la ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Le 2 septembre dernier, le Président de la République a annoncé à une délégation d'élus de Moselle, inquiets des conséquences économiques et sociales des fermetures de casernes, la délocalisation d'un millier d'emplois publics pour créer un pôle statistique à Metz.

Cette décision, prise sans concertation et annoncée par voie de presse, inquiète fortement les personnels et les élus. Dans mon département, les Hauts-de-Seine, les agents de l'Institut national de la statistique et des études économiques, l'INSEE, à Malakoff et du ministère de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du territoire, le MEEDAT, à La Défense sont concernés.

Quinze jours plus tard, le Premier ministre a adressé une lettre de mission au directeur général de l'INSEE et au vice-président du Conseil national de l'information statistique, qui doivent lui proposer, avant le 30 novembre prochain, les contours, les effectifs et l'organisation d'un pôle de la statistique, avec un chiffre imposé : délocaliser mille cinq cents emplois publics d'ici à la fin de l'année 2011.

L'objectif notamment fixé à cette réforme est de « préserver la qualité du service statistique public ». Ma crainte, comme celle des personnels, est que cette démarche n'aboutisse au contraire à l'affaiblir, en déstructurant son organisation actuelle.

De quoi parlons-nous ? La statistique publique française compte un peu plus de 8 000 agents, dont les deux tiers se trouvent en région. Elle est donc déjà largement déconcentrée.

Ce n'est pas le choix de Metz qui pose problème. S'il s'agissait d'y créer une nouvelle implantation locale, en recrutant des agents, pour répondre aux sollicitations grandissantes des élus locaux du fait de la décentralisation, les personnels et leurs organisations s'en féliciteraient.

Mais le transfert, décidé dans la précipitation, d'une partie non négligeable des agents, un sur trois pour la région parisienne, fait courir le risque de désorganiser la statistique publique.

Comment ? Vous le savez – de nombreux exemples l'ont montré –, une majorité des agents concernés par une délocalisation choisissent souvent de ne pas partir. Cette proportion atteint parfois jusqu'à 80 %.

Il vous faudrait alors puiser dans le vivier des directions régionales, dans un contexte de départs en retraite – il devrait y en avoir 3 000 d'ici à 2015 – et de non-remplacement d'un départ sur deux, comme l'exige la révision générale des politiques publiques, la RGPP. L'effet sur les implantations locales risque d'être fatal, ce qui aura des conséquences sur toute la chaîne du métier et sur sa spécificité.

Pourtant, le travail de l'INSEE est reconnu internationalement. Il répond notamment à un principe fondamental dans une démocratie : l'indépendance. Ses règles de publication garantissent que les chiffres ne sont pas cachés, même quand ils dérangent.

De ce point de vue, une telle délocalisation est ressentie comme une sanction par les agents.

Je m'interroge donc fortement sur cette décision, qui d'ailleurs rencontre l'opposition des agents à tous les niveaux de la hiérarchie, comme en témoignent leur récent mouvement de grève, la pétition lancée et les interpellations d'élus en région.

Combien cette délocalisation coûtera-t-elle ? Et pour quels bénéfices ? Pourrez-vous garantir aujourd'hui que les missions du système statistique public seront toujours assurées ?

M. Jean-Pierre Sueur. Très bien ! Excellente question !

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Éric Besson, secrétaire d'État chargé de la prospective, de l'évaluation des politiques publiques et du développement de l'économie numérique. Madame la sénatrice, je vous prie tout d'abord d'excuser l'absence de Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, qui accompagne le Président de la République ce matin dans les Ardennes. Elle m'a donc chargé de vous donner lecture de la réponse qu'elle a préparée à votre intention.

« Madame la sénatrice, vous avez bien voulu me faire part de vos inquiétudes sur les conséquences du projet de délocalisation à Metz des personnels de la statistique publique.

« Vous vous interrogez plus particulièrement sur le maintien de la qualité de cette statistique, ainsi que sur les inquiétudes exprimées par les agents des administrations concernées.

« Je vous rappelle que le Président de la République a souhaité relancer une politique d'implantation d'emplois publics en région qui devra atteindre les objectifs suivants : apporter de l'activité économique à des territoires qui en ont besoin, réduire le coût de gestion des administrations, en particulier en matière immobilière, et réaliser des synergies permettant une meilleure efficacité et une meilleure efficience des services publics. Compte tenu de la restructuration en cours des forces armées, il a effectivement fait savoir que cette politique s'appliquera prioritairement à l'agglomération de Metz, à hauteur de 1 500 emplois concernant l'ensemble de la fonction publique.

« En ce qui concerne plus particulièrement la statistique publique, la proximité de cette ville avec l'Office statistique européen, ainsi que sa desserte par le TGV, ont conduit le Gouvernement à identifier le service statistique public comme pouvant contribuer à l'opération de délocalisation envisagée vers la Moselle.

« Toutefois, le Gouvernement s'est fixé comme objectif que cette réorganisation territoriale se traduise par l'amélioration de la qualité de notre appareil statistique, et non pas, comme vous paraissez le craindre, par sa détérioration. Il a en effet plus que jamais besoin d'une sphère statistique fiable et diversifiée qui permette d'éclairer son action, ainsi que de répondre aux nombreuses questions économiques et sociétales que se posent nos concitoyens.

« Dans ce cadre, le Premier ministre a demandé, le 17 septembre dernier, à M. Jean-Pierre Duport, vice-président du Conseil national de l'information statistique, et à M. Jean-Philippe Cotis, directeur général de l'INSEE, de lui proposer pour la fin du mois de novembre prochain les contours, les effectifs et l'organisation du pôle statistique de Metz. Les objectifs suivants devront avoir été pris en compte : préserver la qualité de la production du service public statistique, apporter une véritable valeur ajoutée au fonctionnement des administrations, en exploitant toutes les sources de synergies et créer à Metz un acteur important du service statistique public et un bassin d'emploi attractif pour les agents.

« Sur le premier point, je vous rappelle que l'ensemble des administrations de la statistique publique sont concernées, comme la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques, la sécurité sociale ou la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques du ministère du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité.

« Enfin, il faut faciliter l'installation des agents via les mesures d'accompagnement appropriées. Ces propositions devraient permettre, madame la sénatrice, de répondre aux inquiétudes des agents, que, tout comme vous, nous avons entendues.

« Une équipe d'experts de haut niveau a été réunie par MM. Duport et Cotis pour mener à bien cette mission dans le délai imparti, en procédant à toutes les consultations nécessaires.

« Le Gouvernement n'a pas l'intention de brader la statistique publique, alors qu'il a présenté l'été dernier à votre approbation l'article 144 de la loi de modernisation de l'économie, qui crée une Autorité de la statistique publique, garante de l'indépendance professionnelle dans la conception, la production et la diffusion des statistiques, de l'objectivité, de l'impartialité, de la pertinence et de la qualité des données produites.

« Cette mesure montre avec éloquence l'importance que le Gouvernement attache au service public statistique et à ses agents, dont la compétence et l'impartialité sont reconnues chez nous et bien au-delà de nos frontières. »

M. Jean-Pierre Sueur. Il n'y a pas un mot sur ce qui se passe dans les régions ! Nous n'en savons pas plus sur le maintien du service public de la statistique, à part en Lorraine !

M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Je suis sceptique sur deux arguments qui viennent d'être avancés à l'appui d'une telle délocalisation, en l'occurrence la qualité du service public et l'efficacité économique.

Les différentes implantations actuelles de l'INSEE ne relèvent pas du hasard. Il ne s'agit pas de pions sur un échiquier que l'on pourrait déplacer impunément.

M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !

Mme Brigitte Gonthier-Maurin. À mon sens, la force de la statistique publique, c'est l'essaimage des cadres et des agents dans les organismes centraux à Paris près des décideurs politiques, des ministères, mais également des milieux de la recherche et, dans les territoires, auprès des conseils régionaux et généraux, des préfectures, des syndicats et de l'ensemble du secteur associatif.

Nous n'avons aucune assurance sur l'acceptation par les agents de leur délocalisation. Or, si nous ne pouvons pas délocaliser, qu'en sera-t-il de la réalisation concrète et de l'efficacité localement produite ?

Vous le savez, il faut du temps, près de trente-six mois, pour former un agent de la statistique. Si nous ne pouvons pas répondre à ce besoin de formation, comment ferons-nous ? Devrons-nous faire appel à des contractuels ? Je le rappelle, il y a beaucoup d'inquiétudes et cette réforme a été décidée sans concertation.

Par ailleurs, je doute de l'efficacité en termes d'emplois induits localement. Le secteur de la statistique publique n'a qu'un faible besoin de sous-traitance.

En outre, aucune évaluation financière n'a été réalisée avant qu'une telle décision soit prise. Or nous connaissons tous des exemples d'« aventures » qui se sont finalement révélées très coûteuses. Ainsi, la délocalisation du Centre national d'études à distance, le CNED, a représenté une dépense de 50 000 euros par poste. Celle de l'INSEE a été évaluée par certains à près de 100 millions d'euros. C'est une somme énorme.

Dans ces conditions, mieux vaudrait, me semble-t-il, évaluer les conséquences d'une telle délocalisation avant de l'engager. C'est la raison pour laquelle je vous demande d'y surseoir.

M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !

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