Question de M. PORTELLI Hugues (Val-d'Oise - UMP) publiée le 18/09/2008

M. Hugues Portelli attire l'attention de Mme la ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales sur la légalité du décret n° 2008-632 du 27 juin 2008 portant création d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « EDVIGE ».

Il lui demande de répondre aux questions suivantes.

1° Le décret est-il un instrument juridique approprié pour la création du fichier "EDVIGE" susceptible de mettre en cause certaines libertés publiques?

En vertu de l'article 34 de la Constitution, la loi fixe les règles concernant les libertés publiques. Ainsi, la création de ce fichier ne semble relever que de la loi et de la loi seule.

Le décret « EDVIGE » peut-il être qualifié de décret d'application de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, compte tenu de l'étendue de son champ d'application?

Il s'apparenterait plutôt au décret autonome, soumis aux règles de répartition du domaine de la loi et du règlement des articles 34 et 37 de la Constitution.

2° Le décret fournit-il des garanties de protection des libertés fondamentales suffisantes ?

Le fichier EDVIGE prévoit le traitement des informations nominatives concernant deux catégories de personnes nettement différentes : les personnes exerçant un "mandat politique, syndical ou économique", d'une part, et les personnes "susceptibles de porter atteinte à l'ordre public", d'autre part. La juxtaposition de ces deux catégories de personnes dans un fichier unique, est-elle justifiée? Le Conseil constitutionnel a affirmé que le principe d'égalité des citoyens devant la loi exige le traitement égal des personnes se trouvant dans des situations semblables. Or, le décret «EDVIGE » soumet au même régime deux catégories de personnes radicalement différentes : les unes titulaires de responsabilités publiques, les autres susceptibles de présenter un danger pour l'ordre public.

Ces deux catégories ne devraient-elles pas faire l'objet d'instruments juridiques distincts, créés pour des motifs différents et entourés des garanties propres? D'une part, les informations concernant les personnalités politiques et syndicales relèvent du droit commun de la protection de la vie privée. D'autre part, le traitement des informations concernant les personnes susceptibles de porter atteinte à l'ordre public est, en droit positif, entouré des garanties constitutionnelles et conventionnelles du procès équitable et de la procédure pénale. Qu'en est-il d'un fichier concernant les mineurs dès l'âge de 13 ans ?

Le dispositif du décret laisse entendre qu'une simple éventualité, le moindre doute, suffit, la preuve des « motifs réels et sérieux » n'étant point exigée, à la différence du domaine pénal. Or, les éléments d'informations enregistrés dans EDVIGE peuvent parfaitement être utilisés pour la poursuite des infractions par « tout agent d'un service de la police nationale ou de la gendarmerie nationale »- et cela sans que les garanties des libertés du code de procédure pénale soient respectées. Par ailleurs, le décret « EDVIGE » n'envisage pas de « droit à l'oubli », à l'instar de la prescription extinctive en matière pénale.

3° Le décret « EDVIGE » est-il conforme aux engagements internationaux de la France?

Il convient de mesurer les conséquences du décret « EDVIGE » au regard des conventions internationales que la France a souscrites. La France risque d'être condamnée au titre de l'atteinte au secret de la vie privée et familiale protégé par l'article 8 de la CEDH. Par ailleurs, le décret « EDVIGE » est en contradiction avec la convention du Conseil de l'Europe du 28 janvier 1981, en ce qu'il ne reconnaît ni le droit d'information, ni le droit d'opposition aux personnes concernées par le fichage.

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Réponse du Ministère de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales publiée le 26/02/2009

La réforme du renseignement mise en oeuvre par le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales a conduit à la création, le 1er juillet, de la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) et à la disparition de la direction de la surveillance du territoire (DST) et de la direction centrale des renseignements généraux (DCRG). L'une des missions qu'exerçait la DCRG, la mission d'information générale, incombe désormais à la sécurité publique (et à Paris à la préfecture de police). Afin de permettre à la sécurité publique d'assurer sa nouvelle mission et donc de reprendre l'usage du fichier précédemment géré par la DCRG (amputé de ce qui concerne le renseignement intérieur, transféré à la DCRI, et les courses et jeux, transférés à la police judiciaire), il a été nécessaire d'instituer un nouveau cadre juridique, par un décret du 27 juin 2008. Ce fichier appelé Edvige constituait donc purement et simplement une reprise partielle du fichier des renseignements généraux créé par décret du 14 octobre 1991, intégrant les modifications apportées par une directive de 1995 et une loi de 2004. Son texte, soumis au conseil d'État, prenait en compte des demandes de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL). Il a pourtant suscité des inquiétudes et des malentendus. Afin d'y apporter des réponses, le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales a ouvert une vaste consultation puis décidé de présenter un nouveau décret. Il convient à cet égard de souligner qu'eu égard notamment à la décision du ministre de retirer le décret portant création d'Edvige, le conseil d'État, saisi en référé, a rejeté le 29 octobre un recours présenté par plusieurs associations tendant à la suspension du décret du 27 juin. Ce dernier a été retiré par un décret du 19 novembre 2008. Le nouveau fichier ne comportera que des données directement liées à la sécurité publique ou permettant de répondre aux demandes d'enquêtes de recrutement imposées par la loi. Il apporte des garanties renforcées à la liberté individuelle et au droit au respect de la vie privée, tout en préservant les moyens nécessaires aux forces de police pour assurer efficacement la sécurité des Français.

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