Question de Mme PANIS Jacqueline (Meurthe-et-Moselle - UMP-R) publiée le 17/10/2008

Question posée en séance publique le 16/10/2008

M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Panis. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme Jacqueline Panis. Ma question s'adresse à Mme le garde des sceaux, ministre de la justice.

Madame le garde des sceaux, vous le savez, la situation des prisons en France est préoccupante. Entre 1997 et 2002, sous le gouvernement de M. Jospin, le nombre de places a diminué de 4 %. (Protestations sur les travées socialistes. - Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Et voilà, c'est la faute à Jospin !

Mme Jacqueline Panis. Le rapport de la commission d'enquête présidée par notre collègue Jean-Jacques Hyest, datant de juin 2000, l'avait souligné avec gravité.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Rapport unanime !

Mme Jacqueline Panis. Madame le garde des sceaux, sous votre impulsion et celle de vos prédécesseurs, les choses bougent. Vous avez pris la décision de construire de nouvelles prisons et d'augmenter dans des proportions importantes les financements et les crédits de fonctionnement.

Néanmoins, les progrès demeurent insuffisants. Malgré tous ces efforts financiers et immobiliers, il reste encore beaucoup à faire. À ce jour, notre pays compte 51 000 places de prison disponibles pour 64 250 détenus, ce qui crée des difficultés.

Il en est ainsi en particulier pour l'incarcération des jeunes. Nous avons malheureusement recensé, depuis le début de cette année, quatre-vingt-sept suicides en France, le plus récent étant celui d'un jeune homme de seize ans, à la prison de Metz. Vous vous êtes rendue sur place, et je salue le geste que vous avez ainsi fait envers la famille et, plus largement, envers la Lorraine tout entière.

Madame le garde des sceaux, quelles mesures envisagez-vous en ce qui concerne l'incarcération des jeunes ?

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il ne faut plus mettre des jeunes de seize ans en prison !

Mme Jacqueline Panis. Quelles dispositions comptez-vous prendre pour prévenir le suicide, que nous ne saurions admettre, de mineurs…

M. Guy Fischer. Il ne faut pas les mettre en prison !

Mme Jacqueline Panis. … et d'adultes ?

Pouvez-vous également nous faire part des mesures que vous avez l'intention de prendre en matière d'aménagements de peines et d'alternatives à l'incarcération, notamment de mineurs ?


Réponse du Ministère de la Justice publiée le 17/10/2008

Réponse apportée en séance publique le 16/10/2008

M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la sénatrice, deux adolescents incarcérés se sont en effet suicidés, l'un à Metz, l'autre à Strasbourg. Comme vous l'avez rappelé, je me suis rendue sur les lieux. Je tiens de nouveau à m'associer à la douleur des familles et des proches.

Le suicide d'un adolescent est toujours un drame pour la société.

M. Yannick Bodin. C'est d'abord un drame pour lui !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Lorsqu'il s'agit d'un adolescent incarcéré, quels que soient les efforts qui ont pu être déployés, c'est également la marque d'un échec.

C'est aussi un drame pour l'administration pénitentiaire et l'institution judiciaire dans son ensemble. Je souhaite à cet égard renouveler mon soutien et rendre hommage aux personnels de l'administration pénitentiaire, qui exercent une mission difficile dans des conditions elles-mêmes difficiles.

M. Roland Courteau. Très difficiles !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Je tiens également à renouveler mon soutien aux magistrats, qui sont saisis dans l'urgence de réalités extrêmement complexes et doivent pourtant juger.

Pour vous répondre, madame la sénatrice, sur le problème de l'incarcération des mineurs, j'entends dire parfois qu'un mineur de seize ans n'a rien à faire en prison. Or je rappelle que, lorsqu'un mineur est en prison, c'est qu'il a commis un crime ou des actes de nature criminelle. L'incarcération est alors l'ultime sanction.

Les mineurs incarcérés sont aujourd'hui 697 pour 1 200 places. Leur nombre a diminué de près de 4 % en un an, ce qui prouve que nous faisons davantage pour la prévention de la délinquance des mineurs.

Nous devons aller encore plus loin. En effet, malgré la baisse de la délinquance générale et de la délinquance de voie publique, malgré la diminution des atteintes aux personnes, la délinquance des mineurs ne diminue pas, car les outils juridiques dont nous disposons pour la réprimer ne sont plus adaptés.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ah, ça !

M. Guy Fischer. C'est l'ordonnance de 1945 !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Il est donc important que nous revoyions nos procédures afin de mieux prévenir la délinquance des mineurs. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Il n'y a pas là matière à polémique, le sujet est trop grave.

Mesdames, messieurs les sénateurs, nous ne pouvons nous satisfaire de voir notre jeunesse s'ancrer dans la délinquance.

M. Guy Fischer. C'est sûr !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Nous ne pouvons pas plus nous satisfaire de ces suicides de mineurs incarcérés.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous sommes bien d'accord !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. J'ai donc demandé une inspection, comme il est d'usage d'en diligenter systématiquement lorsqu'un événement de ce type se produit en prison, afin de connaître les circonstances qui ont conduit à ces drames. J'ai souhaité que tous les acteurs concernés, fonctionnaires de l'administration pénitentiaire et magistrats, soient auditionnés.

Deux conséquences doivent être tirées de ces drames.

Il faut, tout d'abord, prendre toutes les dispositions utiles afin d'améliorer la prévention du suicide en prison et, ensuite, adapter les outils juridiques existants afin de mieux prévenir la délinquance des mineurs.

C'est pourquoi j'ai signé, le jour même, un décret, qui a été publié dès le lendemain, aux termes duquel tout mineur doit désormais être présenté à un magistrat avant d'être incarcéré. Personne ne peut être contre cette mesure !

Lorsque sa garde à vue est prolongée ou lorsqu'une peine d'emprisonnement ferme est prononcée à son encontre, le mineur doit obligatoirement être présenté à un magistrat. C'est notre conception de la justice !

Mesdames, messieurs les sénateurs, l'un des deux mineurs qui se sont suicidés avait été condamné à six mois d'emprisonnement, mais n'avait pas comparu à l'audience. Ce mineur, au passé pénal chargé, était dépourvu d'environnement familial et de repères. Il avait été interpellé dans une cave par les gendarmes et n'avait ni parents ni famille à prévenir. Il n'a pas été présenté à un magistrat ; il s'est suicidé le lendemain de son incarcération.

Nous devons disposer de tous les moyens permettant de prévenir et la délinquance des mineurs et le suicide en prison. La première mesure consiste en ce sens à présenter tout mineur incarcéré à un magistrat.

Avec Roselyne Bachelot-Narquin, nous avons pris une deuxième mesure, anticipant ainsi une disposition qui devait figurer dans la loi pénitentiaire, pour que, dès le 1er novembre, une grille d'évaluation des risques suicidaires soit fournie aux directeurs d'établissements pénitentiaires pour leur permettre, lors de chaque incarcération de mineur, de mieux évaluer ces risques.

Nous avons également souhaité que, dans chaque prison pourvue d'un service médical, un médecin référent dédié aux mineurs évalue l'état sanitaire du jeune incarcéré.

Ces deux drames doivent tous nous mobiliser et ne sauraient en aucun cas susciter de polémiques.

L'incarcération est nécessaire dans certains cas, et vous le savez bien !

Mme Michelle Demessine. Il n'y a pas que la prison !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Elle permet une meilleure prise en charge de l'adolescent, surtout lorsque celui-ci est privé de repères et de structure familiale. Je vous rappelle que 80 % des mineurs sanctionnés ne récidivent pas. (Vives exclamations sur les travées du groupe CRC.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous jouez sur les mots, madame la ministre !

Mme Raymonde Le Texier. Et quand il n'y a pas de famille ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Quand il n'y a ni famille ni repères, l'État, et en particulier la justice, se doit de combler ce manque et d'assumer tout son rôle !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Absolument ! Mais c'est le contraire qu'il a fait !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. S'agissant du nombre de places de prison, vous avez eu raison de rappeler, car c'est une réalité, qu'entre 1997 et 2002, ...

M. le président. Veuillez conclure, madame le garde des sceaux !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. ... alors que la délinquance explosait, on a supprimé des places de prison. Pour notre part, nous avons fait baisser les chiffres de la délinquance et nous allons également construire des prisons beaucoup plus dignes. Notre programme, qui prévoit la construction de 13 200 places à l'échéance de 2012, sera tenu. C'est cela encore, notre conception de la justice ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)


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