Question de M. MIRASSOU Jean-Jacques (Haute-Garonne - SOC) publiée le 07/05/2009

M. Jean-Jacques Mirassou attire l'attention de M. le secrétaire d'État à la défense et aux anciens combattants sur le dossier des actes de décès des déportés non rentrés des camps nazis. A ce jour, moins de la moitié des 115 500 personnes déportées de France (chiffres du ministère), déportation dite « raciale » et déportation dite de « répression » confondues, ont fait l'objet d'un acte de décès rédigé selon les dispositions de la loi n° 85-528 du 15 mai 1985 et publié au Journal officiel. Ce qui signifie, en clair, qu'aux yeux des lois et du code civil français, les déportés sans acte de décès sont considérés comme étant toujours vivants à l'heure actuelle ! La loi n° 85-528 du 15 mai 1985 impose au ministre des anciens combattants d'intervenir soit d'office, soit à la demande d'un ayant cause du défunt, pour l'apposition de la mention « Mort en déportation » sur l'acte de décès des déportés non rentrés des camps nazis. Sans ambigüité aucune, la loi pose : « Lorsqu'il est établi qu'une personne a fait partie d'un convoi de déportation sans qu'aucune nouvelle ait été reçue d'elle postérieurement à la date du départ de ce convoi, son décès est présumé survenu le cinquième jour suivant cette date, au lieu de destination du convoi ». Dans un courrier envoyé en réponse à la lettre d'une requérante dans le cadre de ce dossier, le cabinet du secrétaire d'État à la défense et aux anciens combattants semble remettre en cause la loi en question. En effet, il précise dans ce document que « (…) tous les déportés n'ont pas été exterminés lors de l'arrivée aux camps et la règle de fixation de la date du décès, soit cinq jours à partir du départ du convoi de référence, prévue par l'article 3 de la loi du 15 mai 1985, ne peut alors trouver à s'appliquer ». Or il paraît évident que c'est précisément pour estomper de telles incertitudes que la loi n° 85-528 du 15 mai 1985 avait institué un délai de cinq jours et le lieu d'arrivée du convoi pour lieu de décès. Dans un contexte où la politique mémorielle de la France souffre d'une dangereuse inanité qui pose la question de son avenir, l'approche qui semble être celle du cabinet du secrétaire d'Etat à la défense et aux anciens combattants ne peut que semer l'inquiétude, et rendre pessimiste quant au règlement rapide du dossier des actes de décès des déportés non rentrés des camps nazis. Il lui pose donc les questions suivantes : a-t-il oui ou non pour projet de veiller au strict respect de la loi n° 85-528 du 15 mai 1985, et de rendre justice aux requérants de ce dossier; et, ce faisant, de s'engager en faveur de la reconstruction d'une politique mémorielle enfin digne de ce nom ?

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Réponse du M. le secrétaire d'État à la défense et aux anciens combattants publiée le 10/06/2009

Réponse apportée en séance publique le 09/06/2009

M. Jean-Jacques Mirassou. J'entends, par cette question, attirer l'attention de M. le secrétaire d'État à la défense et aux anciens combattants sur le dossier des actes de décès des déportés non rentrés des camps nazis.

À ce jour, selon les chiffres émanant du secrétariat d'État, moins de la moitié des 115 500 personnes déportées de France, déportation dite « raciale » et déportation dite « de répression » confondues, ont fait l'objet d'un acte de décès rédigé selon les dispositions de la loi n° 85-528 du 15 mai 1985 et publié au Journal officiel.

Cela signifie que, du point de vue des lois et du code civil français, tous les déportés pour lesquels aucun acte de décès n'a été établi sont considérés comme étant toujours vivants, au moment où je parle, soit soixante-cinq ans après leur disparition !

La loi n° 85-528 du 15 mai 1985 impose au ministre chargé des anciens combattants d'intervenir, soit d'office, soit à la demande d'un ayant cause du défunt, pour que soit apposée la mention « mort en déportation » sur l'acte de décès des déportés non rentrés des camps nazis.

Sans ambiguïté aucune, la loi pose le fait suivant : « Lorsqu'il est établi qu'une personne a fait partie d'un convoi de déportation sans qu'aucune nouvelle ait été reçue d'elle postérieurement à la date du départ de ce convoi, son décès est présumé survenu le cinquième jour suivant cette date, au lieu de destination du convoi. ».

Dans un courrier envoyé en réponse à la lettre d'une requérante, dans le cadre d'un dossier de cette nature, votre cabinet, monsieur le secrétaire d'État, semble remettre en cause les principes de la loi du 15 mai 1985, dont je viens de citer le principal article.

En effet, dans cette réponse, il est précisé que « […] tous les déportés n'ont pas été exterminés lors de l'arrivée aux camps et la règle de fixation de la date du décès, soit cinq jours à partir du départ du convoi de référence, prévue par l'article 3 de la loi du 15 mai 1985, ne peut alors trouver à s'appliquer ».

Or, de toute évidence, c'est précisément pour estomper de telles incertitudes que la loi en question a institué un délai de cinq jours et fixé le lieu d'arrivée du convoi comme lieu de décès.

Dans un contexte où la politique mémorielle de la France souffre d'une dangereuse hésitation, posant du reste la question de son avenir, l'approche qui semble être celle de votre cabinet, monsieur le secrétaire d'État, ne peut que semer l'inquiétude et rendre pessimiste quant au règlement rapide du dossier des actes de décès des déportés non rentrés des camps nazis, étant précisé, une fois encore, que ces dossiers sont mis en lumière plus de soixante ans après les faits.

Monsieur le secrétaire d'État, je vous propose donc de répondre à une question simple : est-il dans vos intentions de veiller au strict respect de la loi n° 85-528 du 15 mai 1985, de rendre justice aux requérants concernés par ce dossier et, ce faisant, de vous engager en faveur de la reconstruction d'une politique mémorielle enfin digne de ce nom ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État à la défense et aux anciens combattants. Monsieur le sénateur, il n'y a aucune hésitation mémorielle, bien au contraire. La politique mémorielle de la France n'a jamais été aussi engagée et le Président de la République, on le constate mois après mois, s'implique personnellement dans cette démarche.

S'agissant de la loi du 15 mai 1985, nous n'avons assurément pas pour volonté de ne pas l'appliquer. Notre souci est de surmonter des erreurs ou des difficultés d'interprétation de ce texte, qui est un bon texte, obstacles ayant freiné la régularisation et l'examen de ces dossiers.

Monsieur le sénateur, je partage votre point de vue : il est effectivement de notre devoir, non seulement de répondre à ces attentes des familles de déportés, mais aussi de le faire à un rythme accéléré. Vous avez cité les chiffres. Je les rappelle de mémoire : Si 56 000 dossiers ont été réglés, le volume des dossiers encore pendants avoine le double de ce nombre. Plus de soixante ans après les faits, le travail reste à faire !

Justement, mon équipe, que vous avez citée à plusieurs reprises, a cherché à savoir d'où provenaient les difficultés.

Très précisément, Mme la garde des sceaux, saisie par notre secrétariat d'État, a transmis, le 29 octobre dernier, une circulaire à tous les parquets afin que ceux-ci appliquent uniformément la loi de 1985. Cette démarche va vraiment dans le sens de votre attente, et non dans le sens des critiques que vous avez formulées. Il s'agit bien de faire en sorte que la mention « Mort en déportation » puisse figurer sur les actes et jugements déclaratifs de décès.

Mais, pour pouvoir apposer cette mention, il est indispensable de détenir un dossier régularisé sur le plan de l'état civil et comportant toutes les pièces officielles nécessaires.

Concrètement, cette exigence se traduit par de nombreux courriers adressés aux mairies, notamment pour savoir s'il existe un jugement déclaratif de décès dont le service n'aurait pas forcément connaissance. Ces investigations sont parfois longues, par exemple dans les cas de recherche d'actes de naissance pour des étrangers d'Europe de l'Est, et, si toutes les pièces nécessaires à la constitution du dossier ne sont pas réunies, une instruction est nécessaire pour permettre l'apposition de la mention.

Néanmoins, pour la grande majorité de ces dossiers, les services de mon secrétariat d'État qui sont en charge de cette mission peuvent appliquer d'emblée les dispositions de la loi : « lorsqu'il est établi qu'une personne a fait partie d'un convoi de déportation sans qu'aucune nouvelle ait été reçue d'elle postérieurement à la date du départ de ce convoi, son décès est présumé survenu le cinquième jour suivant cette date, au lieu de destination du convoi ».

En définitive, s'agissant des convois et des convois seulement, il existe deux cas de figure. Si la personne a fait partie d'un convoi de déportation et si aucune nouvelle n'a été reçue d'elle postérieurement à la date du départ de ce convoi, son décès est présumé survenu le cinquième jour suivant cette date, en application de la loi. Si la personne a fait partie d'un convoi, mais a été vue dans le camp d'arrivée ou dans tout autre camp postérieurement au délai de cinq jours prévu par la loi, c'est au tribunal de grande instance de régulariser le décès. D'où l'intérêt de cette circulaire de clarification de Mme la garde des sceaux.

Le travail de l'administration ne se limite donc pas à appliquer uniformément la règle des cinq jours. Il s'attache également à rechercher des informations contenues dans des documents d'archives, ce qui peut soulever des difficultés quand les archives proviennent de certains pays.

Dans ce cas, évidemment, la compétence du tribunal de grande instance est totale et lui seul rend le jugement déclaratif de décès, d'où, encore une fois, l'importance de la circulaire précisant la lecture qui doit être faite de la loi de 1985.

J'ai rappelé précédemment le nombre de dossiers encore en instance. Il est vrai que certains d'entre eux ne répondent pas aux critères définis pour l'application de la loi et, même en admettant que toutes les conditions sont réunies, certains sont inexploitables en raison du manque de pièces indispensables à leur instruction, par exemple des pièces d'état civil.

L'administration est tout à fait consciente d'avoir à honorer par un acte mémoriel toutes ces victimes, mais elle doit aussi mener sa mission en respectant ces critères.

Vous le savez, monsieur le sénateur, j'ai également été interpellé sur ce sujet par votre collègue de l'Assemblée nationale, M. Charles de Courson. Celui-ci a d'ailleurs fait une intervention très émouvante, en évoquant le cas de ses grands-parents.

De mon côté, j'ai examiné de très près la situation de nos administrations. Quels moyens humains mettre en œuvre ? Comment former le personnel ? Par conséquent, je ne me contente pas de vous répondre que nous avons clarifié l'interprétation des textes, avec le soutien de Mme la garde des sceaux… Je balaie aussi devant ma porte, si je puis employer cette expression, afin que nous soyons en mesure, dans les prochains mois et les prochaines années, en tout cas le plus vite possible, de mener cette démarche à terme.

Nous avons mis en œuvre cette méthode de travail en 2009 et nous entendons, à juste titre, pouvoir honorer la mémoire de toutes ces personnes. C'est bien le moins que nous devons à leur famille !

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou.

M. Jean-Jacques Mirassou. Monsieur le secrétaire d'État, je vous remercie de cette réponse, qui a le double mérite, d'une part, d'exprimer un certain volontarisme ou un volontarisme certain, et, d'autre part, de dissiper le malentendu sur le dossier précis que j'ai évoqué et dont je vous communiquerai le contenu. Ce malentendu avait été suscité par la nature du courrier émanant de votre cabinet.

Vous avez fait allusion au dépôt, par un de nos collègues parlementaires, d'une question similaire. Il me semble que ce dépôt a eu lieu en octobre, concomitamment à la publication de la circulaire.

Effectivement, cette circulaire avait pour ambition d'accélérer la résolution de ces dossiers : le résultat obtenu n'est pas probant !

Au moment où le Gouvernement s'apprête à nommer, par la force des choses, un nouveau garde des sceaux, il serait opportun que lui soit assigné comme première mission de veiller à ce que la circulaire émanant de son prédécesseur soit appliquée avec plus de zèle et d'efficience.

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