Question de M. SUEUR Jean-Pierre (Loiret - SOC) publiée le 09/06/2010

Question posée en séance publique le 08/06/2010

Concerne le thème : La justice, le point sur les réformes

M. Jean-Pierre Sueur. Annonce, contre-annonce, renvoi, report, recul : madame le garde des sceaux, on s'y perd !

Hier, on nous annonce la suppression du juge d'instruction ; aujourd'hui, celle du jury populaire dans certaines circonstances. Ne pensez-vous pas que la multiplication des effets d'annonce nuit à la clarté de votre politique ? À ce propos, j'évoquerai quelques cas concrets.

Le rapport Guinchard a donné lieu à l'élaboration d'un projet de loi, adopté en conseil des ministres le 3 mars dernier, visant à alléger certaines procédures. Y aura-t-il une suite, et si oui laquelle ?

Quant à l'adaptation de notre droit à la Cour pénale internationale, le Sénat a délibéré sur ce sujet le 10 juin 2008, mais le processus est bloqué depuis lors : le texte sera-t-il un jour inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale ?

Enfin, vous n'ignorez pas, madame la ministre d'État, les critiques auxquelles le projet de loi sur la réforme de la procédure pénale a donné lieu, notamment de la part de la Cour de cassation.

Plutôt que de multiplier les annonces suivies de reports, ne pensez-vous pas qu'il serait bon de s'attacher à quelques questions concrètes, telles que la présence des avocats lors de la garde à vue, l'indépendance des parquets ou la collégialité des juges d'instruction, principe inscrit dans notre droit actuel que le Gouvernement a pour tâche de mettre en œuvre ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)


Réponse du Ministère de la justice publiée le 09/06/2010

Réponse apportée en séance publique le 08/06/2010

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Monsieur Sueur, cohérence, réforme d'ensemble, détermination et avancées : telle est la ligne du Gouvernement, et nous nous y tenons.

Dans le cadre de la procédure pénale, il est nécessaire de supprimer le juge d'instruction, parce que cette institution est contraire aux principes européens de l'équité du jugement, prévoyant la séparation entre l'autorité qui dirige l'enquête et celle qui juge.

M. Jean-Pierre Sueur. Et le parquet ?

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Précisément, le parquet répond davantage que le juge d'instruction à ces principes.

Chacun dit que la réforme de la procédure pénale est nécessaire, mais sur ce point elle est obligatoire. C'est la raison pour laquelle nous la mènerons à son terme, selon la méthode que j'ai préconisée, sur la base d'une discussion claire, qui a déjà eu lieu : quarante-cinq syndicats et associations y ont pris part et ont émis des propositions d'amendements et de modifications, y compris les syndicats qui avaient annoncé leur retrait de la concertation.

Au terme de dix semaines de discussion, 500 propositions de modification ont été recueillies, émanant de l'ensemble des parties. Nous retenons toutes les propositions utiles, quels qu'en soient les auteurs, pour les intégrer au projet de loi. Ce travail devrait être achevé à la fin de la semaine prochaine, et le texte pourra, après les derniers arbitrages nécessaires, être soumis au Conseil d'État.

Dans le même temps, l'étude d'impact a été réajustée en fonction des modifications envisagées, et nous avons donc une idée très précise de ce que pourrait entraîner l'application des dispositions du texte.

En ce qui concerne la suppression du jury populaire, je profite de cette occasion pour souligner que des affirmations sans queue ni tête ont été publiées dans un certain nombre de journaux. Si, au lieu de répercuter des rumeurs, on m'avait interrogée, j'aurai pu indiquer qu'il n'était pas question de supprimer les cours d'assises, ni les jurys populaires.

Cela étant, nous avons un vrai problème, qui ne peut laisser insensibles les représentants de la légitimité populaire que sont les membres de cette assemblée : chaque année, des milliers de crimes sont déclassifiés et jugés comme des délits, contrairement à ce que vous avez décidé pour punir de tels actes. La lourdeur des cas et la surcharge des cours d'assises dans les grandes villes entraînent la correctionnalisation des crimes, pratique moins courante dans les régions plus rurales.

Nous devons remédier à cette situation. Toutes les solutions envisageables ont été examinées, dont la création d'un tribunal criminel, qui avait été proposée dans le passé. Cela fait partie des hypothèses sur lesquelles nous travaillons, mais aucune décision n'a encore été arrêtée.

Tout cela vous montre que la réforme de la procédure pénale est globale et cohérente. Elle porte aussi bien sur les conditions de la garde à vue que sur le fonctionnement des cours d'assises ou le rôle du juge d'instruction. Cette réforme avance, et le Gouvernement tient le cap.

M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, pour la réplique.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Madame la ministre d'État, vous justifiez votre recul par la cohérence de votre réforme d'ensemble, par votre détermination…

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Je n'ai pas parlé de recul, j'ai parlé d'avancée !

Mme Alima Boumediene-Thiery. « Nous avons le temps, dites-vous, nous allons préparer la réforme, elle vous sera présentée bientôt »…

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Je n'ai jamais dit ça !

Mme Alima Boumediene-Thiery. Vous niez le fait que cette réforme est presque enterrée, puisque plusieurs partenaires se sont retirés de la concertation.

Dans cet hémicycle, nous essayons à chaque occasion de revenir sur la question essentielle de la garde à vue, qui concerne tous les ans des milliers de personnes, victimes de violations de leurs droits.

Trois propositions de loi sur le sujet ont déjà été déposées. Vous nous avez systématiquement opposé une réforme globale de la procédure pénale à venir. Cette réforme, nous l'attendons encore et toujours : elle est devenue une sorte d'Arlésienne !

Il me semble important de rappeler que dans de nombreux rapports, notamment ceux d'Amnesty International et de la Ligue des droits de l'homme, notre pratique de la garde à vue est dénoncée comme une véritable honte pour notre République.

Madame la ministre d'État, nous n'allons pas rester les bras ballants devant l'inertie du Gouvernement. Nous avons décidé de revenir à la charge sur la garde à vue, car c'est une question essentielle. M. le président de la commission des lois l'a d'ailleurs souligné à plusieurs reprises. Le monde judiciaire dans son ensemble partage notre point de vue : aujourd'hui, nous ne pouvons plus attendre ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

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