Question de Mme BOUMEDIENE-THIERY Alima (Paris - SOC-R) publiée le 29/04/2011

Question posée en séance publique le 28/04/2011

Mme Alima Boumediene-Thiery. Je souhaitais attirer l'attention du ministre de la justice sur le désarroi et la colère qui règnent dans le monde de la justice, comme d'ailleurs au sein de la police, ces deux maillons indispensables d'une même chaîne.

Depuis plusieurs mois, avocats et magistrats s'inquiètent du dépouillement progressif de la justice. Je rappelle, notamment, l'ampleur du rassemblement du 29 mars dernier et l'unité affichée à cette occasion par les personnels de justice. Cette colère s'est amplifiée avec le vote de la loi relative à la garde à vue, en raison des difficultés liées à son entrée en application.

Cette loi n'est qu'une illustration de ce malaise du monde judiciaire. Le Gouvernement se voit contraint de faire appliquer dans la précipitation une loi qui aurait dû être fondamentale !

Depuis plusieurs années, la Cour européenne des droits de l'homme alerte la France sur la nécessité d'une réforme de la garde à vue. Mais il aura fallu attendre l'intervention du Conseil constitutionnel, en juillet 2011, pour que vous vous penchiez enfin sur cette réforme !

L'Assemblée plénière de la Cour de cassation, au travers des arrêts du 15 avril 2011, a décidé de l'application immédiate de cette loi. Le ministre a pris une circulaire, soit, mais celle-ci reste très évasive quant à l'application concrète de cette réforme.

Policiers, avocats et magistrats sont unanimes : cette loi a été votée sans que les moyens nécessaires à sa bonne mise en œuvre aient été prévus !

Les acteurs du monde judiciaire n'avaient déjà plus les moyens d'exercer leurs missions dans des conditions acceptables. Or l'entrée en vigueur, non préparée, de cette loi n'a rien arrangé. Le caractère dérisoire des ressources qui sont allouées à la justice est à la hauteur du peu de cas que la majorité en fait !

M. le garde des sceaux a déclaré récemment que la justice disposait désormais de ressources, y compris humaines, suffisantes pour son fonctionnement. Or cela est faux, vous le savez, et je regrette qu'il ne soit pas présent pour me répondre.

Vous ne savez comment faire, aujourd'hui, pour mettre en œuvre cette réforme de la garde à vue qui vous est imposée et que vous n'avez pas su anticiper. Pourtant, cela fait près de dix ans que vous auriez dû la prévoir...

Les locaux des services de police et de gendarmerie doivent être modernisés. Cette réforme s'impose, mais elle ne pourra entrer dans les faits sans que des fonds soient débloqués.

Vous devez également doter de plus de moyens les recours à l'aide juridictionnelle pour les gardés à vue.

M. le président. Votre question, s'il vous plaît !

Mme Alima Boumediene-Thiery. Près de 100 millions d'euros semblent nécessaires. Les avocats qui assisteront des gardés à vue au titre de l'aide juridictionnelle sont rémunérés en moyenne 4,68 euros de l'heure ! C'est réellement irrespectueux de leur travail !

Il convient donc que vous preniez les mesures nécessaires dès aujourd'hui pour que les droits des personnes gardées à vue soient respectés et qu'avocats, magistrats et policiers puissent travailler dans des conditions décentes.

Je souhaiterais donc savoir comment le Gouvernement envisage de prendre en compte toutes les revendications des policiers, des avocats et des magistrats. Comment allez-vous enfin donner à la justice les moyens de fonctionner correctement et de mettre en œuvre de façon effective la réforme de la garde à vue ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

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Réponse du Ministère du budget, des comptes publics , de la fonction publique et de la réforme de l'État publiée le 29/04/2011

Réponse apportée en séance publique le 28/04/2011

M. François Baroin, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'État, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, madame la sénatrice, permettez-moi tout d'abord de définir en quelques mots le cadre général de l'effort entrepris sous l'impulsion du Gouvernement s'agissant des politiques publiques en matière de justice.

Le budget de la justice est l'un des deux budgets auxquels ont été épargnés les efforts de réduction des déficits.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il est tellement bas !

M. François Baroin, ministre. C'est, avec celui de l'enseignement supérieur et de la recherche, le seul à connaître une augmentation : il a été relevé de 4 % cette année.

M. Roland Courteau. Tout va bien, donc !

M. François Baroin, ministre. Permettez-moi simplement, madame la sénatrice, pour nourrir votre réflexion et vous permettre d'adopter une vision peut-être un peu plus objective de la réalité du monde judiciaire, de citer quelques chiffres : entre 2002 et 2009, les effectifs pénitentiaires ont augmenté de 33 % ; sur la même période, le nombre de conseillers d'orientation et de conseillers de probation a augmenté de 55 % ; enfin, à l'horizon de 2018, conformément à la volonté du Président de la République, 70 000 places seront ouvertes dans les prisons.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous ne parlez que des prisons ! Nous parlons des magistrats, des greffiers, des personnels ! Il n'y a pas que la pénitentiaire !

M. François Baroin, ministre. Le garde des sceaux, dont je vous prie de bien vouloir excuser l'absence – il est actuellement en déplacement en province – précisera les modalités de ce plan, qui seront formalisées avant l'été.

Une dynamique complémentaire sera donc donnée pour répondre aux sollicitations de la société à l'égard de l'autorité judiciaire, dont les peines prononcées doivent bien entendu être effectivement subies.

M. Yannick Bodin. Vous êtes donc contents de vous !

M. François Baroin, ministre. J'en viens maintenant, madame la sénatrice, plus précisément à la partie de votre question qui portait sur l'application de la réforme de la garde à vue.

Tout d'abord, pourquoi une telle réforme ? Vous l'avez rappelé vous-même : le Conseil constitutionnel, saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité, a rendu sa décision et demandé l'applicabilité immédiate du dispositif, c'est-à-dire la présence de l'avocat en garde à vue dès la première heure. Cette décision a été confirmée par la Cour de cassation, qui a appuyé sa propre jurisprudence sur celle, constante, de la Cour européenne des droits de l'homme, laquelle a justifié cette règle au titre du respect des libertés publiques.

C'est la raison pour laquelle le Gouvernement a décidé d'appliquer instantanément la loi du 14 avril 2011 relative à la garde à vue. Le ministre de l'intérieur a rendu immédiatement opérationnel ce dispositif, et je salue sa diligence et la célérité avec laquelle il a pris les dispositions pour les officiers de police judiciaire.

Où en sommes-nous aujourd'hui ? À l'issue des discussions avec les barreaux et les avocats, nous avons décidé que la rémunération pour une présence en garde à vue serait de 300 euros hors taxes, ce qui est, pour les avocats assistant les gardés à vue ou pour les avocats commis d'office, supérieur au niveau moyen observé dans les pays de l'Union européenne. Je vous renvoie précisément aux niveaux de rémunération fixés en Espagne, en Allemagne et en Grande-Bretagne.

La proposition du Gouvernement permettra donc, en termes de rémunération, de délai d'intervention et de temps de présence des avocats, de répondre à l'exigence de respect des libertés publiques dans notre pays. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

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