Question de Mme BORVO COHEN-SEAT Nicole (Paris - CRC-SPG) publiée le 14/07/2011

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat attire l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, sur les restrictions que pratique l'administration pénitentiaire à l'endroit des possibilités d'expression des personnes détenues.
Le caractère systématique que revêtent les décisions d'anonymisation patronymique et physique des personnes qui s'expriment dans des reportages ou des documentaires diffusés à la télévision, apparaît contradictoire avec l'esprit des dispositions prévues par l'article 41 de la loi pénitentiaire n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 qui prévoit que les personnes détenues conservent, sauf cas précis définis par la loi, leur droit à l'image.
Il est également à noter que la règle pénitentiaire européenne 24.12, issue de la recommandation Rec (2006)2 du Comité des ministres du Conseil de l'Europe aux États membres (adoptée par le Comité des ministres le 11 janvier 2006, lors de la 952e réunion des délégués des ministres) prévoit que « les détenus doivent être autorisés à communiquer avec les médias, à moins que des raisons impératives ne s'y opposent au nom de la sécurité, de l'intérêt public ou de la protection des victimes, des autres détenus et du personnel ».
Pourtant l'administration pénitentiaire refuse, dans la plupart des cas, les demandes d'interview de personnes détenues formulées par les journalistes.
Cette situation ne conduit-elle pas ainsi à nier l'identité de nos concitoyens durant le temps de leur incarcération, à l'encontre de la mission de réinsertion des personnes incarcérées confiée à l'administration ?
Privées de la liberté d'aller et de venir, les personnes détenues devraient en effet pouvoir conserver l'entier exercice de droits fondamentaux reconnus à tous, parmi lesquels le droit d'expression, le droit de se syndiquer et le droit de réunion et d'association pacifique.
En conséquence, elle lui demande de bien vouloir lui préciser quelles mesures il entend prendre pour que l'administration pénitentiaire accorde une place plus importante à la parole des personnes dont elle a la charge. Elle lui demande également si les pouvoirs publics entendent modifier les directives en vigueur concernant les liens entre les personnes détenues et la presse, et faire en sorte que l'article 41 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 soit appliqué avec un souci de garantir pleinement le droit à l'expression des personnes détenues.

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Réponse du Ministère de la justice et des libertés publiée le 15/12/2011

Aux termes de l'article 22 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, l'administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits : l'exercice de ceux-ci ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles résultant des contraintes inhérentes à la détention, du maintien de la sécurité et du bon ordre des établissements, de la prévention de la récidive et de la protection de l'intérêt des victimes : ces restrictions tiennent compte de l'âge, de l'état de santé, du handicap et de la personnalité de la personne détenue. Ces dispositions générales introduisant les différents droits et devoirs des personnes détenues reconnaissent donc à toute personne détenue le respect de ses droits et de sa dignité, mais sous réserve des contraintes liées à la détention et notamment au maintien de la sécurité et du bon ordre dans les établissements, à la prévention de la récidive et à la protection de l'intérêt des victimes. Concernant la liberté d'expression des personnes détenues, également évoquée dans la loi pénitentiaire et plus précisément la communication des détenus avec les médias, l'article 41 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 dispose effectivement en son alinéa 1er que « les personnes détenues doivent consentir par écrit à la diffusion ou à l'utilisation de leur image ou de leur voix lorsque cette diffusion ou cette utilisation est de nature à permettre leur identification ». Il précise ensuite en son second alinéa que « l'administration pénitentiaire peut s'opposer à la diffusion ou à l'utilisation de l'image ou de la voix d'une personne condamnée, dès lors que cette diffusion ou cette utilisation est de nature à permettre son identification et que cette restriction s'avère nécessaire à la sauvegarde de l'ordre public, à la prévention des infractions, à la protection des droits des victimes ou de ceux des tiers ainsi qu'à la réinsertion de la personne concernée », étant ajouté que « pour les prévenus, la diffusion et l'utilisation de leur image ou de leur voix sont autorisées par l'autorité judiciaire ». L'article R. 57-6-17 du code de procédure pénale, issu du décret en Conseil d'État n° 2010-1634 du 23 décembre 2010 portant application de la loi pénitentiaire, précise que, dans ce dernier cas, la diffusion ou l'utilisation de telles images est subordonnée à l'autorisation du magistrat saisi du dossier de la procédure. De plus, l'article D. 445 du code de procédure pénale, issu du décret n° 98-1099 du 8 décembre 1998, dispose que « sans préjudice des dispositions prévues à l'article R. 57-6-17 relatives au droit à l'image des personnes détenues, la diffusion, hors des locaux d'un établissement pénitentiaire, d'un audiovidéogramme réalisé dans le cadre des actions d'insertion est soumise à l'autorisation du ministre de la justice ou du directeur régional selon qu'elle revêt une dimension nationale ou locale ». L'administration pénitentiaire peut donc régulièrement opposer un refus à la diffusion ou à l'utilisation de l'image ou de la voix d'une personne détenue condamnée, mais pour des motifs précisément définis par la loi pénitentiaire en son article 41, motifs rappelant les restrictions pouvant être apportées de manière générale aux droits des personnes détenues aux termes de l'article 22 de la loi pénitentiaire précité. Ces dispositions ne sont pas contraires à la règle pénitentiaire européenne 24-12 indiquant que « les détenus doivent être autorisés à communiquer avec les médias, à moins que des raisons impératives ne s'y opposent au nom de la sécurité et de la sûreté, de l'intérêt public ou de la protection des victimes, des autres détenus et du personnel ». Il apparaît toutefois opportun de rappeler que les règles pénitentiaires européennes ne sont que des recommandations ne présentant aucune valeur contraignante pour les États. Pour autant, elles constituent pour le ministère de la justice et des libertés un outil de référence sur lequel l'administration pénitentiaire entend fonder son action. Les articles 22 et 41 de la loi pénitentiaire respectent également les stipulations de l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, qui sont elles applicables en droit interne, selon lesquelles si « toute personne a droit à la liberté d'expression », « l'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire ». C'est donc dans le respect, tant de la loi pénitentiaire, que des règles pénitentiaires européennes et de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales que l'administration pénitentiaire peut s'opposer à la diffusion de l'image ou de la voix des personnes détenues, lorsque celle-ci peut s'avérer contraire à la sauvegarde de l'ordre public, à la prévention des infractions, à la protection des droits des victimes ou de ceux des tiers ainsi qu'à la réinsertion de la personne concernée. Il convient par ailleurs de souligner que les dispositions actuelles de la loi pénitentiaire, encadrant les possibilités d'opposition de l'administration pénitentiaire, sont plus respectueuses de la liberté d'expression que les dispositions existant précédemment. En effet, jusqu'à présent, la circulaire du 17 janvier 1997 sur les modalités pratiques de délivrance des autorisations de reportage et celle du 23 juillet 2007 relative à l'autorisation de reportage dans les établissements pénitentiaires précisaient toutes deux que les autorisations devaient être accordées dans des conditions préservant l'anonymat (tant physique que patronymique) des personnes détenues et la sécurité de l'établissement. Le principe de l'anonymat des détenus était absolu s'agissant des reportages. Enfin, concernant le droit d'expression des personnes détenues, l'article 29 de la loi pénitentiaire dispose que « sous réserve du maintien du bon ordre et de la sécurité de l'établissement, les personnes détenues sont consultées par l'administration pénitentiaire sur les activités qui leur sont proposées ». Dans le prolongement de la règle pénitentiaire européenne 50 et de cet article, la direction de l'administration pénitentiaire s'est engagée depuis 2010 dans un processus d'expérimentation de formalisation du droit d'expression des personnes détenues. Cette expérimentation est mise en œuvre dans dix établissements pilotes et s'inspire de méthodes de droit comparé européen.

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