Question de M. MÉZARD Jacques (Cantal - RDSE) publiée le 19/01/2012

M. Jacques Mézard attire l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, sur l'extension ininterrompue des données figurant dans le fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG). Créé en 1998 dans une logique d'équilibre entre nécessité de la recherche des auteurs d'infractions sexuelles d'une part, et protection des libertés individuelles d'autre part, ce fichier concerne aujourd'hui pratiquement toutes les infractions, incluant les moins graves qui ne donnent lieu que très rarement à expertise génétique. De fait, l'extension du champ des prélèvements génétiques par le législateur a conduit à ce qu'aujourd'hui près de 1.700.000 personnes figurent dans ce fichier. Y figurent ainsi non seulement des personnes définitivement condamnées, mais aussi, comme le prévoit l'article R. 53-10 du code de procédure pénale, des personnes ayant subi un prélèvement d'échantillons biologiques dans le cadre d'une enquête préliminaire, d'une enquête pour crime ou délit flagrant, ou d'une instruction préparatoire et contre lesquelles « il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu'elles aient commis l'une des infractions mentionnées à l'article 706-55 » du même code. Au surplus, le refus de se soumettre à un prélèvement est un délit, comme le prévoit l'article 706-56 du même code.

Cet ensemble d'éléments a profondément changé la nature du FNAEG, a contrario de son objectif initial, et ce d'autant que la durée de conservation des données – 25 ans pour les simples prévenus et 40 ans pour les personnes condamnées – apparaît de plus en plus disproportionnée. De surcroît, le droit à l'effacement des données concernant les personnes simplement mises en cause, prévu à l'article 706-54, répond à une procédure lourde, soumise à l'appréciation par le procureur de la République de l'adéquation du maintien des données à la finalité du fichier.

En conséquence, le risque est que, dans l'avenir, cette immense base de données soit détournée de sa finalité première, grâce aux progrès technologiques qui permettront d'établir d'autres types de fichage à partir du profil génétique d'une personne.

Dans ces conditions, il est évident que les garanties légales sont aujourd'hui insuffisantes. Il souhaiterait donc connaître les intentions du Gouvernement quant à l'avenir de ce fichier et de son utilisation.

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Réponse du Ministère de la justice et des libertés publiée le 03/05/2012

L'utilisation du fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG) est encadrée par les articles 706-54 et suivants, et R. 53-9 et suivants du code de procédure pénale. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision QPC 2012-25 du 16 septembre 2010, a considéré que les crimes et délits mentionnées à l'article 706-55 étaient précisément et limitativement énumérés, et qu'outre les atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation, les infractions visées étaient de nature à porter atteinte à la sécurité des personnes ou des biens. Il a également précisé qu'à l'exception de l'une d'entre elles, toutes étaient sanctionnées de peines d'emprisonnement, et que les rapprochements opérés entre les profils enregistrés au fichier contribuaient à l'identification et à la recherche de leurs auteurs. Il en a déduit que la liste prévue par l'article 706-55 était en adéquation avec l'objectif initial poursuivi par le législateur, et que cette disposition ne soumettait pas les intéressés à une rigueur qui ne serait pas nécessaire. Le dispositif mis en œuvre par le législateur s'avère par ailleurs particulièrement protecteur. En effet, parmi les garanties offertes aux personnes dont le profil génétique est enregistré au FNAEG, figure notamment la possibilité, pour le procureur de la République agissant soit d'office, soit à la demande de l'intéressé enregistré au titre du second alinéa de l'article 706-54, d'ordonner l'effacement des empreintes enregistrées, « lorsque leur conservation n'apparaît plus nécessaire compte tenu de la finalité du fichier ». En cas de refus, le requérant a la faculté de saisir de sa demande le juge des libertés et de la détention, dont la décision, qui doit être rendue dans un délai de deux mois, peut être contestée devant le président de la chambre de l'instruction. La saisine de l'autorité judiciaire par l'intéressé consiste simplement en l'envoi d'une lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou d'une déclaration au greffe du parquet de son domicile ou de celui dans le ressort duquel la procédure ayant donné lieu à l'enregistrement a été diligentée (articles 706-54 alinéa 2, et R. 53-13-1 à R. 53-13-6). Le FNAEG est en outre placé sous le contrôle d'un magistrat du parquet hors hiérarchie, nommé pour trois ans par arrêté du garde des sceaux, et assisté par un comité composé de trois membres. Ce magistrat dispose d'un accès permanent au fichier et au lieu où se trouve celui-ci, et peut notamment ordonner l'effacement d'enregistrements illicites (articles R. 53-16 et R. 53-17). Le fichier relève également du contrôle de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, selon les modalités prévues par la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés. C'est pourquoi le Conseil constitutionnel a pu considérer, dans la décision susvisée, que ces dispositions étaient de nature à assurer une conciliation équilibrée entre le respect de la vie privée et la sauvegarde de l'ordre public. Enfin, un projet de modification des dispositions réglementaires relatives au FNAEG et au service central de préservation des prélèvements biologiques (SCPPB) est actuellement en cours de finalisation, afin notamment de prendre en compte une réserve du juge constitutionnel, qui impose de moduler les durées de conservation des profils génétiques enregistrés au fichier en fonction de la gravité de l'infraction ou de la minorité de l'individu.

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