Question de M. LEFÈVRE Antoine (Aisne - UMP) publiée le 05/07/2012

M. Antoine Lefèvre attire l'attention de M. le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt sur l'artificialisation des espaces agricoles qui ne cesse d'augmenter. La récente semaine de la préservation de l'espace foncier agricole, organisée par les Jeunes agriculteurs, fait ressortir des chiffres alarmants. En effet, la France perd 26 mètres carrés de terre agricole par seconde, près de 80 000 hectares l'an, soit un département tous les cinq ans.

À l'heure où la demande alimentaire mondiale ne cesse d'augmenter, l'enjeu stratégique que représente l'espace agricole en commande une gestion durable. Ces terres artificialisées sont souvent à fort potentiel productif et leur disparition freine aussi la production alimentaire locale, alors même que les consommateurs sont en demande de produits locaux issus de l'agriculture raisonnée. Il est par ailleurs clair que, devant l'ampleur de l'extension urbaine, certains acquéreurs n'hésitent pas à spéculer sur le changement d'usage des terres, à rebours d'ailleurs du récent constat d'une hausse du prix de la terre agricole, considérée de plus en plus comme valeur refuge.

C'est ainsi qu'il est proposé que la taxe sur le changement de destination des espaces agricoles soit augmentée d'au moins 10 à 15 %, seuil dissuasif, mais aussi que les nouvelles commissions départementales de classement des terres (CDDT), mises en place par la loi n° 2010-874 du 27 juillet 2010 de modernisation de l'agriculture et de la pêche LMA, puissent donner un avis plus contraignant que simplement consultatif.

Il lui demande de bien vouloir lui faire part de ses réflexions sur ce dossier.

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Réponse du Ministère de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt publiée le 03/10/2012

Réponse apportée en séance publique le 02/10/2012

M. Antoine Lefèvre. Monsieur le ministre, je souhaite attirer votre attention sur l'artificialisation des espaces agricoles, qui ne cesse d'augmenter.

En décembre dernier, déjà, à l'occasion de la semaine de la préservation de l'espace foncier agricole, organisée par les Jeunes agriculteurs, des chiffres alarmants ont été rendus publics : la France perd 26 mètres carrés de terre agricole par seconde, soit près de 80 000 hectares par an, ce qui fait un département tous les cinq ans !

Cette évolution est deux fois plus rapide que dans les années soixante, où quelque 40 000 hectares étaient urbanisés chaque année.

Dans l'Aisne, 57,3 % du territoire est occupé par des terres cultivées ; cette proportion est de 60,2 % dans l'ensemble de la Picardie.

Le président d'une société d'aménagement foncier et d'établissement rural, une SAFER, m'a confirmé que la France consommait deux fois plus de terres périurbaines que nos partenaires européens, notamment allemands.

L'homme s'est historiquement installé sur des terres fertiles, et les villes ont grossi autour de ces premières implantations.

Les sols de très bonne qualité agronomique représentent déjà un tiers des surfaces artificialisées.

Notre collègue Yvon Collin, dans l'excellent rapport d'information sur le défi alimentaire à l'horizon 2050 qu'il a récemment rédigé au nom de la délégation à la prospective, souligne que, à ce rythme, la surface agricole naturelle aura reculé de 3,4 millions d'hectares en 2050, ce qui représente 12 % de la surface occupée actuellement par les exploitations.

Il est par ailleurs clair que, devant l'ampleur de l'extension urbaine, certains acquéreurs n'hésitent pas à spéculer sur le changement d'usage des terres.

C'est la raison pour laquelle certains maires de zones rurales, et aussi nombre d'agriculteurs, soutenaient la loi du 20 mars 2012 relative à la majoration des droits à construire, qui pouvait faire espérer un apaisement de la pression immobilière sur les zones agricoles périurbaines.

Au contraire, la tendance récente est à la hausse du prix de la terre agricole : en 2011, la disponibilité des terres libres s'amenuisant, les prix ont été poussés à la hausse, rendant d'autant plus difficile l'installation de nouveaux agriculteurs.

Cette tendance à la hausse semble inéluctable à long terme, la terre agricole étant de plus en plus prisée tant pour sa production que pour sa qualité de valeur refuge pour les investisseurs. Son prix a augmenté de 40 % depuis 1997 pour s'établir à 5 430 euros par hectare en moyenne.

Les SAFER disposent de moyens pour sauvegarder les terres agricoles, mais leur action se heurte à l'opacité des ventes de parts de société agricole. Dans ces transactions, en effet, ni l'État, ni les collectivités locales, ni les SAFER ne sont informés de l'identité des acquéreurs.

Monsieur le ministre, quelle est l'ampleur du marché des parts de société agricole et qu'en est-il de l'éventuel danger d'achats massifs de terres françaises par des acteurs financiers ou des fonds étrangers, dont s'inquiète à juste titre la fédération nationale des SAFER ?

À l'occasion de la préparation de la conférence environnementale des 14 et 15 septembre dernier, la fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles, ou FNSEA, se serait montrée volontariste sur une politique de préservation du foncier agricole.

En sera-t-il question dans le futur projet de loi sur l'urbanisme qui devrait être présenté par Mme la ministre de l'égalité des territoires et du logement au cours de l'année 2013 ?

J'ajoute que, dans son communiqué de presse tout récent, l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture insiste sur « l'urgence de freiner le processus de consommation des sols qui entraîne une perte de production, une baisse de potentiel de la biodiversité et une accumulation des contraintes sur le foncier agricole ».

À l'heure où la demande alimentaire mondiale ne cesse d'augmenter, l'enjeu stratégique que représente l'espace agricole en commande une gestion durable.

En outre, la fin programmée du « tout pétrole » promet un bel avenir aux agrocarburants ; il faudra donc produire davantage et, pour cela, posséder la terre !

La préservation du potentiel agricole est une notion nouvelle et primordiale à prendre en compte. Ainsi, certains proposent que la taxe sur le changement de destination des espaces agricoles soit augmentée au moins de 10 % à 15 %, seuil qui serait dissuasif, mais aussi que les nouvelles commissions départementales de classement des terres mises en place par la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche, dite LMA, du 27 juillet 2010 donnent un avis plus contraignant que simplement consultatif.

Monsieur le ministre, je souhaiterais que vous puissiez apporter des garanties sur votre volonté de limiter l'accaparement des terres agricoles.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt. Monsieur le sénateur, ce sujet de l'« artificialisation » des terres agricoles a déjà fait beaucoup parler ! En effet, un département disparaîtrait tous les cinq, six ou sept ans, et c'est un rythme que l'on ne peut plus accepter.

En effet, la terre agricole, c'est notre capacité à produire des biens agricoles et donc des biens alimentaires. Elle doit être préservée d'une consommation s'apparentant plus, depuis des années, à un gaspillage. Effectivement, on a gaspillé de l'espace.

Parmi les pays d'Europe, la France a la surface la plus importante de terres agricoles, et l'on a cru que ces espaces pouvaient être consommés sans limite. Aujourd'hui, il est temps de dire « stop » ! Tel était l'objet de la conférence environnementale que vous avez citée et dont un objectif clairement indiqué était de mettre fin à cette « artificialisation » et à ce gaspillage des terres agricoles.

Nous allons travailler sur les pistes que vous avez évoquées, à savoir la commission départementale de classement des terres et l'augmentation de la taxe sur le changement de destination des espaces agricoles. Cette question sera abordée à l'occasion de l'examen tant du projet de loi sur le logement, qui sera défendu par Cécile Duflot, que de la loi d'avenir de l'agriculture. Ce sujet, que vous avez parfaitement décrit, est en effet majeur, car on ne peut plus accepter que les terres agricoles changent de destination et soient consommées sans limite.

Ainsi, les parkings des zones commerciales s'étendent de manière insensée, leur surface étant calculée pour des heures de pointe qui représentent à peine deux, trois ou quatre heures au plus dans la journée, voire dans la semaine. C'est parfaitement inacceptable ! Il faudra, là aussi, voir comment limiter la consommation qui « artificialise » l'espace et qui engendre des problèmes liés à la pollution, à la gestion de l'eau.

La meilleure des réponses que je puisse apporter à votre question, monsieur le sénateur, est l'affirmation de ma totale détermination à aboutir sur ce sujet-là.

M. le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre.

M. Antoine Lefèvre. Je vous remercie, monsieur le ministre : j'ai bien senti dès le début de votre propos que votre détermination était totale.

Je suis bien sûr prêt à vous accompagner, vous et vos services, dans le développement des idées nécessaires à l'arrêt de cette artificialisation, qui, vous l'avez souligné, est source de craintes pour l'avenir.

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