Question de M. ANTOINETTE Jean-Étienne (Guyane - SOC-A) publiée le 09/08/2012

M. Jean-Étienne Antoinette attire l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur les violences en Guyane liées à l'orpaillage clandestin.

L'échange de tirs d'armes de guerre qui a couté la vie à deux soldats, le 27 juin 2012, près du site d'orpaillage illégal de Dorlin a révélé une Guyane en état de crise. Les Guyanais dans leur ensemble ont pris conscience que des bandes ont pris le contrôle de la forêt et défendent avec détermination leur trafic de l'or contre les militaires.

En réaction, plus de 300 hommes des forces armées de Guyane et de la gendarmerie ont été mobilisés pour traquer les criminels jusqu'à leur arrestation le 28 juillet 2012. Cette bande n'est pas un cas isolé puisque plusieurs d'entre elles se trouvent en concurrence pour le contrôle des richesses de la forêt guyanaise. Et face à des hommes aguerris, endurants, adaptés au milieu, l'important dispositif de force de sécurité aujourd'hui sur le terrain doit faire face à deux paramètres accroissant encore la difficulté de leur mission : l'espace et le temps sont les alliés des orpailleurs.

Cela conduit à repenser les objectifs des opérations Harpie. Sans nul doute, elles sont nécessaires mais aujourd'hui, elles contiennent seulement la multiplication des sites clandestins. Il y a deux raisons principales à la résilience du phénomène.

La première est la quantité extrêmement faible d'or saisi : quelques kilos par an contre une production illégale estimée à plus de cinq tonnes. Il apparaît ainsi toujours plus nécessaire de neutraliser les filières de recel de l'or illégal.

La seconde raison est que les orpailleurs renouvellent directement leurs équipements en le volant aux populations locales. Il est clair que l'orpaillage illégal ne peut prospérer sans une complicité cachée au sein des populations. Cet aspect de l'orpaillage clandestin touche directement l'ensemble de la société civile en Guyane, au delà du seul climat anxiogène détestable qui en résulte.

Le cadre de la lutte contre l'orpaillage ne peut donc se limiter au démantèlement des sites illégaux. Si la plus grande fermeté est nécessaire, l'escalade de la violence avec toujours plus de répression n'a aucun sens et plusieurs pistes sont connues comme le travail avec les populations de l'intérieur des terres. Des mesures doivent être prises pour reconnaître leur statut et les associer aux missions de police administrative et judiciaire ; il pense par exemple aux piroguiers mais aussi à l'importance des relais que constituent les chefs coutumiers. Il est impensable de sanctuariser le centre spatial guyanais et de laisser dans le même temps la population de Guyane souffrir des violences multiples de l'orpaillage illégal. La justice ne consiste pas à contrôler l'extraction de quelques tonnes d'or mais à permettre aux peuples de Guyane de vivre dans leurs droits et dans la dignité.

C'est pourquoi il l'interroge sur les actions qu'il compte mener pour empêcher que la forêt guyanaise ne devienne un nouveau far west.

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Réponse du Ministère chargé de la réussite éducative publiée le 19/10/2012

Réponse apportée en séance publique le 18/10/2012

M. Jean-Étienne Antoinette. L'échange de tirs d'armes de guerre qui a coûté la vie à deux soldats le 27 juin dernier, près du site de Dorlin, a révélé une Guyane en état de crise. Cette tragédie nous rappelle, s'il en était besoin, ce qu'il y a d'exceptionnel et d'unique dans le métier des armes : le devoir de sacrifice total. Je tiens à saluer la mémoire de ces soldats, en rendant hommage à leur engagement.

Cette tragédie a également révélé aux Guyanais que des bandes armées avaient pris le contrôle de la forêt et défendaient avec détermination leur trafic d'or contre les militaires. En réaction, plus de 300 hommes des forces armées de Guyane et de la gendarmerie ont été mobilisés pour traquer les criminels, ce qui a permis leur arrestation le 28 juillet dernier.

Face à des hommes aguerris, endurants et adaptés au milieu, l'important dispositif en termes de forces de sécurité déployées aujourd'hui sur le terrain ne réussit qu'à contenir la multiplication des sites clandestins. Nous devons aussi nous attaquer à la filière du recel de l'or extrait illégalement. La quantité extrêmement faible d'or saisi - quelques kilos par an sur une production illégale estimée à plus de cinq tonnes - encourage l'orpaillage illégal et son cortège de violences.

Il convient de s'attaquer également aux réseaux mis en place par les trafiquants et à leurs ramifications dans la population. En effet, l'orpaillage illégal ne peut prospérer sans des complicités cachées au sein des populations. Il faut identifier et arrêter les membres de ces réseaux, car cet aspect de l'orpaillage clandestin touche directement l'ensemble de la société civile en Guyane.

De plus, si la délinquance de droit commun n'a pas systématiquement de lien direct avec les activités des orpailleurs clandestins, elle n'en est pas moins aggravée par le climat de violence exacerbée qu'entretient l'activité aurifère illégale. Sur la seule commune de Kourou, les atteintes aux personnes ont doublé en un an : les violences crapuleuses ont augmenté de 86 %, les vols à main armée de 89 % et les vols avec violence sans arme de 103 %. Les atteintes aux biens ont également explosé : les vols par effraction chez des particuliers ont augmenté de 85 % et les vols par effraction dans des locaux professionnels de 154 %. Dans la nuit de lundi dernier, quatre effractions ont eu lieu simultanément, ce qui prouve que cette délinquance ne connaît plus de limites.

Quelle commune pourrait subir une telle escalade des violences sans exiger un dispositif spécial de la part de l'État ? Je renouvelle donc ma demande d'instauration d'une zone de sécurité prioritaire à Kourou dans les plus brefs délais.

Contre l'orpaillage clandestin, la plus grande fermeté est nécessaire. Plusieurs pistes complémentaires, comme le travail avec les populations de l'intérieur des terres, pourraient également être développées.

Il conviendrait aussi de généraliser l'expérimentation d'installation d'orpailleurs légaux respectant les normes environnementales.

Le travail de coopération avec les États voisins est également une voie connue. Le Sénat vient encore d'autoriser la ratification d'un accord de coopération avec le Brésil en matière de police. Mais l'accord sur l'orpaillage clandestin signé voilà quatre ans n'a toujours pas été ratifié par le Brésil.

Le gouvernement précédent a eu recours à l'allégorie de la harpie pour désigner le fléau de l'orpaillage illégal et la lutte qu'il entendait mener. Or c'est davantage à une hydre que nous faisons face. Les militaires, comme Héraclès, doivent trouver des alliés dans les organes de police judiciaire et de diplomatie pour en triompher, chaque acteur agissant sur son propre terrain.

Madame la ministre, je vous prie de nous préciser les contours que vous allez donner à l'action contre l'ensemble des violences liées à l'orpaillage illégal et des formes paroxysmiques que celles-ci prennent en Guyane.

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée auprès du ministre de l'éducation nationale, chargée de la réussite éducative. Monsieur le sénateur, vous interrogez le ministre de l'intérieur sur les actions qu'il compte mener en Guyane pour renforcer la lutte contre l'orpaillage illégal. Celle-ci constitue bien une priorité pour l'État du fait des graves conséquences de cette activité sur l'environnement, la santé publique, la sécurité du territoire, ainsi que de la criminalité qu'elle engendre - trafics de stupéfiants, prostitution, homicides -, points que vous avez vous-même soulignés.

L'opération Harpie s'appuie sur des modes d'action mis en œuvre dès 2004 par la gendarmerie en les développant, grâce à des renforts militaires supplémentaires, afin de déstabiliser durablement l'économie de l'orpaillage clandestin.

Cette opération de police judiciaire et administrative se décline autour de trois axes d'effort : assécher les flux logistiques qui irriguent les chantiers clandestins, détruire les chantiers illégaux et les moyens de production, démanteler les filières et poursuivre les commanditaires.

Elle consiste en un déploiement d'une importante force de frappe, permettant la conduite d'un nombre élevé d'opérations - 4 483 en 2011, 2 333 au 30 juin dernier - et de multiples patrouilles sur le terrain.

Les efforts ainsi déployés ont permis d'obtenir une nette décrue de l'activité illégale et des atteintes à l'environnement : le nombre de chantiers actifs a diminué, passant de plus de 600 en 2008 à 392 en 2011 ; la déforestation recule, le nombre d'hectares nouvellement déforestés passant de 1 613 en 2008 à 549 hectares en 2011 ; la turbidité des rivières s'atténue.

Afin d'accroître l'efficacité des actions menées dans le cadre de l'opération Harpie et eu égard au contexte de violence particulièrement prégnante, des moyens supplémentaires en personnels et en matériels ont été accordés aux forces de l'ordre.

La police aux frontières et la douane participent aux interventions dans leurs domaines de compétence respectifs. L'Office national des forêts, la Direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement, la DEAL, et le parc amazonien de Guyane apportent leur soutien en termes d'acquisition et d'exploitation du renseignement, de connaissances techniques et de contrôle des exploitants miniers ou forestiers légaux. Les échanges de données sont d'ailleurs facilités par la création de l'Observatoire de l'activité minière en 2009.

Cet effort s'est traduit par les résultats obtenus dans l'enquête sur l'homicide, le 27 juin dernier, de militaires tombés dans une embuscade lors d'une opération de lutte contre l'orpaillage illégal à Dorlin. Parmi les dix-sept membres de la bande incriminée, dix, dont le chef du groupe criminel, ont été mis hors d'état de nuire en Guyane, au Brésil et au Surinam, grâce à une coopération internationale soutenue. Les sept derniers sont activement recherchés. Plusieurs armes de guerre ont également été saisies. La bonne coopération internationale et la complémentarité opérationnelle développée entre la gendarmerie et les forces armées de Guyane ont permis l'aboutissement de cette enquête judiciaire.

Les opérations ont également pour finalité d'identifier les filières de recel de l'or et de couper les flux des trafics associés. Aussi le dispositif bénéficie-t-il de l'appui d'officiers de police judiciaire détachés depuis la métropole. Il en est d'autant plus efficace.

Par ailleurs, la lutte contre la délinquance dans la bande littorale est en permanence adaptée. En fonction des besoins, quarante gendarmes sont transférés d'un dispositif vers un autre pour préserver la cohérence d'ensemble de l'opération et pour maintenir les acquis sur les secteurs prioritaires.

L'appui des populations est essentiel dans cette lutte. L'action résolue de l'État pour garantir leur sécurité, la préservation de leur environnement et le développement économique contribue au renforcement des liens avec la population et à l'obtention de renseignements utiles au démantèlement des filières liées à l'orpaillage illégal.

Enfin, une réflexion visant à déterminer des pistes d'adaptation du cadre législatif aux spécificités du département est actuellement conduite en collaboration avec plusieurs ministères, dont celui de la justice.

En conclusion, le haut degré d'engagement de la gendarmerie, de la police aux frontières et de la douane en Guyane sera maintenu, avec le soutien des forces armées et, nous l'espérons, des élus.

M. le président. La parole est à M. Jean-Étienne Antoinette.

M. Jean-Étienne Antoinette. Madame la ministre, je salue l'engagement de l'État pour lutter contre l'orpaillage illégal, qui a de graves conséquences à la fois sur l'environnement et sur l'activité humaine.

Je tiens aussi à souligner à quel point il est indispensable que l'État mène dans les plus brefs délais des actions concrètes en matière de lutte contre la délinquance qui sévit en zone urbaine et qui pollue le quotidien de l'ensemble des citoyens, afin que la Guyane retrouve toute sa quiétude.

Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée. Monsieur le sénateur, j'ai bien pris note de votre demande de création d'une zone de sécurité prioritaire.

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