Question de Mme DEMESSINE Michelle (Nord - CRC) publiée le 29/11/2012

Mme Michelle Demessine interroge M. le ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, chargé des affaires européennes, sur l'interdiction de l'amiante en Europe et dans le monde.

En interdisant l'amiante, dès 1997, la France a donné un coup d'arrêt à l'usage d'un matériau qui pourrait, selon les autorités sanitaires, être, d'ici à 2025, la cause de 100 000 décès dans notre pays. En recourant à la même interdiction, à partir du 1er janvier 2005, au sein de l'ensemble de ses pays membres, l'Union européenne a franchi à son tour ce pas nécessaire pour stopper une catastrophe sanitaire dont on mesure aujourd'hui l'impact sur la santé des travailleurs.

Néanmoins, cette interdiction souffre de dérogations avec l'annexe VII du règlement européen REACH qui permet aux États membres de l'Union européenne d'autoriser la mise sur le marché et l'utilisation de diaphragmes contenant de l'amiante chrysolite dans les cellules d'électrolyses existantes. C'est une brèche dans laquelle se sont engouffrés 4 des 27 membres de l'Union européenne : l'Allemagne, la Bulgarie, la Pologne et la Suède. Ainsi, 60 tonnes de fibres d'amiante à l'état brut ont été importées, en Allemagne, en 2010, au bénéfice des multinationales « Dow Chemical » pour 56 tonnes et « Solvay » pour 4 tonnes.

Par ailleurs, alors que l'amiante n'est à ce jour interdite que dans 52 pays du globe, 2,5 millions de tonnes d'amiante sont encore chaque année produites dans le monde au détriment de la santé des millions de personnes qui sont quotidiennement en contact avec elle.

Elle souhaiterait donc savoir quelles mesures entend prendre le Gouvernement pour que l'amiante soit effacée de la surface du globe au sein de l'Union européenne comme dans le reste du monde.

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Réponse du Ministère chargé de la décentralisation publiée le 20/02/2013

Réponse apportée en séance publique le 19/02/2013

Mme Michelle Demessine. Madame la ministre, le 12 octobre dernier, au Sénat, l'Association nationale de défense des victimes de l'amiante organisait un colloque pour un monde sans amiante à l'occasion de la Journée internationale des victimes de l'amiante, sous la présidence de notre collègue Annie David, présidente de la commission des affaires sociales.

À cette occasion, des médecins, des chercheurs, des militants associatifs et des responsables politiques, venus de quarante-deux pays, s'étaient réunis.

L'ensemble des participants à cette riche et émouvante initiative s'étaient rassemblés autour d'un objectif commun : créer une véritable multinationale des victimes de l'amiante, selon leurs termes, pour faire face aux industries multinationales qui continuent d'utiliser ce matériau, malgré ses effets dévastateurs sur la santé publique.

À travers le monde, ce sont ainsi chaque année 2,5 millions de tonnes d'amiante qui sont produites et qui provoquent la mort de plus de 90 000 personnes par an selon l'Organisation mondiale de la santé.

Pour sa part, la France a prononcé l'interdiction de l'amiante en 1997, soit trop tardivement, hélas ! pour désamorcer cette véritable bombe à retardement pour la santé publique dans notre pays qui pourrait coûter la vie à plus de 100 000 personnes d'ici à 2025.

Quant à l'Union européenne, elle a emboîté le pas de la France en interdisant l'amiante dans ses pays membres au 1er janvier 2005.

Cependant, le lobby de l'amiante et les intérêts économiques à court terme de certains pays de l'Union européenne s'accommodent mal de cette interdiction. Sous leur pression, une dérogation à cette interdiction a donc été introduite.

L'annexe XVII du règlement européen REACH - pour Registration, Evaluation and Autorisation of Chemicals -, toujours en vigueur, permet ainsi aux États membres de l'Union européenne d'autoriser la mise sur le marché et l'utilisation de diaphragmes contenant de l'amiante chrysotile dans les cellules d'électrolyses existantes. L'Allemagne, notamment, s'est ainsi engouffrée dans la brèche en important, en 2010, 60 tonnes de fibres d'amiante à l'état brut.

Cette réintroduction de l'amiante expose des populations européennes à un risque inacceptable pour leur santé et brouille le message de l'Union européenne.

En effet, comment l'Union européenne peut-elle prôner l'interdiction de l'amiante dans le monde, conformément aux recommandations de l'Organisation mondiale de la santé et, dans le même temps, continuer d'en importer ?

La production astronomique d'amiante dans des pays industriels comme la Russie, la Chine, le Brésil ou le Canada constitue pourtant un défi pour l'Union européenne. Il est en effet effroyable de constater que 125 millions de travailleurs, dont la plupart vivent dans le tiers-monde, sont encore aujourd'hui exposés.

Les participants à ce colloque ont lancé un vibrant appel en faveur d'une interdiction mondiale de l'amiante et ont rappelé l'urgence qu'il y a à mettre fin aux doubles standards entre les pays industrialisés et les pays en voie de développement, les premiers exportant l'épidémie de cancer de l'amiante vers les seconds.

Madame la ministre, quelles mesures diplomatiques le Gouvernement entend-il prendre pour que la France joue un rôle prépondérant afin de débarrasser entièrement l'Europe et le monde de ce fléau qu'est l'amiante ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation. Madame la sénatrice, M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, chargé des affaires européennes, est à l'heure actuelle en Grèce, où il accompagne le Président de la République. Il m'a donc chargée de vous communiquer sa réponse à la question très grave - les chiffres que vous avez indiqués sont terriblement évocateurs - de l'interdiction de l'amiante au sein de l'Union européenne et de l'extension de cette interdiction au monde entier.

Vous l'avez rappelé, la France a interdit l'amiante en 1997. À l'échelon de l'Union européenne, l'annexe XVII du règlement REACH a confirmé cette interdiction. Deux dérogations ont toutefois été accordées.

Pour compléter votre information, je vous indique que l'annexe XVII au règlement REACH a fait l'objet d'une révision en février 2009. Cette dernière a permis plusieurs progrès. Le texte prévoit ainsi une anticipation au 1er juin 2011 de la date de révision de la dérogation pour les diaphragmes, ainsi qu'un renforcement de l'interdiction de l'utilisation et de la mise sur le marché des articles contenant de l'amiante installés ou mis en service avant le 1er juin 2005, ces articles faisant l'objet d'une dérogation. Il est ainsi clairement indiqué que les pièces détachées d'un article entrant dans le cadre de la dérogation ne bénéficient pas, eux, de cette même dérogation.

La Commission s'est également engagée, sur le fondement des dérogations prises par les États membres, à élaborer des dossiers de restriction en vue d'harmoniser à l'échelon communautaire la mise sur le marché de seconde main des articles mis en service avant le 1er janvier 2005 et contenant de l'amiante, ce qui revient à définir une liste harmonisée limitative.

Les États membres devaient communiquer à la Commission les mesures de dérogation prises à l'échelle nationale avant le 1er juin 2011. La Commission a rendu publiques les informations qui lui ont été ainsi transmises. Sur cette base, elle a invité, en janvier 2013, l'Agence européenne des produits chimiques à préparer un dossier visant à interdire la mise sur le marché et l'utilisation de diaphragmes contenant de la chrysotile.

La Commission a prévu de remettre un document d'information lors de la prochaine réunion des autorités compétentes les 13 et 14 mars prochains.

À cette occasion, la France ne manquera pas de rappeler son ambition de voir, dans un avenir proche, l'amiante bannie, sous toutes ses formes et dans tous ses usages. Elle encouragera la Commission à prendre des dispositions - cette dernière s'y est, d'ailleurs, engagée - qui permettront de limiter le marché de seconde main et de contribuer aux démarches de substitution des technologies utilisant les diaphragmes contenant de l'amiante.

Vous le voyez, madame la sénatrice, le Gouvernement porte une attention particulièrement soutenue à ce grave problème.

M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine.

Mme Michelle Demessine. Madame la ministre, je vous remercie de votre très intéressante réponse, qui s'appuie sur des éléments tout à fait actuels.

On le voit bien, dès qu'une brèche est ouverte, il peut être tentant de s'y engouffrer. Comme je l'indiquais dans ma question, l'Allemagne a ainsi pu continuer à importer des produits contenant de l'amiante. Il faudrait tellement de contrôles pour s'assurer du respect de la réglementation en vigueur qu'il paraît impossible de juguler complètement les abus.

Je me réjouis donc de la position récemment prise par la Commission, qui semble se convertir à l'idée d'une interdiction totale. Nous allons surveiller de très près le déroulement des travaux de l'Agence européenne des produits chimiques.

J'ai bien entendu le mot d'ordre : bannir l'amiante sous toutes ses formes. Notre expérience de ses méfaits nous conduit naturellement à nous en réjouir.

Je tiens toutefois à indiquer que l'action de la France en la matière pourrait également se déployer à l'international, au-delà de l'Union européenne. Trop de pays continuent en effet à exploiter et à utiliser l'amiante, laquelle, nous le savons fort bien, finira par nous revenir, sous une forme ou sous une autre.

J'ai noté que le Brésil avait pris des mesures allant dans le bon sens. Si la diplomatie française pouvait encourager ces progrès, elle contribuerait à rendre moins lointain l'objectif d'élimination de l'amiante de la surface de la planète.

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