Question de M. MASSON Jean Louis (Moselle - NI) publiée le 10/01/2013

M. Jean Louis Masson rappelle à M. le Premier ministre que la réserve parlementaire permet aux députés et aux sénateurs de faire allouer des subventions de l'État avec pour finalité, a priori louable, de financer les investissements des communes et autres collectivités territoriales. Accessoirement, elle permet aussi de soutenir des associations ayant une activité d'intérêt général. Ces subventions ont été récemment l'objet de critiques largement relayées par la presse (cf. articles récents du Monde, du Parisien-Aujourd'hui en France, de Médiapart, du Figaro Magazine…). Toutefois, c'est moins leur principe qui est en cause que l'opacité et le caractère occulte de la procédure. En effet, relevant d'une « pratique coutumière », la réserve parlementaire a longtemps fonctionné dans un quasi secret, en ne profitant qu'à un petit nombre d'initiés. Un effort de moralisation a certes été engagé depuis peu mais il reste insuffisant, notamment dans le cas des subventions aux associations. N'étant soumises à aucun contrôle, même a posteriori, celles-ci sont à l'origine de multiples abus.

Il lui demande donc s'il serait favorable à ce que le fonctionnement de la réserve parlementaire soit encadré de manière plus rigoureuse :

- tout d'abord en donnant une base juridique à la réserve parlementaire. La réserve parlementaire doit avoir une définition juridique précise et regrouper l'ensemble des crédits permettant d'allouer des subventions de l'État sur proposition des parlementaires. Pour chaque ministère, cela correspondrait à l'abondement effectué lors du vote de la loi de finances à partir de la mission provisions et éventuellement à d'éventuels abondements complémentaires ;

- ensuite en encadrant l'utilisation de la réserve parlementaire pour éviter les abus. Afin de limiter les dérives au profit d'associations ou autres structures occultes, il faut que la dotation de chaque parlementaire soit affectée à hauteur d'au moins 90 % aux investissements des collectivités territoriales. De plus, il faut interdire qu'un parlementaire puisse faire attribuer des subventions à des fondations ou à des associations à but politique ainsi qu'à toute structure de droit privé où il aurait un intérêt personnel ;

- enfin en garantissant une égalité de traitement entre parlementaires et une totale transparence de la répartition. L'équité exige aussi que chaque député ou sénateur bénéficie d'une part égale de la réserve parlementaire et cela sans être tributaire des arbitrages de tel ou tel responsable de la commission des finances ou de son groupe politique. De son côté, la transparence résulterait chaque année de la publication de l'affectation détaillée de la réserve parlementaire en précisant pour chaque subvention, son montant et son objet, le nom et l'adresse du bénéficiaire ainsi que le nom du parlementaire ayant fait la proposition.

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Transmise au Ministère de l'intérieur


Réponse du Ministère de l'intérieur publiée le 06/02/2013

Réponse apportée en séance publique le 05/02/2013

M. Jean Louis Masson. Monsieur le ministre, la réserve parlementaire permet aux députés et aux sénateurs de faire allouer des subventions de l'État avec pour but prioritaire de financer les investissements des communes. Accessoirement, elle permet aussi de soutenir des associations exerçant une activité d'intérêt général.

Ces subventions ont récemment fait l'objet de critiques largement relayées par la presse ; je pense notamment aux articles récents du Monde, du Parisien-Aujourd'hui en France, de Mediapart et du Figaro Magazine. Toutefois, c'est moins leur principe que l'opacité et le caractère occulte de leur procédure qui sont en cause. En effet, la réserve parlementaire, qui relève d'une pratique coutumière, a longtemps fonctionné dans un quasi-secret, ne profitant qu'à un petit nombre d'initiés.

Un effort de moralisation a certes été engagé depuis peu, mais il reste insuffisant, notamment s'agissant des subventions aux associations. N'étant soumises à aucun contrôle, même a posteriori, celles-ci donnent lieu à de multiples abus, voire, comme cela est arrivé récemment, à de véritables détournements de fonds publics.

Je vous demande donc, monsieur le ministre, si vous envisagez d'encadrer le fonctionnement de la réserve parlementaire de manière plus rigoureuse.

Tout d'abord, il faudrait donner une base juridique à la réserve parlementaire. Celle-ci doit avoir une définition juridique précise et regrouper l'ensemble des crédits permettant d'allouer des subventions de l'État sur proposition des parlementaires. Pour chaque ministère, cela correspondrait à l'abondement effectué dans le cadre de la mission « Provisions » du projet de loi de finances initiale, auquel pourraient s'ajouter d'éventuels abondements complémentaires.

Ensuite, il est nécessaire d'encadrer la réserve parlementaire pour éviter les abus. Afin de limiter les dérives au profit d'associations ou autres structures occultes, il faut que la dotation de chaque parlementaire soit affectée à hauteur d'au moins 90 % aux investissements des collectivités territoriales. De plus, il faut interdire qu'un parlementaire puisse faire attribuer des subventions à des fondations ou à des associations à but politique, ainsi qu'à toute structure de droit privé dans laquelle il aurait un intérêt personnel.

Enfin, il importe de garantir l'égalité de traitement entre parlementaires et la transparence de la répartition.

L'équité exige que chaque député ou sénateur bénéficie d'une part égale de la réserve parlementaire, sans être tributaire des arbitrages de tel ou tel responsable de la commission des finances ou de son groupe politique. Quant à la transparence, elle serait assurée par la publication chaque année de l'affectation détaillée de la réserve parlementaire ; ce document préciserait, pour chaque subvention, le montant et son objet, le nom et l'adresse du bénéficiaire, ainsi que le nom du parlementaire ayant formulé la proposition.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Manuel Valls, ministre de l'intérieur. Monsieur le sénateur, vous avez questionné le Premier ministre sur le cadre juridique régissant la réserve parlementaire ; vous m'interrogez sur le même sujet aujourd'hui. Les services du ministère de l'intérieur sont l'un des gestionnaires administratifs de la réserve parlementaire. Cependant, vous le savez, ce sont les députés et les sénateurs qui ont le pouvoir de décider de l'emploi des crédits.

Je sais que ce sujet vous tient particulièrement à cœur - on sent qu'il y a du vécu dans vos propos ! -, puisque vous avez récemment déposé une proposition de loi tendant à garantir l'équité et la transparence dans la répartition de la réserve parlementaire.

Vous m'avez interrogé sur la base juridique de la réserve parlementaire. Chaque année, cette dernière est alimentée par une disposition de la loi de finances initiale qui définit son montant global. En ce qui concerne la part gérée par le ministère de l'intérieur, les subventions allouées au titre de la réserve sont régies par le décret du 16 décembre 1999 relatif aux subventions de l'État pour des projets d'investissement.

S'agissant de l'emploi des crédits de la réserve, des critères très précis encadrent l'octroi des subventions tout en préservant le pouvoir d'appréciation et de décision en opportunité des parlementaires.

Par exemple, pour ce qui concerne les crédits gérés par le ministère de l'intérieur, seuls des projets d'investissement dont la maîtrise d'ouvrage est assurée par une collectivité locale peuvent être subventionnés. Par ailleurs, la subvention est soumise à un triple plafond : 200 000 euros par opération, ce montant ne pouvant conduire à un taux de subvention supérieur à 50 % de la dépense subventionnable et à 80 % de l'ensemble des financements publics.

La répartition entre parlementaires relève d'une décision souveraine des assemblées, dans laquelle il n'appartient pas au pouvoir exécutif de s'immiscer. Les actuels présidents du Sénat et de l'Assemblée nationale ont souhaité que les crédits de la réserve soient désormais répartis au prorata des effectifs des groupes parlementaires. Des engagements ont également été pris en matière de transparence ; c'est tant mieux.

J'ajoute que le ministère de l'intérieur communique chaque année à la Cour des comptes les montants alloués par département au titre de la réserve parlementaire. La liste des opérations subventionnées dans chaque commune peut également être communiquée, sur demande ; là aussi, la transparence s'impose. Enfin, il vous est tout à fait loisible de communiquer de votre propre initiative sur les opérations que vous avez subventionnées avec l'enveloppe qui vous a été allouée.

Monsieur le sénateur, je reste disponible auprès des assemblées pour faire en sorte que la transparence et l'équité que vous réclamez s'imposent à la réserve parlementaire comme à toutes les opérations financières liées à l'action de mon ministère.

M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson.

M. Jean Louis Masson. Monsieur le ministre, vous avez répondu essentiellement pour votre ministère, mais ma question était plus large, puisqu'elle s'adressait à M. le Premier ministre et concernait donc d'autres ministères.

Effectivement, vous avez tout à fait raison, il y a eu quelques petites améliorations dans le fonctionnement de la réserve parlementaire. Néanmoins, nous sommes encore très loin de l'équité, de la transparence et, même, de l'honnêteté qui doivent prévaloir en matière d'utilisation de l'argent public.

Ainsi, monsieur le ministre, vous m'avez transmis des statistiques par département dont il ressort que les subventions parlementaires aux communes sont presque toujours inférieures à 30 000 euros. Elles ne dépassent 100 000 euros que pour des projets exceptionnels et, bien entendu, elles ne sont jamais reconduites à ce niveau d'année en année.

Or, toujours selon vos statistiques, une commune a reçu près d'un million et demi d'euros chaque année - j'y insiste : chaque année ! Réjouissons-nous pour ses habitants, car cela représente une économie de 30 % sur leur taxe d'habitation. Toutefois, c'est une profonde injustice par rapport aux autres Français.

Quant aux associations, c'est encore pire, car il n'y a strictement aucun contrôle sur l'utilisation des fonds. Ainsi, Mediapart a débusqué un parlementaire qui s'est auto-attribué une subvention de 60 000 euros sous couvert d'une association dont il est le président, dont la trésorière est sa première adjointe, dont le délégué général est son assistant parlementaire, tandis que son siège est dans son propre bureau. En outre, cette association n'a pas de comptabilité. En réalité, elle joue le rôle de « pompe à finances » pour couvrir les dépenses personnelles dudit parlementaire.

Or, dans cette affaire, votre collègue Mme la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie essaye de camoufler ce véritable détournement de fonds publics. Plus précisément, au lieu de jouer la transparence, elle fait semblant d'ignorer la jurisprudence du Conseil d'État et refuse même de se conformer à l'avis de la commission d'accès aux documents administratifs, la CADA, laquelle lui a enjoint d'autoriser la consultation du dossier.

Comme vous le voyez, monsieur le ministre, entre l'opacité de certains ministères et les pratiques quasi délictuelles de tel ou tel parlementaire, il reste encore beaucoup à faire pour moraliser le système.

Pour vous en convaincre, je vais reprendre les deux exemples que je viens de citer.

Tout d'abord, en ce qui concerne la concentration abusive des subventions parlementaires au profit d'une commune ultra-favorisée, je vous rappelle que ce cas précis avait déjà été épinglé par la chambre régionale des comptes de Picardie. Celle-ci s'était ainsi interrogée sur l'octroi de 3,1 millions d'euros de la réserve parlementaire en 2006 et de 2,4 millions d'euros en 2007, toujours à la même commune.

Aujourd'hui, les faveurs extravagantes au profit de cette commune sont certes légèrement réduites, mais le niveau actuel de subventions dont elle bénéficie encore reste, à mon avis, inacceptable. On ne peut se satisfaire de l'absence d'une véritable égalité de traitement entre communes.

Quant au second exemple, à savoir celui du détournement des fonds de la réserve parlementaire, votre collègue Mme Batho veut enterrer le dossier et se contente de répondre que, à l'avenir, ses services seront plus vigilants. Or elle devrait au moins exiger le remboursement des sommes considérables versées à la pseudo-association « Valeur écologie ».

Ce n'est pas en fermant les yeux sur un détournement de fonds publics, aggravé par une prise illégale d'intérêts, que Mme Batho redressera la position de la France, laquelle recule de façon inquiétante dans le classement international des pays les plus corrompus.

M. Michel Vergoz. Nous assistons là à un véritable règlement de comptes !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Manuel Valls, ministre. Monsieur le sénateur, il n'est pas de tradition de répondre ainsi de nouveau à un honorable parlementaire lors d'une séance de questions orales. Toutefois, dans le dossier que vous évoquez, il faut que les règles du jeu soient respectées.

Je vous ai répondu pour ce qui concerne le ministère de l'intérieur...

M. Jean Louis Masson. Ma question s'adressait à M. le Premier ministre !

M. Manuel Valls, ministre. Mais vous avez interrogé le ministre de l'intérieur.

J'ai donc dit - mais cela vaut pour l'ensemble du Gouvernement et, partant, pour le Premier ministre - que nous étions évidemment favorables à la plus grande transparence. Comme je l'ai déjà annoncé, tous les documents seront transmis, car il ne peut y avoir le moindre doute.

Ensuite, il appartient aux assemblées parlementaires, dont vous êtes soucieux de l'indépendance, notamment dans la gestion de leurs fonds, de faire en sorte que la plus grande transparence s'établisse. Toute l'action des présidents Bel et Bartolone va dans ce sens.

Enfin, dans le strict respect de la séparation des pouvoirs, Montesquieu étant ici une référence suprême, je vous invite tout de même à ne pas transformer le Sénat en une cour de justice chargée de régler vos conflits avec l'un de vos collègues ou une ministre. J'imagine que si vous avez des choses à dire à la justice sur l'utilisation de ces fonds, vous n'hésiterez pas à le faire dans les formes requises. Il n'est pas nécessaire de faire de cette séance de questions orales un règlement de comptes personnel avec lequel je n'ai rien à voir. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Michel Vergoz. Très bien !

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