Question de Mme ANGO ELA Kalliopi (Français établis hors de France - ECOLO) publiée le 05/07/2013

Question posée en séance publique le 04/07/2013

Mme Kalliopi Ango Ela. Ma question s'adresse à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Jeudi dernier, la Commission nationale consultative des droits de l'homme a rendu un avis important sur la définition et la place de la notion d'« identité de genre » en droit français, ainsi que sur les conditions de modification de la mention du sexe à l'état civil.

Cet avis a été unanimement salué par les associations LGBT, en ce qu'il se place sur le terrain des droits humains et qu'il dénonce l'atteinte portée par la législation française à la dignité des personnes transidentitaires et à leur droit à la protection de la vie privée.

Je me félicite, tout d'abord, que la CNCDH préconise la substitution de la notion d'« identité de genre » à celle d'« identité sexuelle ». Tel était d'ailleurs l'objet d'amendements que j'avais déposés, en février dernier, lors de l'examen d'une proposition de loi relative aux délais de prescription.

Les termes d'« identité de genre » permettent de recouvrir toutes les réalités et d'octroyer une protection plus large. Avec l'introduction de cette notion, notre législation serait également en conformité avec les exigences européennes et internationales.

Madame la garde des sceaux, vous savez l'intérêt que je porte aux questions d'état civil. Je suis notamment très sensible aux difficultés de nos compatriotes nés hors de France à obtenir la transcription de leurs actes auprès de certains postes consulaires, mais aussi à celles des enfants français nés par GPA à l'étranger. J'ai d'ailleurs récemment évoqué ces situations avec vous.

Le groupe écologiste salue donc la démédicalisation complète de la procédure de changement d'état civil, recommandée par cet avis.

Entièrement soumise au droit prétorien, la procédure actuelle conduit à l'inégalité et à l'insécurité juridique et crée des situations discriminatoires. Contraintes à un long parcours médical et à la stérilisation forcée, les personnes trans sont atteintes dans leur chair et dans leur dignité.

Enfin, si la déjudiciarisation partielle constitue un net progrès au regard du droit actuel, elle peut toutefois paraître insuffisamment ambitieuse.

Je rappelle que le groupe EELV s'est prononcé, dès le mois de novembre 2012, pour que « le genre d'une personne ne [puisse] dépendre de l'appréciation d'un juge ». Dans un communiqué du 28 juin dernier, l'Inter-LGBT et Id-Trans affirment également vouloir continuer à « porter dans le débat public une solution inspirée de la loi argentine », c'est-à-dire une déjudiciarisation totale.

Madame la garde des sceaux, comment le Gouvernement se positionne-t-il face à ces trois recommandations de la CNCDH ? Engagera-t-il une réforme ou projette-t-il de soutenir des initiatives parlementaires sur ce sujet ? (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)


Réponse du Ministère de la justice publiée le 05/07/2013

Réponse apportée en séance publique le 04/07/2013

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la sénatrice, vous m'interrogez sur l'avis que la Commission nationale consultative des droits de l'homme a remis le 28 juin dernier, à la suite de la saisine que ma collègue ministre des droits des femmes et moi-même avions décidée conjointement le 8 janvier dernier. Dans cet avis, la CNCDH propose essentiellement une démédicalisation complète de la procédure de changement de sexe à l'état civil et une déjudiciarisation partielle.

Il faut rappeler que le droit actuel repose sur l'article 99 du code civil relatif à la rectification des actes d'état civil et nécessite l'intervention du juge. Cette procédure est réputée longue et stigmatisante pour les personnes transgenres. Ceux qui la contestent reprochent surtout qu'il ne soit fait droit à la demande de changement d'état civil émanant de ces personnes qu'à partir du moment où les traitements hormonaux ont bien produit les effets physiologiques et physiques définitifs qu'ils sont censés avoir et que le changement de sexe est devenu irréversible.

Par ailleurs, deux propositions émanent des travaux de votre assemblée : soit une procédure administrative reposant sur l'officier d'état civil, mais menée sous le contrôle du procureur de la République ; soit une procédure juridictionnelle simplifiée, avec intervention d'un juge du siège.

Il faut tout de même tenir compte du fait que le sujet est lourd, qu'il fait référence à notre droit, certes, mais aussi à des principes, notamment le principe d'indisponibilité, ainsi qu'à des représentations qui sont celles de notre société. Nous devons donc traiter cette question avec précaution.

Il me paraît prématuré d'envisager le retrait du juge de la procédure,...

M. Alain Richard. Très bien !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. ... y compris au nom de la protection de la personne transgenre. En outre, il est important que le juge puisse intervenir, parce que l'état des personnes inclut la question de la détermination du sexe.

Madame la sénatrice, vous savez que se tiendra très bientôt à la Chancellerie une réunion rassemblant des sénatrices, dont vous-même, des conseillères de mon cabinet et du cabinet de la ministre des droits de des femmes, ainsi que la vice-présidente de l'Assemblée nationale, Mme Laurence Dumont. Ce sera l'occasion de réfléchir à la situation des personnes transgenres en général, sans oublier celles - une vingtaine sur l'ensemble du territoire - qui se trouvent dans nos établissements pénitentiaires.

Il s'agit d'appréhender ce sujet avec précaution, en tenant compte de la souffrance de ces personnes et en sachant bien quelles transformations nous imprimons à la société. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)

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