Question de M. YUNG Richard (Français établis hors de France - SOC) publiée le 11/07/2013

M. Richard Yung interroge Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur la mise en œuvre des règles de conflit de lois applicables au mariage des couples de personnes de même sexe dont l'une au moins n'a pas la nationalité française.
Il rappelle que le nouvel article 202-1 du code civil dispose, dans son deuxième alinéa, que « deux personnes de même sexe peuvent contracter mariage lorsque, pour au moins l'une d'elles, soit sa loi personnelle, soit la loi de l'État sur le territoire duquel elle a son domicile ou sa résidence le permet ».
La circulaire du 29 mai 2013 de présentation de la loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe précise que cette disposition « permet d'écarter la loi personnelle et de célébrer le mariage entre personnes du même sexe dès lors que l'un des futurs époux est français ou a sa résidence en France ».
Il déplore que cette disposition ne soit pas applicable aux couples dont au moins l'un des membres est originaire d'un pays avec lequel la France est liée par une convention qui prévoit que la loi applicable aux conditions de fond du mariage est la loi personnelle (Pologne, Maroc, Bosnie-Herzégovine, Monténégro, Serbie, Kosovo, Slovénie, Cambodge, Laos, Tunisie, Algérie).
Considérant qu'une telle interprétation du droit – fondée sur la hiérarchie des normes – a pour conséquence d'introduire une différence de traitement inacceptable entre les couples de personnes de même sexe, il lui demande s'il ne serait pas envisageable d'opposer l'ordre public français aux lois étrangères normalement compétentes. Plus précisément, il aimerait savoir s'il ne serait pas possible d'invoquer les principes d'égalité et de non-discrimination ainsi que le droit au respect de la vie privée afin de permettre la célébration des mariages. À cet égard, il rappelle que les accords conclus avec certains des pays susmentionnés comprennent des exceptions relatives à l'ordre public qui permettent d'écarter la loi étrangère au profit de la loi française.
Au regard du caractère archaïque de ces conventions, il souhaite savoir si le Gouvernement envisage, à terme, de les dénoncer.
Par ailleurs, il lui demande si les dispositions prévues par les accords conclus avec les pays membres du Conseil de l'Europe respectent le principe de la liberté du mariage, qui est garanti par l'article 12 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Enfin, il s'interroge sur la conformité de la convention franco-polonaise et de l'accord franco-slovène avec l'article 9 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

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Transmise au Ministère de la justice


Réponse du Ministère de la justice publiée le 17/07/2014

La loi n° 2013-404 du 17 mai 2013, ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, adoptée par le Parlement à l'issue d'un vaste débat démocratique, et validée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2013-669 DC du 17 mai 2013, renforce les engagements de la France dans la lutte contre toutes les discriminations et dans le combat pour l'égalité. C'est d'ailleurs pourquoi, sur l'initiative du Gouvernement, cette loi a introduit au deuxième alinéa de l'article 202-1 du code civil, une nouvelle règle de conflit de lois permettant d'écarter la loi personnelle de l'un des futurs époux qui n'autoriserait pas l'union entre personnes de même sexe. Les conventions internationales ayant une valeur supérieure à la loi en application de l'article 55 de la Constitution, l'article 202-1 du code civil ne peut en revanche, en principe, trouver à s'appliquer aux ressortissants des pays avec lesquels la France est liée par des conventions bilatérales qui prévoient que la loi applicable aux conditions de fond du mariage est la loi personnelle. Cependant, parmi les conventions bilatérales auxquelles la France est liée, une distinction peut être opérée entre les conventions qui renvoient expressément à la loi nationale de chacun des époux et celles qui ne visent que la situation des ressortissants français. Pour ces dernières, en concertation avec le ministère des affaires étrangères, une interprétation plus souple peut être envisagée puisque celles-ci ne renvoient pas expressément à la loi personnelle du ressortissant étranger. En outre, en cas de litige, et après y avoir été invitées par les intéressés, les juridictions pourraient estimer que les nouvelles dispositions introduites par la loi du 17 mai 2013 s'intègrent à un nouvel ordre public international, qui permet d'écarter la loi désignée comme applicable par la convention bilatérale. Tel est à cet égard le sens des premières décisions de jurisprudence rendues en la matière : en effet, le tribunal de grande instance de Chambéry a jugé, le 11 octobre 2013, que le mariage entre personnes de même sexe fait partie désormais de l'ordre public international français et a écarté l'application de la loi personnelle prévue à l'article 5 de la convention franco-marocaine du 10 août 1981 relative au statut des personnes et de la famille et à la coopération judiciaire. La cour d'appel de Chambéry a confirmé ce jugement dans un arrêt du 22 octobre 2013 en jugeant que les nouvelles dispositions introduites par la loi du 17 mai 2013 « s'intègrent à un nouvel ordre public international ». Un pourvoi est pendant devant la Cour de cassation. S'agissant de la renégociation éventuelle de ces conventions, cette question est à l'étude en lien avec le ministère des affaires étrangères. Elle pose cependant de réelles difficultés dès lors que ces conventions, qui ont un champ de compétence bien plus large que la seule question du mariage, représentent également un cadre protecteur pour nos ressortissants à l'étranger en leur garantissant l'application de la loi française. En tout état de cause, la réponse à cette question dépendra aussi du sens de la décision qui sera rendue par le Cour de cassation dans l'affaire évoquée ci-dessus. Enfin, s'agissant plus particulièrement de la question de la compatibilité de la convention franco-polonaise et de l'accord franco-slovène avec l'article 9 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne qui prévoit que « Le droit de se marier et le droit de fonder une famille sont garantis selon les lois nationales qui en régissent l'exercice », elles ne semblent pas nécessairement remises en cause, dès lors que la Charte reconnait le droit de se marier dans les conditions reconnues par les États eux-mêmes, les conditions de validité du mariage relevant ainsi des prérogatives des seuls États. S'agissant de l'article 12 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la Cour européenne des droits de l'homme considère que cet article vise le mariage entre deux personnes de sexe opposé et que l'évolution enregistrée dans certains pays européens ne lui paraît pas révélatrice d'un abandon général du concept traditionnel du mariage. Elle a ainsi jugé dans un arrêt Schalk et Kopf c/Autriche, du 24 juin 2010, que l'autorisation ou l'interdiction du mariage homosexuel est régie par les lois nationales des États contractants et qu'en l'absence de consensus entre les États, ceux-ci sont les mieux placés pour fixer, en la matière, les règles adaptées aux besoins de leur société.

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