Question de Mme LEPAGE Claudine (Français établis hors de France - SOC) publiée le 01/08/2013

Mme Claudine Lepage appelle l'attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur certaines dispositions de la circulaire du 29 mai 2013 de présentation de la loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe.
En effet, le nouvel article 202-1 du code civil précise que « deux personnes de même sexe
peuvent contracter mariage lorsque, pour au moins l'une d'elles, soit sa loi personnelle, soit la loi de l'État sur le territoire duquel elle a son domicile ou sa résidence le permet ».
Ainsi, la circulaire précise que cette disposition autorise bien à écarter la loi personnelle, et à célébrer le mariage entre personnes du même sexe, dès lors que l'un des futurs époux est français ou a sa résidence en France.
Toutefois, elle énonce aussitôt que la règle introduite par l'article 202-1 du code civil ne peut s'appliquer pour les ressortissants des onze pays avec lesquels la France est liée par des conventions bilatérales qui prévoient que la loi applicable aux conditions de fond du mariage est la loi personnelle. Sont cités: la Pologne, la Bosnie-Herzégovine, le Monténégro, la Serbie, le Kosovo et la Slovénie (au titre de l'ancienne Convention franco-yougoslave), ainsi que le Cambodge, le Laos, le Maroc, la Tunisie et l'Algérie.
Dans ce cas, en raison de la hiérarchie des normes, les conventions internationales ayant une valeur supérieure à la loi, elles devront être appliquées dans le cas d'un mariage impliquant un ou deux ressortissants des pays avec lesquels ces conventions ont été conclues.
La circulaire précise aussi que, en l'état du droit et de la jurisprudence, la loi personnelle ne pourra être écartée pour les ressortissants de ces pays.
Dans ces conditions, elle demande si la réserve de l'ordre public, qui a pour effet que la loi personnelle des futurs époux ne s'applique qu'à la condition que cette application ne heurte pas l'ordre public français, ne pourrait être invoquée. En effet, il va sans dire que les principes d'égalité et de non-discrimination qui ont commandé l'ouverture du mariage aux couples de même sexe sont dans ce cas nettement bafoués, notamment à l'égard des ressortissants des pays cités résidents en France.
Elle souhaite savoir s'il existe une possibilité de soulever une exception à l'application de ces convention et si, plus globalement, il peut être envisagé de dénoncer ces conventions dont l'anachronisme semble patent.

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Transmise au Ministère de la justice


Réponse du Ministère de la justice publiée le 17/07/2014

La loi n° 2013-404 du 17 mai 2013, ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, adoptée par le Parlement à l'issue d'un vaste débat démocratique, et validée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2013-669 DC du 17 mai 2013, renforce les engagements de la France dans la lutte contre toutes les discriminations et dans le combat pour l'égalité. C'est d'ailleurs pourquoi, sur l'initiative du Gouvernement, cette loi a introduit au deuxième alinéa de l'article 202-1 du code civil, une nouvelle règle de conflit de lois permettant d'écarter la loi personnelle de l'un des futurs époux qui n'autoriserait pas l'union entre personnes de même sexe. Les conventions internationales ayant une valeur supérieure à la loi en application de l'article 55 de la Constitution, l'article 202-1 du code civil ne peut en revanche, en principe, trouver à s'appliquer aux ressortissants des pays avec lesquels la France est liée par des conventions bilatérales qui prévoient que la loi applicable aux conditions de fond du mariage est la loi personnelle. Cependant, parmi les conventions bilatérales auxquelles la France est liée, une distinction peut être opérée entre les conventions qui renvoient expressément à la loi nationale de chacun des époux et celles qui ne visent que la situation des ressortissants français. Pour ces dernières, en concertation avec le ministère des affaires étrangères, une interprétation plus souple peut être envisagée puisque celles-ci ne renvoient pas expressément à la loi personnelle du ressortissant étranger. En outre, en cas de litige, et après y avoir été invitées par les intéressés, les juridictions pourraient estimer que les nouvelles dispositions introduites par la loi du 17 mai 2013 s'intègrent à un nouvel ordre public international, qui permet d'écarter la loi désignée comme applicable par la convention bilatérale. Tel est à cet égard le sens des premières décisions de jurisprudence rendues en la matière : en effet, le tribunal de grande instance de Chambéry a jugé, le 11 octobre 2013, que le mariage entre personnes de même sexe fait partie désormais de l'ordre public international français et a écarté l'application de la loi personnelle prévue à l'article 5 de la convention franco-marocaine du 10 août 1981 relative au statut des personnes et de la famille et à la coopération judiciaire. La cour d'appel de Chambéry a confirmé ce jugement dans un arrêt du 22 octobre 2013 en jugeant que les nouvelles dispositions introduites par la loi du 17 mai 2013 « s'intègrent à un nouvel ordre public international ». Un pourvoi est pendant devant la Cour de cassation. S'agissant de la renégociation éventuelle de ces conventions, cette question est à l'étude en lien avec le ministère des affaires étrangères. Elle pose cependant de réelles difficultés dès lors que ces conventions, qui ont un champ de compétence bien plus large que la seule question du mariage, représentent également un cadre protecteur pour nos ressortissants à l'étranger en leur garantissant l'application de la loi française. En tout état de cause, la réponse à cette question dépendra aussi du sens de la décision qui sera rendue par le Cour de cassation dans l'affaire évoquée ci-dessus. Enfin, s'agissant plus particulièrement de la question de la compatibilité de la convention franco-polonaise et de l'accord franco-slovène avec l'article 9 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne qui prévoit que « Le droit de se marier et le droit de fonder une famille sont garantis selon les lois nationales qui en régissent l'exercice », elles ne semblent pas nécessairement remises en cause, dès lors que la Charte reconnaît le droit de se marier dans les conditions reconnues par les États eux-mêmes, les conditions de validité du mariage relevant ainsi des prérogatives des seuls États.

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