Question de Mme COHEN Laurence (Val-de-Marne - CRC) publiée le 31/10/2013

Mme Laurence Cohen interroge Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur le centre socio-médico-judiciaire de sûreté de Fresnes, qui a vu le jour en 2008, sur décision de la garde des Sceaux de l'époque.

En effet, la loi n° 2008-174 du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental prévoit qu'à titre exceptionnel, les personnes dont il est établi, (...) à la fin de l'exécution de leur peine, qu'elles présentent une particulière dangerosité (...) parce qu'elles souffrent d'un trouble grave de la personnalité, peuvent faire l'objet à l'issue de cette peine d'une rétention de sûreté.

Elle rappelle cette époque de frénésie en matière de politique pénale, en réponse hâtive à un fait divers. Quelque 850 000 euros ont été investis pour mettre en place cet hôpital-prison, le seul en France.

Ce dispositif a été pensé comme le moyen de lutte contre la récidive des criminels les plus dangereux, qu'il faudrait tenir éloignés de la société, même une fois leur peine purgée. Nombreux sont les parlementaires à considérer que de telles dispositions sont attentatoires aux libertés fondamentales, dans la mesure où les personnes y sont placées, non pas pour des faits commis, mais pour des risques supposés.

Par ailleurs, de nombreux dysfonctionnements ont été identifiés, notamment par l'Observatoire international des prisons.

Les hommes qui y séjournent n'ont accès à aucune activité et ne bénéficient ni d'aide ni de suivi social. Le programme de soins n'est pas mis en place, notamment lorsqu'ils doivent être hospitalisés à l'extérieur. Leur statut particulier, pour ne pas dire ambigu, rend leur prise en charge complexe : en effet, ce ne sont pas des prisonniers à proprement parler ; ce ne sont pas non plus des patients comme les autres. Les personnels pénitentiaires et sanitaires semblent assez démunis face à ce flou juridique.

Elle lui rappelle qu'elle s'est prononcée pour la suppression de cette rétention de sûreté, lors d'un déplacement à Palaiseau en décembre 2012. Elle émet, en outre, des craintes que, selon certaines informations, l'arbitrage gouvernemental concernant la prochaine réforme pénale ne laisse pas la place à une telle suppression.

Elle souhaite donc savoir si les professionnels rencontrés par la ministre sont également favorables à cette suppression. Dans ce cas, elle indique qu'elle y apporte son soutien, ainsi que celui d'un certain nombre de parlementaires, pour porter cette ambition à ses côtés, lors des débats à venir, afin que le centre de rétention de sûreté de Fresnes soit fermé.

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Réponse du Ministère chargé de l'agroalimentaire publiée le 08/01/2014

Réponse apportée en séance publique le 07/01/2014

Mme Laurence Cohen. Le centre socio-médico-judiciaire de sûreté de Fresnes a vu le jour en 2008, sur décision du garde des sceaux de l'époque, Mme Rachida Dati.

Ainsi, la loi relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental dispose : « À titre exceptionnel, les personnes dont il est établi [...] à la fin de l'exécution de leur peine, qu'elles présentent une particulière dangerosité [...] parce qu'elles souffrent d'un trouble grave de la personnalité, peuvent faire l'objet à l'issue de cette peine d'une rétention de sûreté ».

C'était l'époque de la surenchère en matière de politique pénale, en réponse hâtive à un fait divers. Un montant de 850 000 euros a été investi pour mettre en place cet hôpital-prison, le seul en France.

Ce dispositif a été pensé comme le moyen de lutte contre la récidive des personnes ayant commis certains des crimes les plus graves et qu'il faudrait tenir éloignées de la société, même une fois leur peine purgée.

Il est à souligner que, depuis son ouverture, seuls quatre hommes y ont été placés et qu'il est vide à présent. Certes, les personnes condamnées avant le vote de la loi ne sont pas concernées, ce qui, de fait, repousse à 2023 la pleine application du texte qui vise les personnes condamnées à quinze ans de prison.

Nombreux sont néanmoins les parlementaires à considérer que ces dispositions sont attentatoires aux libertés fondamentales dans la mesure où les personnes sont placées dans cet établissement non pas pour des faits commis, mais en raison de risques supposés. Cette privation de liberté pose donc un problème d'éthique et de déontologie dans un État de droit.

Par ailleurs, de nombreux dysfonctionnements ont été identifiés, notamment par l'Observatoire international des prisons. Voilà quelques semaines, lorsque je me suis rendue sur place accompagnée de mon collègue Christian Favier, j'ai moi-même pu constater que les hommes visés n'ont accès à aucune activité et ne bénéficient pas d'aide ou de suivi social. Le programme de soins n'est pas mis en place, notamment lorsqu'ils doivent être hospitalisés à l'extérieur. Leur statut particulier, pour ne pas dire ambigu, rend leur prise en charge complexe : en effet, ce ne sont ni des prisonniers à proprement parler ni des patients.

Les personnels pénitentiaires et sanitaires, qui ne sont pas assez nombreux, semblent par ailleurs assez démunis face à ce flou juridique qui pose notamment la question de la responsabilité en cas de problème.

Comme vous le savez, les membres du groupe CRC, auquel j'appartiens, ont déposé au mois de mai 2012 une proposition de loi visant à supprimer la rétention de sûreté. Je sais que le groupe RDSE a déposé un texte quasiment identique au mois de juillet suivant. De surcroît, Mme la garde des sceaux elle-même s'est prononcée pour cette suppression au mois de décembre 2012.

Il s'agit non pas de balayer d'un revers de main les problèmes posés par la récidive ou la dangerosité de certains détenus à la fin de leur peine, mais bien de les traiter en amont, c'est-à-dire durant l'emprisonnement.

Pour mon groupe, il est impératif de réfléchir, parallèlement à la fermeture du centre de Fresnes, à la mise en place d'alternatives, en nous appuyant sur la réflexion des personnels pénitentiaires de santé comme de surveillance auxquels une longue expérience permet de présenter une expertise de qualité.

Je souhaiterais donc savoir, monsieur le ministre, comment Mme la garde des sceaux, laquelle n'a pu être présente aujourd'hui, envisage ces problématiques dans le cadre de la future réforme pénale qu'elle va prochainement proposer.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Guillaume Garot, ministre délégué auprès du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, chargé de l'agroalimentaire. Madame la sénatrice, vous le savez, le centre socio-médico-judiciaire de sûreté de Fresnes, créé par la loi de 2008, est installé au sein de l'établissement public de santé national de Fresnes mais fonctionne de manière totalement indépendante.

Il est régi par un règlement intérieur et des conventions conclues avec le centre hospitalier Paul-Guiraud Villejuif. L'ensemble des personnels sanitaires ainsi mis à disposition coopèrent à la prise en charge des personnes retenues.

Conformément à la loi, ces dernières doivent bénéficier d'une prise en charge médico-psychologique et d'un projet de soins associant des prises en charge individuelles et de groupe. Dès leur arrivée, des entretiens avec un psychiatre, des infirmiers psychiatriques et des psychologues sont proposés par l'équipe psychiatrique du centre hospitalier Paul-Guiraud Villejuif.

En vertu des dispositions du code de procédure pénale, la personne retenue a la possibilité de bénéficier d'actions de formation, d'activités culturelles, sportives et de loisirs, dont une partie peut s'effectuer à l'extérieur.

L'encadrement quotidien et l'organisation des activités sont dévolus à des éducateurs recrutés et financés conjointement par le ministère de la justice et le ministère des affaires sociales et de la santé. La personne retenue bénéficie également d'un suivi social et d'un accompagnement dans son projet de sortie. Les conseillers du service pénitentiaire d'insertion et de probation du Val-de-Marne sont également impliqués, vous le savez, dans ce processus.

À ce jour, quatre personnes ont été provisoirement retenues pour une durée chaque fois inférieure à trois mois, dans le cadre du non-respect des obligations de la surveillance de sûreté. Les juridictions régionales de la rétention de sûreté n'ont en effet pas confirmé ces quatre placements.

Actuellement, la suppression de la rétention de sûreté n'a pas été arrêtée dans le cadre du projet de loi de réforme pénale - c'était le cœur de votre question -, qui traite surtout de la petite et moyenne délinquance.

Cependant, je tiens à le réaffirmer très clairement, Mme la garde des sceaux maintient ses propos qualifiant la rétention de sûreté de peine attentatoire aux libertés, puisque cette rétention est appliquée à des personnes qui pourraient commettre un crime et non pas à celles qui en ont effectivement commis un.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen. Je ne suis pas étonnée de l'engagement de Mme la garde des sceaux, compte tenu des propos qu'elle a effectivement tenus au mois de décembre dernier et dont vous venez de nous faire part.

Cela étant, nous devons vraiment mener une réflexion en vue de la suppression du centre en cause. L'ayant visité, je peux témoigner que ses locaux sont flambant neufs, contrastant fortement avec la réalité des prisons, notamment de celle de Fresnes.

Ce que vous décrivez, monsieur le ministre, existe sur le papier mais pas dans les faits. En effet, les personnels pénitentiaires et de santé avec lesquels j'ai discuté très longuement affirment leur incapacité à répondre aux besoins des personnes retenues, qui ne sont ni des prisonniers à part entière ni des patients. En outre, ils déplorent l'inexistence d'un véritable statut pour ces personnes et regrettent, lorsqu'ils doivent les accompagner à l'hôpital pour un examen, d'être contraints de les menotter, ce qui n'est juridiquement pas justifié.

Nous touchons vraiment du doigt la réalité du système pénitentiaire, entouré d'un flou énorme et entaché de dysfonctionnements patents. En fait, il faut agir sur l'accompagnement de ces individus pendant tout le temps de leur détention, et pas seulement au moment de leur sortie, afin de se rendre compte de leur dangerosité réelle.

En outre, je vous le répète, aucune personne n'est internée dans ces locaux, ce qui représente un véritable gâchis ! Parmi les quatre personnes qui y ont été retenues, l'une n'a plus aucun contact avec les services sociaux et l'on ne sait pas du tout où elle se trouve. Par conséquent, le passage par ce centre de rétention peut s'avérer encore plus dangereux.

J'appelle votre attention, monsieur le ministre, pour qu'il soit mis fin à ce genre d'atteintes aux libertés.

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